vendredi 22 novembre 2024
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Diplomatie : « La France a perdu sa boussole dans le monde »

Les chefs de mission diplomatique français ne se retrouveront pas cette année à Paris comme ils le font depuis 1993. Une décision qui pourrait accroître un peu plus le malaise commencé en 2022 entre l’Élysée et le Quai d’Orsay.

Le rendez-vous incontournable de la diplomatie française n’aura pas lieu cette année. La 30ᵉ conférence annuelle des ambassadeurs, qui se tient d’ordinaire fin août début septembre, est annulée. La raison officielle ? Les Jeux paralympiques mobilisent trop de services de l’État pour que ce rassemblement de diplomates puisse se tenir.

« Ce qui paraît étonnant, c’est de tout annuler », commente Michel Duclos*, ancien ambassadeur, conseiller spécial à l’Institut Montaigne. « On aurait pu imaginer cette réunion dans un format réduit.  Dans ce rassemblement, le moment le plus important est le discours du président. Les ambassadeurs sont reçus à l’Élysée en grande pompe et écoutent religieusement la parole présidentielle. »

Depuis 1993, hormis durant la crise du Covid, les représentants diplomatiques français sont reçus à l’Élysée et au Quai d’Orsay par le président de la République et le ministre des Affaires étrangères. L’objectif de ce raout est de fixer les grandes orientations de politique étrangère, les priorités, discuter des défis, etc.

« C’est important que ce rendez-vous se tienne » 

« Ce rendez-vous permet aux plus hautes autorités de l’État et au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de donner les orientations annuelles qui guideront le travail des représentants de la France à l’étranger et auprès des organisations internationales (…) C’est un moment central pour la diplomatie française rythmé par des moments forts », peut-on lire sur le site officiel de la diplomatie française.

Il n’en sera donc rien cette année ? Le porte-parole du Quai a accusé une fin de non-recevoir à notre demande de plus amples informations sur cette annulation. « La conférence des ambassadeurs devrait avoir lieu en janvier », confie cependant à RFI un diplomate du Quai. « Et c’est important qu’elle se tienne parce que pour les ambassadeurs, pour les chefs de poste et pour le collectif, c’est un rendez-vous qui est assez structurant. Étant donné le travail de la diplomatie de terrain et la nécessité d’avoir un échange régulier avec les autorités pour que le cap soit fixé, pour entendre les grandes priorités, c’est important que ce rendez-vous se tienne. »

Un désamour réciproque ?

Au Quai d’Orsay, nombre de diplomates voient cette annulation officielle comme un nouveau signe du manque d’intérêt des autorités pour leur travail, déjà plus que mis à mal en 2022 après la réforme du corps diplomatique qui a donné des générations d’ambassadeurs à la France. Une « faute historique », avait alors déclaré Dominique de Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères, qui alertait sur le risque d’une « perte d’indépendance, de compétence, de mémoire qui pèsera lourd dans les années à venir ».

Désormais, puisqu’il n’y a plus de diplomates de carrière, le « copinage » semble devenu légion au ministère des Affaires étrangères (MAE), témoigne anonymement un fin connaisseur de la diplomatie française qui a foulé de nombreuses années les couloirs du Quai en France et à l’étranger. « Regardez la promotion Senghor, celle du président Macron. Regardez combien de ses collègues ont été nommés ambassadeurs ! Le président a quadrillé le Quai avec ses amis. » Et puis, « il y a une hyperprésidentialisation qui donne l’impression de ne servir à rien ».

« Il ne faut pas tout mettre sur le dos du président Macron, tempère Michel Duclos. Il y a une évolution naturelle des choses qui fait qu’aujourd’hui les affaires internationales dans l’État, c’est aussi le ministère de la Défense, la DGSE, l’AFD (Agence française de développement, NDLR) qui a pris beaucoup de poids ces dernières années, c’est le ministère des Finances. Ainsi, le Quai d’Orsay est devenu un instrument de politique étrangère parmi d’autres. Ceci a toujours été le cas, mais peut-être pas à ce niveau. »

