La vente, par les deux géants de l’internet, du « projet Nimbus » à l’État hébreu, dont de nombreux observateurs redoutent une utilisation militaire, ne passe pas auprès d’une partie des employés.
Après les campus américains, c’est désormais au tour des géants de la tech d’être traversés par de vifs débats sur le conflit israélo-palestinien. La question suscite depuis quelques mois d’importantes contestations internes chez Google et Amazon. Les remous au sein des deux firmes ne sont pas nouveaux, mais la guerre à Gaza a remis en lumière la crainte de voir les technologies d’intelligence artificielle développées par ces entreprises être utilisées à des fins militaires par Israël.
En 2021, le ministre des Finances israélien annonce la signature avec Amazon et Google d’un contrat faramineux de 1,2 milliard de dollars en échange de l’installation de centres de données régionaux en Israël, assortie de l’utilisation de ses services d’intelligence d’artificielle et de sauvegarde dans le cloud.
Un contrat dénoncé depuis sa signature
À l’époque déjà, de nombreux employés émettent de vives inquiétudes quant à ce contrat. Une première tribune signée par des employés de Google et Amazon avait été publiée par le Guardian en octobre 2021 pour dénoncer le « projet Nimbus » et la « vente d’une technologie dangereuse à l’armée et au gouvernement israélien » qui pourrait permettre « une surveillance massive des Palestiniens et une collecte de données illégale », notamment en matière de reconnaissance faciale.
Mais la pression est encore montée d’un cran le 4 mars dernier. Un jeune ingénieur de Google, portant un tee-shirt siglé du slogan « No Tech for Apartheid » a interrompu une conférence sur la tech israélienne se tenant à New York et sponsorisée par le moteur de recherche en criant devant le public : « Je suis ingénieur logiciel chez Google et je refuse de créer une technologie qui alimente un génocide, l’apartheid ou la surveillance ». Le jeune homme de 23 ans est alors évacué manu militari de la salle. Trois jours plus tard, il est convoqué par ses supérieurs et licencié par Google.
Un mouvement qui prend de l’ampleur
Eddie Hatfield est ainsi devenu le visage d’un mouvement de protestation qui traverse Amazon et Google depuis la signature du « projet Nimbus » avec Israël, et prend de l’ampleur depuis le début de la guerre à Gaza. Près d’un millier d’employés seraient rassemblés derrière « No Tech for Apartheid », dont au moins 200 chez Google, selon le Time. Ils manifestent depuis plusieurs mois devant les locaux des deux géants du net, et réclament la fin pure et simple de leurs activités avec Israël.
Je refuse de fermer les yeux quand mon employeur alimente la destruction et la mort. Je refuse de ne rien dire alors que mes collègues sont victimes de représailles. Je refuse de me taire.
Mardi 16 avril, en marge de plusieurs sit-in organisés à l’initiative de « No Tech for Apartheid », des employés de Google ont investi le bureau du PDG de Google Cloud, Thomas Kurian, au siège de Google à Sunnyvale en Californie. Ils ont refusé de sortir pendant près de dix heures avant d’en être délogés puis arrêtés par la police.
Les premières craintes des employés de Google et Amazon quant à l’utilisation des technologies qu’ils développent ne datent cependant pas d’hier. En 2018, plus de 3 000 employés de Google avaient signé une lettre ouverte à l’attention de leur PDG Sundar Pichai affirmant que « Google ne devrait pas être impliqué dans le business de la guerre ». Une levée de boucliers qui avait poussé l’entreprise, cette même année, à mettre fin à son partenariat avec le département américain de la Défense dans le cadre du développement d’une intelligence artificielle, connue sous le nom de « Projet Maven ».
Des technologies accessibles au ministère de la Défense
Cette fois, le « projet Nimbus » est destiné à un usage civil pour certains « ministères du gouvernement israélien, tels que la santé, le transport et l’éducation », a affirmé un porte-parole de l’entreprise au Time, prenant soin de préciser qu’il n’était pas destiné à un usage militaire ou de renseignement.
Mais d’après les dernières informations de l’hebdomadaire américain, les technologies fournies par Google dans le cadre de ce projet sont bel et bien accessibles au ministère de la Défense israélien. Selon un document daté du 27 mars 2024 que le magazine a pu consulter, Israël et Google Cloud ont renforcé leur partenariat et l’armée israélienne aurait désormais la possibilité de stocker et de traiter de nombreuses données tout en accédant aux technologies d’intelligence artificielle de Google.
Des révélations qui interviennent alors même que de nombreuses sources rapportent depuis plusieurs semaines que l’armée israélienne aurait recours à l’intelligence artificielle pour massivement bombarder la bande de Gaza. Aucune preuve ne permet jusqu’ici d’affirmer que les technologies de Google ont été utilisées dans ce cadre. Mais si tel était le cas, cela violerait très clairement les principes édictés par l’entreprise en matière d’utilisation de l’intelligence artificielle. Dans sa charte, Google exprime en effet clairement que ses travaux sur l’IA ne doivent pas être utilisés pour développer « des armes ou d’autres technologies dont le but principal ou la mise en œuvre est de causer ou de faciliter directement des blessures à des personnes ».
P. F.