À 78 ans, l’artiste entame, ce mercredi, une tournée de 30 dates en France. très attendu par ses Fans qui ne l’ont pas applaudi sur scène depuis 2016, saura-t-il mettre en sourdine ses caprices et ses coups de colère pour réussir ce rendez-vous ?
Coucou, le revoilou, saison 57 épisode 1. Dans l’art de savoir réapparaître après s’être fait désirer de longues années, Michel Polnareff est passé maître. Depuis ses débuts, en 1966, le chanteur et compositeur n’a cessé de jouer à cache-cache, n’obéissant qu’à son bon vouloir. Une (vraie) fausse désinvolture qui masque à peine l’engage- ment constant du musicien au moment des retrouvailles avec son public, un des plus fidèles et des plus résilients qui soient. Annoncée en novembre der- nier, la nouvelle tournée de Michel Polnareff commence ce mercredi 24 mai à Nice, au Palais Nikaïa. «Je serai fébrile en montant sur scène à Nice, bien sûr. Si je serai heureux ? Ça, je ne pourrai vous le dire que le moment venu», nous confiait-il en novembre dernier.
L’enjeu est de taille pour le chanteur, qui ne s’est pas produit sur scène depuis 2016 et une tournée qui s’était achevée par l’annulation des deux ultimes re- présentations, prévues à Nantes et à Pleyel en décembre, pour raisons de santé, selon le chanteur. Une version contestée par son producteur d’alors, Gilbert Coullier, contre lequel Polnareff avait alors porté plainte pour diffama- tion. Celui-ci bénéficiera d’une relaxe au tribunal. Pas vaincu, Michel Polnareff enchaînera avec l’enregistrement d’un nouvel album studio, le premier en vingt-huit ans, Enfin !, sorti fin 2018. L’expérience laissera un goût amer au chanteur. «Je l’adore, mais c’est un album qui n’a pas été soutenu. Il y a pourtant des chansons comme Dans ta playlist ou Grandis pas, que j’ai écrite pour mon fils Louka avec le parolier Doriand. » Le chanteur imputera le manque de succès de l’album à l’incurie de la multinationale Universal Music. Malgré des réussites, aucune chanson ne deviendra un tube. Goodbye Marylou, titre de 1989, demeure le dernier classique d’une longue série amorcée avec La Poupée qui fait non, vingt-trois ans plus tôt.
Quelques mois après la sortie surprise d’un disque sur lequel il reprenait quelques-uns de ses standards dans des versions dépouillées au piano, Polnareff est bien décidé à faire plaisir aux spectateurs en interprétant la plupart des succès qui ont jalonné sa carrière : Le Bal des Laze, Lettre à France, Holidays, Love Me, Please Love Me, On ira tous au paradis et d’autres. Autant de mélodies aussi géniales qu’inusables, qui ont fait de leur compositeur un des seuls Français capables de rivaliser sur leur terrain avec Paul McCartney ou Brian Wilson. « La première fois où j’ai assisté à un concert d’Elvis, il n’avait joué que des chansons de son nouvel album. Après vingt ou vingt-cinq minutes, la moitié de la salle était partie. C’est une erreur à ne pas faire. Je l’avais moi-même commise à l’époque de Polnarévolution. Le public voulait entendre des choses qu’il connaissait. Alors, j’ai chanté jusqu’à 3 heures du matin et fini par faire un triomphe. Le plus important, ce sont les titres qui rappellent des souvenirs personnels au public», nous disait-il en 2018.
Désormais produit par la société Décibels Productions, Michel Polnareff a envie d’innover avec son nouveau spectacle. Exit les pénibles musiciens californiens au jeu clinquant et tapageur. Le groupe est désormais constitué de Britanniques ayant prêté leurs services à des artistes comme Jamiroquai ou James Blunt. Fini les chorus de guitare bavards de Tony MacAlpine ! Les affiches de la tournée, pour laquelle il ne reste que très peu de billets en vente, avaient repris la scandaleuse photo de 1972. La France pompidolienne s’était alors considérablement émue que le chanteur dévoile son postérieur en 4×3 dans les rues et les couloirs du métro. « Peut-être dans deux siècles serai-je celui qui a montré son cul sur une affiche. Il y a probablement des gens qui n’aiment pas ma musique, mais bien mon cul. Quand on pense que cette affaire m’a tout de même coûté de devoir partir de France et que, maintenant, c’est présenté comme un événement majeur, c’est assez comique. On me demande la permission de mettre l’affiche dans le métro, dans les musées », nous expliquait-il en 2016, amusé. Bien sûr, dans la France de 2023, on ne fait plus scandale avec une paire de fesses.
Avec un Polnareff installé sur une scène centrale tournante, ce qui représente une gageure technique dans les Zénith, la tournée de 30 dates passera également par les festivals d’été, notamment Les Nuits de Fourvière à Lyon ou les Francofolies de La Rochelle. Selon Pierre-Alexandre Vertadier, son producteur, « Michel est très concentré, concerné et complètement tourné vers la musique » Quarante-huit heures avant de fouler les planches. « Il a envie d’arrangements nouveaux, et aussi de garder de la liberté dans la set list. » On ne sait ainsi pas combien de chansons seront jouées au piano. « Ma seule interrogation, c’est de savoir combien de temps ça peut être spectaculaire », se demandait l’artiste l’an passé. « Ce que je veux, c’est que le public soit content d’être venu. » Quitte à surprendre. Lors de son spectaculaire retour sur scène de 2007, trente-quatre ans après son dernier concert, l’exilé le plus connu de France avait frappé très fort. En forme vocale éblouissante, il avait ravi plusieurs générations de fans avec des concerts très généreux, pour un total de soixante représentations dont douze à Bercy !
