Vladimir Poutine a entamé, ce jeudi 16 mai, sa première visite officielle depuis sa réélection en mars. Pour la deuxième fois en un peu plus de six mois, il se rend en Chine à la rencontre de son homologue, Xi Jinping. Un voyage qui ne doit rien au hasard : Russie et Chine collaborent étroitement, notamment sur le volet économique. Un enjeu crucial pour Moscou en pleine offensive dans la guerre en Ukraine.
Le président Vladimir Poutine a rencontré, jeudi à Pékin, son homologue et « cher ami », Xi Jinping, avec l’espoir de le convaincre d’apporter un soutien plus appuyé à l’effort de guerre russe en Ukraine. Cette visite de deux jours constitue le premier voyage à l’étranger de M. Poutine depuis sa réélection en mars et son deuxième en Chine en un peu plus de six mois.
Xi Jinping l’a reçu dans la matinée lors d’une cérémonie d’accueil en grande pompe à Pékin, devant l’immense Palais du peuple qui donne sur la place Tiananmen. Les deux hommes se sont serré la main, tandis qu’une fanfare jouait les hymnes russe et chinois, selon des images de la télévision d’État CCTV.
La relation Chine-Russie « est non seulement dans l’intérêt fondamental des deux pays et des deux peuples, mais elle est également propice à la paix », a estimé Xi Jinping, selon des propos rapportés par le ministère chinois des Affaires étrangères. Quant à Poutine, il a qualifié la proximité entre les deux pays de « facteur de stabilité sur la scène internationale ».
Le géant asiatique est une planche de salut économique cruciale pour la Russie, en proie à de lourdes sanctions occidentales prises pour la punir de son offensive militaire en Ukraine. Quelques heures avant son départ, Vladimir Poutine s’est félicité des avancées en Ukraine de l’armée russe qui a revendiqué la prise de plusieurs localités dans la région de Kharkiv (nord-est) : « Nos troupes améliorent constamment, chaque jour, leurs positions dans toutes les directions », a-t-il assuré.
Tout juste de retour d’une tournée en France, Serbie et Hongrie, Xi Jinping y a défendu le droit de maintenir avec son voisin russe des liens économiques normaux. La Chine bénéficie notamment d’importations d’énergie russe bon marché. Les deux pays avaient célébré début 2022, juste avant le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, un partenariat bilatéral décrit comme « sans limites ».
L’axe Chine / Russie se positionne comme une alternative à l’Occident
« C’est le premier voyage de Poutine après son investiture et il est donc destiné à montrer que les relations sino-russes montent encore d’un niveau », a déclaré l’analyste russe indépendant Konstantin Kalachev. « Sans oublier l’amitié personnelle visiblement sincère entre les deux dirigeants », conclut-il.
La multiplication des visites russes en Chine instaure presque une « sorte de tradition diplomatique », explique Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine et chercheur associé à l’INALCO. Selon lui, l’idée est de « lancer un signal très fort de la consolidation du lien sino-russe en direction de l’Occident en général. […] Il y a un message qui est très clair, envoyé à une partie de l’Asie, une partie de l’Afrique, une partie de l’Amérique latine et du Moyen-Orient. Ce message, donc : il existe une alternative, dans les affaires mondiales ».
Mais ces liens étroits sont vus avec une suspicion croissante chez les Occidentaux. Les États-Unis menacent ainsi de sanctionner les entreprises étrangères, en particulier les banques, qui travaillent avec la Russie. Le Kremlin a dit cette semaine que les deux présidents évoqueraient surtout « les domaines clés de développement de la coopération russo-chinoise, tout en échangeant aussi leurs points de vue sur les questions internationales et régionales ».
