vendredi 22 novembre 2024
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Le plateau tibétain, le «château d’eau de l’Asie», menacé par le réchauffement climatique

Le plateau tibétain abrite les sources des principaux fleuves et rivières d’Asie. Une récente étude publiée dans la revue Nature révèle qu’avec le réchauffement climatique, les ressources du « château d’eau de l’Asie » diminuent, augmentant ainsi le risque de pénurie d’eau.

Perché à 4 000 mètres d’altitude et abritant le toit du monde – le mont Everest qui culmine à 8 849 mètres d’altitude – le plateau tibétain est une ressource importante en eau pour de nombreux pays d’Asie. Étendu sur 2,5 millions de kilomètres carrés et comprenant pas moins de 46 000 glaciers, cette région du monde est également appelée le « troisième pôle », puisqu’elle abrite la troisième plus grande concentration de glace au monde, après les pôles Nord et Sud.

À l’instar de l’Arctique et l’Antarctique, le plateau tibétain est considéré comme un hotspot climatique, puisqu’il subit dangereusement les effets du réchauffement climatique. Une équipe de chercheurs en Chine et aux États-Unis tire la sonnette d’alarme dans une étude publiée dans la revue Nature et avertissent sur la diminution des stocks d’eau du plateau.

« Depuis les vingt dernières années, les glaciers les plus au sud du plateau fondent à vue d’œil », explique le professeur Di Long, co-auteur de l’étude et chercheur à l’université de Tsinghua à Pékin. Avec un climat de plus en plus chaud et humide, « le plateau tibétain perd un peu plus de 10 milliards de tonnes d’eau par an depuis 2002 ». Une fonte des glaces qui devrait se poursuivre puisque les chercheurs prédisent une hausse de la température d’environ 2°C dans cette région d’ici à la fin du siècle s’il n’y a pas une réduction conséquente des émissions carbone dans les dix prochaines années.

Le risque de « débordements brutaux de lacs glaciaires, déjà réel, menacera la sécurité des communautés en aval des glaciers », prévient également le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). D’ici à 2100, le groupe d’experts estime que le ruissellement d’un tiers des grands bassins versants glaciaires serait réduit de plus de 10%, avec des conséquences sévères pour les populations qui dépendent de cette source d’eau.

Une menace pour les populations locales 

Le plateau tibétain héberge les sources des principaux fleuves asiatiques, dont le Mékong, le Brahmapoutre, l’Indus, le Yangtsé ou encore le fleuve Jaune et ses eaux se déversent dans plusieurs pays dont le Pakistan, l’Inde, la Chine, le Népal ou encore le Bhoutan.

Dans un scénario où les émissions carbone restent aux niveaux actuels, les chercheurs ont conclu que deux bassins fluviaux étaient particulièrement concernés par la diminution de leurs ressources, l’Amou-Daria et l’Indus : « Ils sont tous les deux des châteaux d’eau majeurs pour les pays d’Asie centrale, pour l’un, et le Pakistan et l’Inde notamment, pour l’autre. Dans ces régions, la sécheresse et la diminution des ressources en eau vont avoir des conséquences directes pour les populations en aval des rivières et des fleuves. Le risque est qu’il n’y ait pas assez d’eau pour ces personnes », avertit Di Long.

Pour cet ingénieur hydraulique, l’Amou-Daria pourrait ne plus pouvoir répondre à 119% de la demande actuelle en eau, ce qui rendrait les populations déficitaires en eau. Quant au fleuve Indus, il ne sera plus en mesure de répondre à 79% des besoins de la demande actuelle, une pénurie d’eau qui pourrait donc toucher deux milliards de personnes.

Miser sur d’autres ressources en eau 

Face à une potentielle crise de l’eau, quelles sont les solutions ? Pour Michael Mann, l’un des co-auteurs de cette étude et directeur du département des sciences, développement durable et médias de l’université de Pennsylvanie, interrogé par la BBC, les pays qui se trouvent autour du plateau tibétain risquent de rencontrer davantage de périodes de sécheresse, marquées par une diminution des précipitations. Pour lui, il faut impérativement réduire les émissions carbone, sans quoi, il n’y aura plus de retour en arrière possible.

L’étude préconise que les différents gouvernements misent sur d’autres types d’approvisionnement en eau aussi bien au niveau régional que mondial, et ce, de manière collective. Les nappes phréatiques apparaissent comme l’une des solutions pour anticiper de possibles pénuries. « Une autre option serait aussi de déplacer les ressources en eau se trouvant dans d’autres régions vers les zones concernées par le réchauffement climatique sur le plateau tibétain, mais ce sont des solutions coûteuses », estime Michael Mann. Et face à ces problématiques liées aux ressources d’eau, s’ajoutent des enjeux politiques autour des cours d’eaux asiatiques. Les convoitises chinoises par exemple sur le fleuve Mékong ont déjà fait l’objet d’inquiétudes et de tensions géopolitiques dans la région.

Derrière les effets du réchauffement climatique sur le plateau tibétain, c’est tout l’enjeu autour de l’eau qui est à nouveau sur la table. Lors de la dernière Journée mondiale de l’eau qui s’est déroulée le 22 mars dernier, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme, à l’eau potable et à l’assainissement, Pedro Arrojo Agudo, a estimé que les plus grands risques sociaux découlant du changement climatique étaient générés autour de l’eau : « Face à la variabilité croissante du climat, la clé des stratégies d’adaptation réside dans le renforcement de la résilience du cycle de l’eau par la récupération et la conservation de la fonctionnalité des écosystèmes les plus inertiels du cycle de l’eau : les zones humides, les écosystèmes des berges, le lit des rivières et surtout, les aquifères souterrains. »

Garantir un accès à l’eau pour tous 

En 2010, les Nations unies reconnaissent que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». L’eau doit être considérée et gérée comme un bien commun.

En parallèle des nappes phréatiques, l’autre solution, à l’échelle mondiale, résiderait dans les aquifères souterrains, des réserves stratégiques pour faire face aux sécheresses extraordinaires que le changement climatique va durcir. En les préservant, on protégerait l’accès à l’eau potable et à l’assainissement des personnes vivant à proximité de la nature.

En 2019, 785 millions de personnes ne disposent même pas d’un service de base d’alimentation en eau potable et 144 millions d’entre elles doivent utiliser des eaux de surface. Selon l’Unicef et l’Organisation mondiale de la santé, 1 personne sur 3 n’a pas accès à de l’eau salubre.

Aujourd’hui, près de 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau et 3,6 milliards de personnes dans le monde vivent dans des zones où l’eau est une ressource potentiellement rare au moins un mois par an. Des chiffres qui continueront d’augmenter tant qu’une adaptation réelle face au réchauffement climatique ne sera pas mise en place.

M. B.