« Il y a le président, certes, mais il y a aussi ses équipes, explique notre autre source diplomatique actuellement en fonction. On travaille avec la cellule diplomatique. Il y a quand même ce circuit-là qui demeure. Le président a une forme d’autonomie dans sa gestion des affaires internationales et de la diplomatie. Des fois, on se dit : « Oulala, ce n’est pas ce qu’on avait prévu ». Mais, après, on garde tout de même un canal avec la cellule diplomatique, encore heureux ! Parce que le jour où on perd ce canal-là, effectivement, plus rien ne se décide au Quai d’Orsay ! Mais ce qu’on dit est quand même entendu au sein de la cellule diplomatique. Après, ce qu’en fait le président, c’est autre chose. »

Et l’ancien ambassadeur de France en Syrie Michel Duclos de noter que le président actuel fait figure d’exception : déjà sous François Mitterrand et jusqu’à Nicolas Sarkozy, les présidents ont toujours eu, lors de leur prise de fonction, des préjugés sur les diplomates. Mais au fil du temps, un climat de confiance se créait et les choses redevenaient dans la tradition du général de Gaulle où les diplomates ne font pas de politique étrangère, mais sont en revanche écoutés et proches du président. « Donc en général les préjugés à l’égard des diplomates qu’ont les nouveaux présidents tombent avec l’expérience. Ça ne s’est pas produit avec Macron. »

Un exemple parmi d’autres, cette démarche sans précédent de diplomates français au Proche-Orient et au Maghreb : « La lettre des ambassadeurs » à Emmanuel Macron. En novembre dernier, une dizaine de diplomates adressent à l’Élysée une note commune dans laquelle ils regrettent le virage pro-israélien du chef de l’État depuis le 7 octobre. Ils « affirment que notre position en faveur d’Israël au début de la crise est incomprise au Moyen-Orient et qu’elle est en rupture avec notre position traditionnellement équilibrée entre Israéliens et Palestiniens », indique un diplomate dans les colonnes du Figaro.

La diplomatie française en perte de vitesse

Dès lors, ce malaise entre l’Élysée et le Quai d’Orsay entraine nombre de diplomates à jeter l’éponge, même chez les jeunes, par dépit et désarroi. Avec un solide bagage, dont souvent le célèbre diplôme du concours cadre d’Orient, et une maîtrise parfaite de leur zone géographique, ils rejoignent régulièrement le privé en tant qu’analyste ou se mettent à leur compte. Après la perte de quelque 20 000 emplois en vingt ans, un tiers des agents du Quai d’Orsay a envisagé ou envisage de quitter définitivement le MAE qui ne représente que 0,7 % du budget de l’État. Le réseau diplomatique français est aujourd’hui le 5ᵉ au monde, perdant deux places en un an, selon le centre de réflexion australien The Lowy Institute, avec 249 ambassades et consulats et 16 représentations permanentes auprès des instances multilatérales. Quelque 14 000 agents sont employés par le Quai d’Orsay.

Constat en demi-teinte en interne et multiplication des crises à l’international, la diplomatie française semble être en perte de vitesse. « Nous n’avons pas renouvelé ce que j’appelle notre boussole stratégique, analyse Michel Duclos. On vit toujours sur les idées du général de Gaulle. Cette superbe qui fait de la France un grand acteur parmi les autres grands acteurs nous a progressivement enfermés dans une forme de solitude stratégique, à un moment où par ailleurs sur le plan des forces matérielles objectives, l’économie, des choses comme ça, notre place était de plus en plus relativisée. Donc, on a un peu perdu notre boussole dans le monde. Et notre stratégie de rechange qui est l’Europe est elle-même un peu en difficulté. C’est d’autant plus regrettable que l’Élysée et le Quai d’Orsay et d’autres qui s’intéressent à la politique étrangère ne soient pas capables de recréer un élan et un nouveau consensus sur des questions fondamentales. »

Si la diplomatie constitue le second domaine de compétences privilégié du président de la République, avant toute « boussole stratégique » il conviendra pour la diplomatie française de trouver un locataire non-démissionnaire du Quai d’Orsay, et bien sûr avant tout un Premier ministre pour la France. Car, comme le confie notre source diplomatique au sein du ministère, « depuis qu’on n’a plus de gouvernement, c’est compliqué de se faire entendre ! Il va falloir s’activer, car il y a quand même des grands événements qui arrivent… Sans autorité, ça va être compliqué de se faire entendre ! »

*« Diplomatie française », aux éditions de l’Observatoire, est le dernier ouvrage de Michel Duclos

A. B.