Ligne rouge américaine
Dans un entretien avec l’agence de presse officielle Chine nouvelle paru mercredi, Vladimir Poutine a salué le « désir sincère » de Pékin d’œuvrer au règlement de la crise ukrainienne. La Chine appelle régulièrement au respect de l’intégrité territoriale de tous les pays (sous-entendu Ukraine comprise), mais exhorte aussi à prendre en considération les préoccupations de sécurité de la Russie.
Washington a fixé une ligne rouge à Pékin : ne pas fournir directement d’armes à la Russie. Et à ce jour, les Américains assurent ne pas avoir eu la preuve du contraire. Mais les États-Unis estiment que le soutien économique chinois permet tout de même à la Russie de renforcer sa production de missiles, de drones et de chars. Les échanges commerciaux sino-russes ont explosé depuis l’invasion de l’Ukraine et ont atteint 240 milliards de dollars (222 milliards d’euros) en 2023, selon les douanes chinoises.
Reste que les exportations chinoises vers le voisin russe étaient sensiblement plus basses en mars et en avril 2024 que sur la période janvier-février, après des menaces de Washington de sanctionner les institutions financières soutenant l’effort de guerre russe. Car un décret signé en décembre par le président américain Joe Biden autorise désormais des sanctions secondaires contre les banques étrangères liées à la machine de guerre russe. En clair : le Trésor américain peut les exclure du système financier mondial, fondé sur le dollar.
En Chine, un peu moins de Russie pour plus d’États-Unis ?
La Chine cherche de toute façon à renouer ses liens avec les États-Unis et pourrait donc être réticente à vouloir renforcer sa coopération avec la Russie, malgré les attentes de cette dernière, selon des analystes. Plusieurs banques chinoises ont ainsi interrompu ou réduit leurs transactions avec leurs clients russes, selon huit ressortissants des deux pays impliqués dans le commerce bilatéral.
Les banques « partent du principe qu’il vaut mieux être prudent que faire quelque chose qu’on pourrait regretter par la suite », déclare Alexandre Gabouïev, le directeur du Centre Carnegie Russie Eurasie. « Arriver à déterminer si des paiements sont liés au complexe militaro-industriel russe […] représente une difficulté considérable pour les entreprises chinoises, dont les banques ».
Pendant cette visite de Vladimir Poutine, des experts s’attendent toutefois à ce que Moscou et Pékin célèbrent leur partenariat et signent plusieurs accords commerciaux. Les deux dirigeants devraient par ailleurs publier une déclaration commune et assister à une soirée marquant les 75 ans de relations diplomatiques entre leurs pays, selon le Kremlin. Vladimir Poutine doit également rencontrer le Premier ministre Li Qiang puis se rendre vendredi à Harbin (nord-est) pour visiter une foire dédiée au commerce et aux investissements.
Russie/Chine : des relations commerciales renforcées
Le choix de la destination de Vladimir Poutine ne doit rien au hasard. Chine et Russie décrivaient il y a un peu plus de deux ans leur « amitié sans limites », mais celle-ci a franchi un nouveau cap depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Notamment sur le plan commercial. Les échanges entre la Chine et la Russie ont bondi en 2023 pour atteindre près de 240 milliards de dollars. Depuis la guerre en Ukraine, Pékin exporte massivement ses produits sur le marché russe. La Russie est même devenue le premier débouché pour les véhicules chinois.
Moscou, de son côté frappé par les sanctions occidentales et privé du marché européen pour livrer son gaz et son pétrole, s’est tourné vers son voisin. Pékin est aujourd’hui premier acheteur d’énergie russe. Le pétrole brut arrive en tête, devant le gaz et le charbon. Des revenus essentiels pour les finances du Kremlin. Pékin reste cependant attentif aux menaces de sanctions américaines contre ceux qui soutiendraient l’effort de guerre russe en Ukraine. En février, la principale banque chinoise pour les importateurs russes a bloqué ses paiements liés à la Russie, avant d’être imitée par d’autres établissements. Et cela se ressent sur les exportations chinoises, qui ont reculé en mars et en avril.
M. B.