jeudi 21 novembre 2024
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Invité international / Reconnaissance d’un État palestinien : « Le noyau dur du refus est en train de se fissurer »

L’Irlande, l’Espagne et la Norvège ont annoncé leur intention de reconnaître un État de Palestine. Furieux, Israël a rappelé plusieurs de ses ambassadeurs. Le Premier ministre irlandais espère convaincre d’autres pays européens de faire de même, mais les Vingt-Sept sont divisés. Qu’est-ce que cette décision pourrait changer sur la scène internationale ? L’analyse de Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Iremmo et professeur émérite des universités. Il est co-auteur de Le rendez-vous manqué des peuples – De l’échec des révolutions populaires aux dérives populistes, aux éditions Autrement.

RFI : Cela fait plus de sept mois maintenant que la guerre dure à Gaza. Pourquoi faire cette annonce maintenant ?

Jean-Paul Chagnollaud : Je crois que ce sont des pays qui réfléchissaient déjà depuis longtemps à cette possibilité de reconnaître l’État de Palestine. Ce sont des pays qui ont toujours été en pointe sur cette question du conflit israélo-palestinien. Il faut se souvenir que la Norvège était quand même le pays qui a joué un rôle important au moment des accords d’Oslo, que l’Espagne a [aussi] joué un rôle important dans ces mêmes accords, en organisant avant la conférence de Madrid. L’Irlande a toujours été dans cette voie-là. Donc c’est une vieille histoire.

Je pense que ce qui vient de se passer depuis six mois, sept mois, a simplement rappelé l’urgence de penser à un règlement politique global pour en finir avec ces guerres et ces tragédies. Et je crois que c’est ça l’élément déclencheur. Et ça a beaucoup sensibilisé les opinions publiques et un certain nombre de gouvernements sensibles, eux aussi, à leur opinion publique.

Je crois que c’est l’idée que, comme ils l’ont d’ailleurs exprimé au moment de cette reconnaissance, il faut sortir de cet enchaînement de violence et de guerres, de guerres sans fin. Et donc le seul moyen, c’est un règlement politique, et la seule solution d’un règlement politique, c’est évidemment une solution à deux États.

Et si on parle en ces termes, ça veut dire qu’il faut commencer par dire les choses très simplement : Israël a des besoins de sécurité, mais est un État constitué et reconnu. Il faut que les Palestiniens aient aussi le leur. Je crois que c’est ça la logique de leur démarche qui a été évidemment précipitée par les drames que l’on voit à Gaza depuis maintenant sept mois.

Avec ce message de la Norvège, par exemple, ce mercredi matin, qui dit vouloir encourager les modérés des deux côtés. Les positions sont quand même assez différentes au sein de l’Union européenne. Le ministre français des Affaires étrangères a réagi tout à l’heure en expliquant que la question n’était pas taboue, mais que ce n’était pas le bon moment pour,ce que le Quai d’Orsay appelle un « outil diplomatique ». Vous pensez que Paris viendra un moment à cette reconnaissance ?

Il faut rappeler que le Sénat et l’Assemblée nationale en France, il y a dix ans exactement, ont demandé au gouvernement de reconnaître l’État de Palestine. On a un peu oublié ces deux résolutions, mais il faut les rappeler quand même.

Et donc ça fait dix ans que ce sujet est sur la table en réalité. Ce n’est pas simplement que ce n’est pas tabou, c’est un débat qui a été très souvent évoqué et puis abandonné ces dernières années, en tout cas ces deux, trois dernières années, parce qu’on pensait que la question palestinienne était finalement, quelque part, marginalisée et passée pour profits et pertes. Et puis le 7 octobre a réveillé tout ça, évidemment. Et tout ce qui s’est ensuivi par la suite a fait qu’on se rend bien compte de l’urgence du règlement politique.

La France, là-dessus, a une position très claire en termes de perspectives. Elle est aussi sur l’idée d’une solution à deux États, mais elle reste très timorée, très hésitante sur le moment de la décision de le faire. Donc, on n’arrête pas d’avoir ces déclarations en demi-teintes, mais qui ne sont pas très efficaces, à moins qu’ils ne préparent une initiative plus forte pour faire en sorte que la reconnaissance de l’État de Palestine puisse être au fond un premier pas vers un processus de négociation.

