L’Arabie saoudite et l’Iran sont convenus vendredi 10 mars de reprendre leurs relations bilatérales, avec notamment la réouverture de leurs ambassades dans les deux mois. Une déclaration tripartite a été signée pour l’occasion entre les deux pays et la Chine, qui a joué les médiateurs dans cette réconciliation. Un beau coup, sur le plan diplomatique. Réactions.
Cette déclaration tripartite intervient après quatre jours de négociations secrètes entre Pékin et les deux grands rivaux du Moyen-Orient.
Les images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent trois grandes tables en triangle, ainsi que les drapeaux saoudien, chinois et iranien, sur fond de peintures orientalistes, comme on en voit régulièrement sur les murs des palais de la République populaire de Chine.
Entre les deux hauts responsables de la sécurité de Téhéran et de Riyad, le directeur du bureau de la commission centrale des Affaires étrangères du Parti communiste chinois a salué une victoire du « dialogue et de la paix ».
Médiateur de « bonne foi », et « fiable », la Chine a rempli ses devoirs d’hôte et de facilitateur des pourparlers, a poursuivi Wang Yi devant la presse, la déclaration saoudienne remerciant abondamment de son côté le président chinois, pour son « soutien au développement des relations de bon voisinage entre le Royaume d’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran ».
« La récente visite d’Ebrahim Raïssi à Pékin et ses entretiens avec Xi Jinping ont servi de base aux nouvelles négociations entre les délégations iraniennes et saoudiennes », a indiqué pour sa part le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien.
Ces engagements à reprendre les discussions doivent maintenant être suivis d’effet. Mais pour Pékin, qui répète régulièrement vouloir jouer un rôle de « puissance pacifique et responsable », cette opération de médiation ne serait que la mise en pratique réussie de l’initiative globale de sécurité présentée par la Chine il y a deux semaines.
Peu de détails ont filtré de ces pourparlers en dehors de la déclaration tripartite, qui affirme qu’en dehors de la réouverture des représentations diplomatiques dans les deux mois, les deux anciens rivaux ont également convenu d’activer un accord de coopération et de sécurité signé en 2001.
À Washington, profil bas
Le rétablissement de relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, a suscité la surprise, notamment aux États-Unis où l’on fait preuve d’une certaine retenue. Service minimum, du côté de l’administration Biden.
Au département d’État, on se passe de réagir, même par communiqué. La seule réaction directe vient du coordinateur des communications pour les questions de sécurité nationale. John Kirby explique que Washington soutient tous les efforts pour faire baisser la tension au Moyen-Orient, et en particulier pour mettre fin à la guerre au Yémen.
Il affirme aussi que même si son pays n’a pas été impliqué dans les négociations, il a été tenu au courant à chaque étape par la partie saoudienne. Mais se montre prudent sur la volonté de l’Iran d’assumer ses obligations, soulignant que selon l’expérience américaine, la République islamique n’honore pas toujours sa parole.
En revanche, cet accord ayant été conclu sous l’égide de la Chine, vu comme un rival systémique à Washington, M. Kirby réfute l’idée d’un retrait américain de la région, dont profiterait Pékin pour étendre son influence.
Interrogé lui aussi sur l’accord, Joe Biden ne commente pas directement. Il préfère expliquer que tout ce qui pourrait apaiser les tensions entre Israël et ses voisins arabes serait une bonne chose. L’État hébreu aimerait établir des relations diplomatiques avec Riyad. Mais le Royaume saoudien a manifestement choisi de le faire d’abord avec l’Iran, adversaire déterminé d’Israël et des États-Unis.
Vu d’Israël, une véritable claque
Cette nouvelle situation est une vraie claque pour Washington et Israël, affirment les médias israéliens. Une mauvaise nouvelle, estiment certains commentateurs.
Opposition et majorité se rejettent mutuellement la responsabilité. Une source politique israélienne de haut rang, sous couvert d’anonymat, affirme lors d’un briefing à Rome, où se trouve en ce moment Benyamin Netanyahu, que c’est le gouvernement précédent qui est responsable.
Sornettes, rétorque Yaïr Lapid, le chef de l’opposition. Dans un communiqué, il précise que tout s’est arrêté avec la mise sur pied de cette coalition extrémiste en Israël, et lorsque les Saoudiens ont compris que M. Netanyahu était désormais un homme politique faible, qui n’avait plus d’influence sur les Américains.
