L’arrivée à Taipei de cinq membres du Congrès américain provoque de nouveau la colère de Pékin, qui sanctionne sept responsables de l’île
Les manœuvres militaires chinoises autour et au-dessus de Taïwan, commencées après la visite, début août, de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, s’étaient à peine achevées qu’une nouvelle délégation venue de Washington atterrissait sur l’île. L’arrivée, dimanche 14 août, de cinq membres du Congrès, conduits par le sénateur démocrate Ed Markey, a provoqué une nouvelle colère de Pékin, qui a de nouveau procédé à d’importantes manœuvres. Selon les autorités taïwanaises, quinze avions chinois ont franchi, cette fois, la ligne médiane, considérée comme la frontière officieuse entre la Chine et Taïwan, mais jamais reconnue par Pékin. Mardi 16 août, la Chine a également annoncé sanctionner sept responsables taïwanais dont six dirigeants du Parti démocrate progressiste, le parti au pouvoir. Ceux-ci ne sont plus autorisés ni à se rendre en Chine ni à commercer avec elle. Ces tensions marquent une véritable escalade dans les relations entre les deux rives du détroit de Taïwan et, partant, entre Pékin et Washington. Les visites de parlementaires n’ont pourtant rien d’inhabituel. Ces dix dernières années, selon les autorités taïwanaises, soixante et onze élus américains se sont rendus sur l’île durant la seconde présidence de Barack Obama (2012-2016), trente-cinq pendant le mandat de Donald Trump, et trente et un depuis l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden. Mais elles prennent aujourd’hui une autre dimension. « La Chine croit que la politique traditionnelle d’une seule Chine est en train d’évoluer vers une politique “une Chine, un Taïwan”. Ce n’est pas une lecture pertinente de la vision américaine de Taïwan, mais cela explique pourquoi la Chine signale plus clairement que jamais sa volonté d’attaquer », relève l’ancien premier ministre australien, le sinologue Kevin Rudd, dans le Wall Street Journal. La volonté de certains élus américains de renoncer à « l’ambiguïté stratégique » de Washington à l’égard de Taïwan et de reconnaître l’île comme un « allié majeur hors OTAN », en lui fournissant des armes en conséquence, ne peut que renforcer Pékin dans ses convictions.
« Pas une simulation »
En Chine, les débats sont évidemment moins transparents, mais tout indique que, là aussi, les faucons ont le vent en poupe. En tout cas, la censure laisse les nationalistes regretter, par exemple, que l’aviation chinoise n’ait pas empêché, début août, Nancy Pelosi d’atterrir à Taïwan. Et l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, se permet de dire qu’une fois la réunification achevée, il faudra « rééduquer » les Taïwanais − terme employé par Pékin pour définir sa politique à l’égard des Ouïgours au Xinjiang. Le président Xi Jinping ne s’est pas exprimé sur le sujet. Comme tous les ans à la même époque, les dirigeants chinois sont d’ailleurs invisibles. Ils sont très vraisemblablement réunis à Beidaihe, cette station balnéaire située à 200 kilomètres à l’est de Pékin, où ils préparent la rentrée au cours de rencontres aussi informelles que secrètes. C’est sans doute là que se font les derniers arbitrages en vue du 20e congrès du Parti communiste chinois qui, cet automne, accordera un troisième mandat de secrétaire général à Xi Jinping. Si celui-ci est resté silencieux, le gouvernement a publié, le 10 août, un Livre blanc sur Taïwan « pour démontrer la détermination du Parti communiste chinois et de la population chinoise, ainsi que leur engagement à la réunification nationale ». Deux Livres blancs avaient déjà été édités sur le sujet : en 1993 et en 2000. Le dernier opus précise que la « réunification complète » est « indispensable à la réalisation du renouveau chinois ». Un « renouveau » mis en avant par Xi Jinping dès son arrivée au pouvoir en 2012, et qu’il entend incarner. Or, si le Livre blanc précise que Pékin a toujours privilégié une « réunification pacifique », la dernière version est beaucoup moins affirmative que précédemment. Présente en 1993 et en 2000, la phrase selon laquelle la Chine « n’enverra pas de troupes et de personnel administratifs stationnés à Taïwan » après la réunification a disparu. Une occupation militaire de l’île n’est donc plus exclue. D’une ampleur exceptionnelle, les manœuvres que Pékin entreprend depuis début août ont comme objectif de démontrer que l’armée chinoise est apte au combat. « Les exercices qui ont démarré le 5 août n’étaient pas une simulation mais la réalité, un blocus de l’île que la Chine peut prolonger autant qu’elle le souhaite », note même la revue en ligne Asia Times. Selon la presse chinoise, de tels exercices sont amenés à devenir la norme. « Les manœuvres d’encerclement de Taïwan ne sont pas terminées », explique un expert militaire dans le Global Times du 16 août. « Maintenant que l’Armée populaire de libération a franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan, ainsi que la ligne des 12 miles nautiques, ses manœuvres militaires qui simulent de vrais combats sont devenues la nouvelle normalité. La Chine peut maintenant décider qu’un futur exercice devienne un vrai combat », argumente Chen Feng, un des responsables de la revue nationaliste Guancha. Les autorités taïwanaises affirment qu’elles ne se laisseront pas intimider. Mais, les risques de conflit sont d’autant plus grands que la Chine, en représailles à la visite de Mme Pelosi, a coupé la quasi-totalité des canaux de communication avec les Etats-Unis.
Frédéric Lemaître in Le Monde