Mais on n’en est pas là et le danger de dire « on le fera le moment venu », c’est que ce moment venu n’arrive jamais. Donc, je crois qu’à un moment donné, il faut prendre ses responsabilités. Et c’est un peu dommage que la France n’ait pas saisie cette occasion de ces pays du cœur de l’Europe de l’Ouest de faire cette démarche qui permettait de poser clairement les problèmes et montrer que la seule perspective était celle d’un règlement politique, un règlement de paix, sur la base des résolutions des Nations unies, ni plus ni moins.

D’autant que ces pays ne cachent pas leur intention d’en convaincre d’autres de les suivre, de se rallier à cette position de reconnaître un État palestinien. Là, on parle bien de position nationale. Le seul vrai instrument de reconnaissance, en fait, ce sont les Nations unies. Et si on a vu que les soutiens étaient plus nombreux pour la Palestine lors des derniers votes sur la question, ça ne change pas. Qu’est-ce qui bloque à l’ONU ?

À l’ONU, on l’a vu très clairement – et d’ailleurs, ça montre aussi une contradiction de la politique française – il y a eu une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui demandait l’admission de la Palestine comme État à part entière aux Nations unies, ce qui aurait été un moment très important. La France a voté ce texte, la Grande-Bretagne s’est abstenue et on a eu, comme c’est le cas dans ces situations-là, un veto des États-Unis. Donc ce qui bloque, ce sont clairement les États-Unis. Ce sont eux qui, à la fois, prétendent qu’il faut un « après » cette guerre et qu’il faut réfléchir à un règlement politique et qui, en même temps, bloquent les initiatives aussi importantes que celles dont je viens de parler.

Et la France est un peu dans une contradiction lorsqu’elle vote pour l’admission de l’État de Palestine aux Nations unies et en même temps tergiverse sur la question de la reconnaissance de cet État, par nous-mêmes.

Et qu’est-ce que ça change, une reconnaissance ? Qu’est-ce que ça a comme conséquence au niveau international pour les Palestiniens ?

Prenons les choses à l’envers : si vous prenez la géopolitique mondiale, où sont les États qui n’ont pas reconnu l’État de Palestine ? On peut résumer les choses en disant que c’est l’Ouest, c’est l’Occident, et en particulier l’Europe de l’Ouest et les États-Unis. Même le Canada est en train de réfléchir à son tour. Donc pour les Palestiniens, ça veut dire que là où est le noyau dur du refus, il est en train de se fissurer. Au cœur de l’Europe de l’Ouest, il y a des États qui franchissent le pas. Et pour les Palestiniens, c’est très important en termes de rapport de force sur le plan diplomatique.

Si vous prenez l’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique, il y a de très larges majorités en faveur de la reconnaissance de la Palestine depuis longtemps. Donc, il reste ce bloc de l’Europe de l’Ouest. Et finalement, dans l’Europe de l’Ouest aujourd’hui, il y a cette fissure : il y a les trois États dont on vient de parler, la Slovénie n’en est pas loin, Malte [aussi], la Suède, dont on ne parle pas, l’a fait en 2014… tous les États qui étaient autrefois des pays socialistes avant d’entrer dans l’Union européenne ont aussi reconnu l’État de Palestine.

Finalement, il reste les Pays-Bas, la Belgique aussi est prête à le faire… il y a vraiment une vraie fissure au sein des Européens de l’Ouest surtout. Pour les Palestiniens, c’est effectivement une victoire. L’OLP parle de victoire historique, c’est peut-être un peu excessif, mais en tout cas, c’est vrai que pour eux, c’est très important de voir qu’une bonne partie de l’Occident reconnaît ce qui est au fond une chose assez élémentaire, leur droit à avoir un État, comme l’affirment depuis si longtemps les résolutions des Nations unies.

Avec une question de positionnement politique palestinien aussi qui se joue ?

Je crois que les Palestiniens n’ont pas d’autres cartes aujourd’hui, compte tenu des contradictions malheureuses qui, elles, sont très lourdes entre le Hamas et le Fatah. C’est vrai qu’ils ont une carte à jouer, c’est la diplomatie, ce qu’ils font depuis longtemps. Ils l’ont fait aux Nations unies, ils l’ont fait de manière bilatérale et puis ils l’ont fait aussi à la Cour pénale internationale, avec le résultat que l’on sait puisqu’ils ont déposé des plaintes. Ces plaintes ont abouti. Donc, ils sont de plus en plus forts sur le plan diplomatique et ça pose évidemment des problèmes majeurs pour Israël.

In RFI