Pour l’heure écarté de l’antenne, le présentateur de BFMTV et de RMC Story est accusé d’avoir diffusé des séquences sur des pays étrangers non validées par sa hiérarchie.
« L’INDIVIDU a été interpellé. » Mercredi 21 mars 2012, 14 h 15 : Rachid M’Barki est sur le point de réaliser le plus beau scoop de sa carrière. Une source vient de lui annoncer que Mohamed Merah aurait été arrêté par la police. Déjà parti des locaux de BFMTV après une nuit sur le pont, le journaliste prévient sa hiérarchie depuis son domicile. Décision est prise de le mettre illico à l’antenne pour livrer l’information aux téléspectateurs par télépho- ne. Celle-ci reste pourtant « à vérifier », de l’aveu même de son messager en direct. Ses collègues présents sur place à Toulouse (Haute-Garonne) n’ont d’ailleurs pas la même.
Et pour cause. L’arrestation est démentie une demi-heure plus tard par Claude Guéant, ministre de l’Intérieur de l’époque. L’auteur des tueries de Montauban et Toulouse ne sera finalement abattu par le Raid que le lendemain. Collectif, le fiasco crée des remous en interne. Et fait prendre au nom de M’Barki une première lumière crue dont il se serait bien passé.
Une décennie plus tard, le discret journaliste est de nou- veau au cœur des conversations dans les couloirs de la chaîne d’info. Il est accusé d’avoir diffusé en catimini dans son JT quotidien de la nuit des séquences non validées par sa hiérarchie : un forum économique entre le Maroc et l’Espagne à Dakhla, au Sahara occidental, des emplois menacés sur la Côte d’Azur par la disparition des oligarques russes après le début de la guerre en Ukraine, un sujet sur le Qatar, un sur le Soudan… Le canal 15 aurait-il servi à son insu de véhicule à des ingérences étrangères ? Et si oui, en échange de quoi ? De rétribution ?
Des débuts au culot
« Fantasme », balayait le jeudi 2 février l’intéressé. Contacté cette semaine, il n’a pas donné suite. « Je garde la tête haute ! » a-t-il écrit vendredi sur son compte Instagram. Pour tenter d’y voir plus clair, la direction de BFMTV mène une enquête interne. En attendant ses con- clusions dans quelques jours, son présentateur de 54 ans est privé d’antenne jusqu’à nouvel ordre.
Drôle de trajectoire que celle de ce visage historique de la chaîne. Présent dès son lancement en 2005, il y atterrit quelques années après des débuts au culot à Radio Fran- ce Toulouse, sa ville d’origine. « Il s’est présenté à moi en me disant qu’il rêvait de faire du journalisme, se souvient Isabelle Delaude, avec qui il fera ses premiers pas dans le métier. Il n’avait pas fait d’école de journalisme, mais des études de droit. Il a été pugnace et m’a convaincue de lui laisser sa chance. »
« Nagra (un outil d’enregistrement radiophonique) sur l’épaule », le minot issu d’une modeste famille franco-ma- rocaine se forme « sur le tas ». Et apprend vite. « C’était un garçon très respectueux et très élégant. Il rêvait déjà de faire de la présentation. Il avait un besoin de reconnaissance sociale assez clair », se souvient son premier mentor.
À la fin des années 1990, le jeune M’Barki travaille pour la chaîne Euronews. Il y croise Marc Cantarelli, qui le fait ensuite venir à Bloomberg TV au début des années 2000 pour pratiquer la présentation et les interviews télé. Séduit par ce « garçon réservé, modeste et bosseur », Cantarelli l’embarque ensuite dans sa nouvelle aventure : la création de BFMTV.
Aux côtés des stars comme Ruth Elkrief et Olivier Maze- rolle, il participe aux fougueux débuts de la chaîne . « Il faisait de la présentation et traitait parfois de sujets police-justice », rembobine un ancien compagnon de route. Ceux l’ayant fréquenté à l’époque le décrivent comme un collègue « sympa », « bon camarade », et amateur de golf. « Tout se passait très bien quand on travaillait ensemble », nous glisse ainsi un ancien visage de la chaîne ayant partagé l’antenne avec lui.
Un isolement progressif
Le fiasco Merah entache cependant ce parcours jusque-là sans accroc. Écarté dans la foulée des affaires policières, Rachid M’Barki doit se recentrer sur la présentation. Sa place à l’antenne se réduit comme peau de chagrin au fil des années. La faute à un « manque de rigueur et d’exigence », selon certains.
Sa « trajectoire descendante » l’isole à la tête du seul « Journal de la nuit », soit une petite demi-heure d’info rediffusée en boucle. « Un placard », cingle un familier de la chaîne d’info. « Contrairement à ce qu’on entend aujourd’hui, il n’a jamais été une star de la chaîne. C’est un journaliste parmi d’autres, même s’il fait partie des meubles. »
En interne, Rachid M’Barki est, il est vrai, aussi identifié que méconnu. « C’est un peu le cow-boy solitaire. Le mec du soir avec sa grosse voix, qui arrive au bureau en début de soirée et repart après son JT », s’amuse une cheville ouvrière de la chaîne. « Par la force des choses, on ne le croisait pas beaucoup. »
En 2020, « le fantôme de la rédac » reprend pourtant la lumière de manière inattendue. À l’issue d’un casting, il décroche l’animation de la nouvelle version de « Faites entrer l’accusé » sur RMC Story, la petite sœur de BFMTV. « On cherchait un narrateur », justifie Isabelle Clairac, la rédactrice en chef de l’émission, immédiate- ment séduite par la « gueule », la « voix rocailleuse » et le « ton » du journaliste. Elle tourne avec cette incarnation « adorable et facile » 24 épisodes. Et tient à démentir les rumeurs sur son remplacement imminent : « Il serait bon de respecter la présomption d’innocence ! »
Cette dernière n’est plus à l’ordre du jour chez bon nombre de nos interlocuteurs de BFMTV, consternés par ce qu’il est désormais tenu d’appeler « l’affaire M’Barki ». « Je suis tellement en colère contre lui ! Ça me rend fou ! » s’énerve l’un d’eux.
« Ses équipes à BFM ont l’impression d’avoir été trahies », ajoute un membre de la rédaction, pour qui le présentateur savait être dur avec ses subordonnés. Et de révéler la « méthode bien rodée » qu’il aurait utilisée pour faire passer à l’antenne ses séquences suspectes. « Les demandes étaient espacées dans le temps et souvent faites à la dernière minute, dans le rush. Il veillait aussi à s’adresser à des petites mains — des alternants, des stagiaires — pour faire rentrer ses images. »
Le présentateur aurait aussi profité de la faible attention portée à sa case par sa hiérarchie. « Pour être honnête, je pense que la direction ne regardait pas son journal. Ce n’était pas un enjeu stratégique », décrypte une figure de l’antenne. « Et puis, on parle d’un journaliste expérimenté. On fait forcément confiance. »
Peu parient sur ses chances d’échapper cette fois à la porte. « C’est terminé », tranche une incarnation du diffuseur. La direction de BFMTV, elle, a déjà fait savoir qu’elle se réservait le droit de porter plainte contre son collaborateur à l’issue de l’enquête. Depuis sa mise en retrait de l’antenne, Rachid M’Barki n’a pas reparu dans les locaux de la chaîne. Le « fantôme de la rédac » n’a pas fini de hanter les couloirs de BFMTV.
B. M.