vendredi 14 mars 2025
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Foot : Noël Le Graët, coup de sifflet final pour le puissant « menhir »

Noël Le Graët a quitté ses fonctions de président de la Fédération française de football en donnant sa démission mardi 28 février. L’ancien homme d’affaires breton aura géré la fédération la plus importante du sport en France, pendant une bonne décennie, avec la victoire des Bleus au Mondial 2018 qui restera comme le sommet de son règne.

C’est un jour de Noël que Le Graët est né en 1941 à Bourbriac en Bretagne, dans les Côtes-d’Armor. Là, le « provincial », comme il aime à se définir, a entamé son ascension pour devenir l’homme fort de la plus puissante fédération sportive française.

Né dans une famille ouvrière, instituteur dans sa jeunesse, Noël Le Graët a été maire PS de Guingamp de 1995 à 2008. Le Breton a présidé le club de l’En avant Guingamp entre 1972 et 1991 et de 2002 à 2011, l’emmenant du niveau régional à la Ligue 1. L’En avant Guingamp a révélé Didier Drogba ou Florent Malouda, et remporté la Coupe de France en 2009. Il a aussi présidé la Ligue professionnelle de football (LFP) entre 1991 et 2000. Puis, à partir de 2005, il a été vice-président de la FFF.

Le « Menhir », son surnom, a par ailleurs fait fortune dans l’agroalimentaire du côté de Guingamp, là encore. Il a créé son entreprise – gérée désormais par sa fille –, dans le secteur en 1984, entreprise spécialisée entre autres dans les produits surgelés et fruits de mer, qui emploie aujourd’hui près de 700 personnes.

Réélu en 2021 pour un quatrième mandat

« La démission semble quasiment acquise », assurait quelques jours plus tôt un membre du comité exécutif. Un autre évaluait à « 99% » les chances de voir l’ancien maire de Guingamp se retirer. Une troisième source proche du dirigeant confirmait de son côté que le président était « prêt depuis plusieurs semaines à passer la main ».

Mis en retrait le mercredi 11 janvier 2023 de la présidence de la Fédération française de football, Noël Le Graët aura passé plus de dix ans à la tête de l’instance. Il avait été réélu en 2021 pour un quatrième mandat, avec plus de 73% des voix. Homme de pouvoir, en place depuis 2011 à la FFF, il côtoyait facilement les cercles du pouvoir, s’offrant une ligne directe avec l’Élysée, de François Hollande jusqu’à Emmanuel Macron.

Arrivée après le fiasco de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, sur les décombres de l’affaire Knysna, Noël Le Graët a redressé la barre jusqu’à la deuxième étoile des Bleus remportée en Russie en 2018. Lors du Mondial 2014 au Brésil, le premier sous sa présidence, il avait mis comme objectif un quart de finale que les hommes de Didier Deschamps avaient atteint face aux Allemands. Au Qatar en 2022, les Bleus sont en finale face à l’Argentine. Un bilan que chaque président de fédération rêve d’avoir à son palmarès. Sous son règne, la FFF s’est enrichie en reprenant notamment le contrôle des droits marketings liés aux Bleus, véritable poule aux œufs d’or.

Mais le personnage a fini par agacer, y compris dans son propre cercle. Celui qui était coutumier des formules assassines n’a pas senti le vent tourner au détour de ses nombreux dérapages. Comme lorsqu’il estime que le racisme « n’existe pas ou peu » dans le monde du football. Ou encore, sa déclaration aux relents sexistes sur les Bleues qui « peuvent se tirer les cheveux » tant qu’elles gagnent, a aussi fait des vagues. Durant sa carrière de dirigeant du football français, il aura déclenché de nombreuses polémiques à coup de petites phrases ou de propos à l’emporte-pièces.

Son soutien inconditionnel au Qatar avant le début de la compétition a fait grincer des dents. « Ce n’est pas insoluble ça, c’est des coups de peinture », lâchait-il dans l’émission Complément d’enquête sur France 2 qui, images à l’appui, lui montrait les conditions déplorables dans lesquelles les travailleurs sous-traitants de l’hôtel des Bleus. Mais ses propos sur Zinédine Zidane, icône intouchable, concernant son potentiel futur sur le banc de la sélection, trois jours après la prolongation du contrat de Didier Deschamps à la tête de l’Équipe de France, ne sont pas passés.

« Je ne l’aurais même pas pris au téléphone […] Cela m’étonnerait qu’il parte là-bas. Il fait ce qu’il veut, cela ne me regarde pas. Je ne l’ai jamais rencontré et on n’a jamais envisagé de se séparer de Didier Deschamps. Je n’en ai rien à secouer, il peut aller où il veut, dans un club, il en aurait autant qu’il veut en Europe, un grand club. Une sélection, j’y crois à peine en ce qui me concerne »,avait-il rétorqué à propos du potentiel départ de Zidane au Brésil.

Une fin de règne qui attisait les ambitions

L’affaire Zidane a été un prétexte pour des personnalités comme le joueur du Paris Saint-Germain Kylian Mbappé ou encore la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, de s’insurger contre lui. « L’avenir de la FFF, ce n’est pas d’attendre la fin de mandat du président en 2024. Il lui faudrait partir avant. Quand on manque autant de diplomatie à un poste qui est quand même assez politique, c’est qu’on n’est plus en capacité de l’exercer », a déploré Frank Lebœuf, le champion du monde 98, dans un entretien au Parisien en France.

Dès lors, certains dossiers concernant les frasques du dirigeant breton sont sortis, venant s’ajouter à ceux qui étaient sur la table. Plusieurs femmes ont témoigné contre lui : elles ont dénoncé des blagues déplacées, des SMS tendancieux, des remarques graveleuses, et même du harcèlement sexuel.

Suite à une enquête dans le magazine So Foot, pointant de nombreux dysfonctionnements émanant de la FFF, le ministère des Sports avait ordonné un audit administratif en septembre 2022, après des accusations de harcèlement sexuel et plus largement de management problématique à la FFF, où sa fin de règne attisait les ambitions.

Lourdement mis en cause par la mission d’audit, Noël Le Graët a fini par partir. Il a perdu le soutien de son comité exécutif. « La situation est intenable, la solution la plus honorable serait qu’il démissionne », expliquait un élu, sous couvert d’anonymat, avant la remise définitive du rapport. Les « dérives de comportement » du président « sont incompatibles avec l’exercice des fonctions et l’exigence d’exemplarité qui lui est attachée », pouvait-on lire dans la synthèse de la mission d’audit sur la FFF.

Les auditeurs reconnaissent que Le Graët « jouissait d’une image très positive dans le monde du football, après avoir redressé les finances de la FFF et modernisé son organisation au service d’une dynamique sportive positive », avant que l’usage « très centralisé » du pouvoir ne débouche sur « des dysfonctionnements et des logiques claniques ».

« Je suis un amoureux du ballon rond », disait Noël Le Graët avant d’entamer son tout premier mandat. À l’époque, il voulait se mettre « au service des amateurs », et était convaincu que la FFF était « d’abord une entreprise ». Avec son départ, la FFF tourne une page de son histoire. Cet homme combatif, qui a vaincu deux cancers, n’aurait jamais pu imaginer une telle sortie.

F. A.