En 2023, Polnareff innove en s’appuyant notamment sur un nouveau dispositif vidéo. Ce féru de technologie, grand amoureux des gadgets en tout genre, s’amuse beaucoup à régler les détails. Obsessionnel du son doté de l’oreille absolue, le chanteur s’épanouit aussi dans l’image. Depuis cinquante ans, la sienne repose sur une paire de lunettes noires cerclées de blanc. Au moment d’annoncer son retour scénique en 2007, l’affichage ne reposait que sur cet élément visuel, sans renfort de nom. C’est dire la force de l’adhésion entre l’artiste et son pays, qui ne cesse de retrouver ce fils prodige. Lequel, en mal d’affection depuis l’enfance et les assauts d’un père violent, n’a jamais cessé d’être un sentimental. L’Immortel Jean-Loup Dabadie l’avait bien compris, qui lui avait tissé sur mesure le texte de Lettre à France, supplique bouleversante adressée par-delà les océans, qui marqua l’acmé des dix premières années de la carrière de Polnareff.
C’est depuis cette époque – le milieu des années 1970 – que l’homme s’est établi en Californie. D’abord pour se refaire financièrement après avoir été es- croqué par un homme d’affaires peu scrupuleux, puis pour développer sa musique à la source. Il est ainsi le premier Français à signer avec le producteur légendaire Ahmet Ertegün (Rolling Stones, Led Zeppelin), qui lui ouvre grand les portes du label Atlantic, celui de Ray Charles et d’Aretha Franklin. Le résident de Palm Springs entretient savamment sa nostalgie de son pays. « En tant que Français établi en Californie, je suis heureux de retrouver les choses que j’aime ici depuis tout petit. Je me ressource des États-Unis en France et de la France aux États-Unis », dit-il dans une formule comme il les affectionne et qui font le sel de son interaction active entre ses fans – les « Moussaillons » ! – et « l’Amiral », sur les réseaux sociaux. « Je communique avec une petite minorité de fans purs et durs, ce n’est pas la majorité du public. On se plaint d’un monde dans lequel tout le monde est sur- veillé, mais ça fait partie du jeu. Quand on est perdu comme moi au milieu du dé- sert, on peut envoyer un signal et quelqu’un vient nous chercher. » Michel Pol- nareff n’a jamais cessé de se rappeler au souvenir des Français, même au milieu des années 1990, lorsqu’il enregistra un concert intimiste au Roxy, club de Los Angeles, qui marquait son retour six ans après avoir été le fantôme du Royal Monceau pendant de longs mois. Maître de la mise en scène, il avait alors entraîné l’animateur de télévision Michel Denisot dans le désert, le temps d’une interview au piano. Dernièrement, Polnareff s’est prêté aux questions de Nikos Aliagas dans le cadre de « 50 minutes inside », où il s’épanche davantage sur sa vie de famille que son activité musicale. Et où il rappelle opportunément que l’heure de la retraite n’a pas encore sonné pour lui. Ses 79 ans, il les fêtera sur la scène de l’Accor Arena, le 3 juillet prochain. Contemporain des Stones, il semble comme eux incapable de décrocher. S’il avoue disposer de dizaines d’heures de musique inédite, aucune nouvelle chanson n’est annoncée pour la tournée ni pour un éventuel album.
Le jeune homme timide qui chantait sur les marches du Sacré-Cœur, après avoir été mis à la porte par son père, est devenu un des plus grands mythes de la pop française. Sans plan de carrière ni boussole, cet original acharné a imposé son tempo et sa cadence à tous ses collaborateurs. Il ne s’est jamais soumis, à part peut-être aux contingences du cinéma, pour lequel il a composé plu- sieurs bandes originales marquantes. Une activité qui ne semble guère l’intéresser aujourd’hui. Michel Polnareff n’a plus rien à prouver, sauf peut-être à lui-même. Méprisé par son père à cause de son amour pour le rock’n’roll, il a laissé un legs artistique plus important que celui de Léo Poll, pseudonyme de Leib Polnareff, natif d’Odessa installé à Paris, compositeur et pianiste pour Édith Piaf. Un fantôme encore bien présent dans la psyché de son fils mal aimé. ■
O. N.
Michel Polnareff est en tournée en France : 24 mai à Nice, le 30 à Nantes, le 31 à Poitiers, le 1er juin à Orléans, le 3 à Saint-Étienne, le 4 à Genève, le 5 à Dijon, le 9 à Brest, le 10 à Rouen, le 11 à Amiens, le 15 à Reims, le 16 à Lyon, le 17 à Amnéville, le 18 à Strasbourg, le 22 à Bordeaux, le 23 à Toulouse, le 24 à Clermont-Ferrand, le 30 à Bruxelles, le 1er juillet à Douai, le 8 à Nîmes…