vendredi 22 novembre 2024
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Chemins d’écriture / Dans la chaleur de la nuit barbare, avec le Franco-Algérien Zadig Hamroune

Amoureux du Caravage, de Flaubert et de Mozart, Zadig Hamroune livre avec La nuit barbare un roman autobiographique lyrique, structuré en un succédané de fresques impressionnistes où les images ont la couleur des sentiments. La nuit barbare est le troisième roman sous la plume de ce Franco-Algérien, passionné par la poésie et l’écriture.

« Je chantonnais joyeusement sur le chemin du collège. La voix intérieure est indocile. Elle nous accompagne, fredonne, fait rimer nos pensées éparses, imprime son phrasé sur l’interligne entre le réel et l’être (…). En sourdine, puis soudain éructant, une autre voix s’interposa : « Raclure, salope, tantouze. Tu n’es qu’une merde ! » Je pressai le pas. Je me bouchai les oreilles mais la voix était impérieuse. Je ne pouvais plus faire diversion avec mes chansons de pédé, mes leurres. »

Peut-on être arabe et pédé, s’interroge le jeune Lyazid, qui a grandi dans la campagne normande, à quelques encablures de Caen. Lyazid est le héros-narrateur de La nuit barbare, poignant roman autobiographique de l’Algérien Zadig Hamroune.

La nuit barbare est un Bildungsroman, sur le modèle des Mots sartriens ou L’Âge d’homme de Michel Leiris. Ce roman, dont l’action se déroule dans les années 1970 dans la ville de Hérouville Saint-Clair, raconte l’apprentissage de la vie par le personnage central, tiraillé entre sa double culture et cherchant désespérément à percer le mystère de ses désirs charnels pour les hommes.

C’est dans les larmes et à travers des combats corps à corps que s’effectue l’éducation de l’adolescent. Il n’aime pas son corps grassouillet et a honte de ses comportements peu virils. Il se réfugie dans la littérature et l’art, dans l’espoir d’y trouver des réponses aux questions qu’il se pose sur la société, sur son identité sexuelle et sur la vie en général. « J’ai voulu raconter, explique l’auteur, le parcours, une espèce de rédemption à travers l’art, la littérature, la musique, la danse, l’opéra, l’art en général. La peinture aussi, bien sûr, puisqu’il y a beaucoup de références au Caravage que je considère comme mon alter ego. Je veux raconter l’itinéraire de cet enfant qui se sentait mal à l’aise dans son milieu d’origine, qui se sentait transfuge avant de changer de classe sociale et qui aspirait à autre chose. Cet enfant a vécu des traumas, des violences… »

Une mère souveraine

Les Hamroune sont une famille algérienne, originaires de la Kabylie profonde, installés en France depuis 1945 pour le père et 1958 pour la mère. Le père était ouvrier chez Renault et la mère femme au foyer et conteuse en ses heures perdues. Le fils s’est fait connaître en 2015 en publiant son premier roman, Le Pain de l’exil, une biographie romancée de ses parents. Après un second roman, plus historique, intitulé Le Miroir des princes (2019), l’écrivain est revenu dans son nouveau roman à l’histoire de sa famille et à son histoire personnelle. La mère y occupe une place prépondérante.

« J’ai toujours eu l’impression d’écrire pour quelqu’un ou à la place de quelqu’un, à la place de ma mère par exemple, qui était une conteuse de tradition orale. Ma mère aussi m’avait un petit peu choisi pour ce rôle-là puisque très tôt, elle m’a choisi comme secrétaire administratif pour les documents de la vie courante, mais aussi pour sa correspondance, puisque quand elle écrivait des lettres, elle me demandait à moi de les écrire. Et je ne sais pas pourquoi elle m’a choisi. Moi, peut-être que j’étais le plus disponible et qu’on avait beaucoup d’affinités, mais je crois que son critère essentiel, c’était le fait que, ne sachant pas écrire elle-même, elle… »

La nuit barbare s’ouvre sur la mère, cette femme totalement analphabète, mais régnant en souveraine sur sa vaste tribu, composée de son mari et de ses neuf enfants. « C’était à son image que j’imaginais la Kahina, notre héroïque reine guerrière à la tête de ses troupes… », écrit le fils, transi d’admiration.

« Normand d’adoption et Kabyle d’instinct »

La double culture est le deuxième grand thème de ce roman, incarné par le narrateur, Lyazid, double de l’auteur. « Chouchou de sa mère » qui ne jure que par sa culture kabyle, il est paradoxalement celui qui va aller le plus loin dans l’exploration de l’altérité.

L’homme aime à se proclamer « Normand d’adoption et Kabyle d’instinct ». Il apprend par cœur les premières lignes de Salammbô « pour s’en imprégner durablement », il lit la Bible et fréquente des musées pour entrer en communion avec les artistes.

Le tournant de sa quête sera la visite du musée des Beaux-Arts de Rouen, où il découvre l’œuvre du Caravage, le peintre des ombres. Bouleversé par la vie et l’œuvre de ce frère d’âme en colère et en souffrance, le jeune Kabyle fait de l’art tourmenté du peintre d’il y a quatre siècles le modèle de sa propre œuvre à venir.

En attendant, y trouvera-t-il la force de se libérer de la « nuit barbare » d’abus et de violences au quotidien à laquelle il est confronté dans le microcosme familial d’Hérouville Saint-Clair devenu sa prison ? Telle est la question sur laquelle se clôt ce beau roman de résilience et d’émotion contenue.

M. B.