« Le monde ne s’arrête pas de tourner pendant que nous sommes occupés ici par des luttes de pouvoir et des affrontements », affirme Yuli-Yoel Edelstein, député du Likoud, le parti du chef du gouvernement.
Et pour le quotidien de gauche Haaretz, c’en est fini d’un rêve israélien, l’élargissement des accords d’Abraham, autrement dit l’espoir de créer un front avec des pays arabes pour contrer l’Iran.
La voie est désormais ouverte, poursuit le journal, à la réactivation des pourparlers avec Téhéran en vue d’un accord sur son programme nucléaire.
Dégel salué par les pays du Golfe
C’est un accord retentissant, au Moyen-Orient. D’abord parce que les deux meilleurs ennemis du Golfe, l’Arabie saoudite et l’Iran, décident officiellement de renouer leurs relations, mais aussi parce que la Chine, où cet accord a été signé, joue un nouveau rôle diplomatique au-delà des intérêts économiques.
Dans le communiqué publié vendredi, l’agence de presse officielle saoudienne n’a d’ailleurs pas manqué de souligner d’emblée « la noble initiative de Son Excellence le président Xi Jinping ».
Est-ce à dire que la Chine va remplacer l’influence américaine dans cette région du monde ? Rien n’est moins sûr. Mais cette formulation est un message clair adressé à Washington, l’allié historique de Riyad, avec qui les relations sont pour le moins tendues depuis quelque temps.
En tout cas, dans le Golfe, la nouvelle a été saluée par les voisins et partenaires de l’Arabie saoudite. En tête desquels le Sultanat d’Oman qui, depuis trois ans, est un intermédiaire-clé entre les deux pays. Et aussi par les Émirats arabes unis, qui ont déjà renvoyé leur ambassadeur à Téhéran l’été dernier dans l’espoir d’apaiser les tensions régionales.
Deux questions sur le réchauffement des relations
Avec ce rapprochement, Pékin signe donc un coup d’éclat diplomatique que les États-Unis sont contraints d’observer en spectateurs. C’est ainsi que l’analyse Héloïse Fayet, chercheuse à l’Institut français des relations Internationales (Ifri).
« Ça montre bien que les États-Unis ont un rôle de moins en moins important à jouer au Moyen-Orient, explique-t-elle, mais c’est peut-être une dynamique qu’ils ont eux-mêmes choisie. On se souvient qu’en 2021, il y a eu des annonces de redimensionnement de la posture américaine au Moyen-Orient, et que même s’il y a encore plusieurs dizaines de milliers de militaires américains, on sait que l’impact et l’influence politique, diplomatique, stratégique que peuvent avoir les États-Unis sont bien réduits. »
Les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sont compliquées, surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. On se souvient de son déplacement en Arabie saoudite, qui n’avait pas été couronné de succès. Les relations entre États-Unis et Iran, n’en parlons même pas. Et donc, effectivement, les États-Unis n’apparaissaient même pas comme un partenaire potentiel, un médiateur potentiel. On ne s’attendait pas à ce qu’il joue un rôle dans les médiations entre l’Arabie saoudite et l’Iran. En revanche, la place très forte qu’a prise la Chine est peut-être un peu plus surprenante.
Iraniens et Saoudiens ont intérêt à ce rapprochement, estime la chercheuse de l’Ifri : « L’Iran et l’Arabie saoudite sont les deux plus grandes puissances au Moyen-Orient, qui ont des intérêts souvent divergents, qui peuvent être présentés comme une compétition pour dominer religieusement, militairement, politiquement le Moyen-Orient, mais il est évidemment toujours plus rassurant, pour la stabilité régionale, que les deux pays échangent. »
Donc là, le principal avantage pour les deux pays, c’est un risque bien moindre d’escalade, qu’elle soit militaire ou politique. Du côté spécifique de l’Arabie saoudite, on peut s’attendre à ce que la guerre que mène l’Arabie saoudite au Yémen contre les Houthis, qui sont partiellement soutenus par l’Iran, soit plus aisé si jamais l’Iran diminue son soutien aux Houthis. Et puis, du côté iranien, ça permet d’avoir vraiment une soupape de respiration alors que l’Iran est de plus en plus acculé et isolé sur la scène internationale. Donc voilà, petit moment de répit pour l’Iran.
M. B.