jeudi 14 novembre 2024
Accueil > Actualité > 3 questions à Ahmed Bensaada sur Kamel Daoud, nouveau prix Goncourt

3 questions à Ahmed Bensaada sur Kamel Daoud, nouveau prix Goncourt

Le dernier prix Goncourt, célèbre récompense littéraire en France, a été remis à Kamel Daoud. Écrivain algérien désormais résident en France, ce chroniqueur au Point chante régulièrement les louanges de l’extrême droite et aime blâmer la gauche. Invité sur toutes les radios et plateaux télévisions, la figure de Kamed Daoud mérite d’être analysée. Trois questions à Ahmed Bensaada qui a consacré un livre sur ce personnage.

Est-ce un hasard que Kamel Daoud soit récompensé dans un contexte de délégitimation permanente des Palestiniens et de leurs soutiens ?

Dans mon livre sur Kamel Daoud1, écrit en 2016, j’avais donné les caractéristiques de l’écrivain néocolonisé, de ce que les spécialistes appellent « l’alibi ethnique » :

« L’écrivain néocolonisé du 21e siècle est aisément reconnaissable. C’est celui qui se fond dans la littérature de l’ex-colonisateur, en épouse automatiquement les idées les plus réactionnaires, use et abuse des stéréotypes et s’évertue à diaboliser sa communauté en les brandissant dès que le froufrou d’un hijab fait frissonner l’actualité. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce prix qu’il est allégrement accepté, exhibé dans tous les plateaux médiatiques, exposé dans les prestigieuses tribunes littéraires, affublé de superlatifs pompeux, comparé aux plus grands auteurs métropolitains et ″anobli″ par de prestigieux trophées »

En fait, le sujet du roman, pour l’auteur néocolonisé est beaucoup plus important que son style. C’est de lui dont dépend le succès et la renommée.

En plus, les positions idéologiques de Kamel Daoud lui ont permis d’être admis et acclamé par le lobby sioniste et « sionistophile » français. Il n’y a qu’à regarder dans quel magazine il officie pour comprendre la teneur de ses élucubrations qui font trépigner de joie les islamophobes et autres adeptes de la théorie du « grand remplacement ».

Mais c’est surtout pour ses positions sur la Palestine que ce lobby l’a béatifié avant la récente canonisation littéraire.

En effet, le 12 juillet 2014, soit quatre jours à peine après le déclenchement du massacre contre Gaza, Kamel Daoud publia un article dans le quotidien d’Oran intitulé « Ce pourquoi je ne suis pas “solidaire” de Gaza »2.

Le 23 octobre 2023, il écrivit un article intitulé « Guerre Hamas-Israël : lettre à un Israélien inconnu de la part de Kamel Daoud » dont le texte de présentation est très éloquent : « Notre éditorialiste adresse une missive émouvante à un destinataire israélien, qu’il a été éduqué à détester. Mais qu’il a appris à comprendre. Un effort que doit faire le monde arabe ». Un article repris, bien évidemment, par la « tribune juive »3.

À la même période, Kamel Daoud a été l’auteur de la postface du livre collectif portant un titre révélateur de son contenu : « Un pogrom au XXIe siècle : Israël 7 octobre 2023 ».

Ainsi, pour répondre à votre question initiale : non, ce n’est pas un hasard.

Quant à la qualité littéraire de son roman primé, j’invite les lecteurs à se référer à l’excellente analyse de Christiane Chaulet-Achour, spécialiste de littérature française4. On peut y lire : « Ce troisième roman de K. Daoud a de la difficulté à atteindre le statut d’œuvre littéraire majeure. […] [Il] aura certainement des prix mais sans doute pas pour des raisons littéraires ».

Pourquoi Kamel Daoud plaît tant dans la grande majorité des médias français (qui semblent pourtant différents – FR 5, Arte, France Inter, Le Point)?

Il n’y a aucune différence entre les médias mainstream français. Ils travaillent tous dans le même sens et toute voix discordante est rapidement évacuée. On l’a bien vu dans la couverture du conflit entre la Russie et l’Ukraine et, surtout, dans le massacre génocidaire du peuple palestinien par l’armée sioniste. Cet auteur plaît car il a toutes les caractéristiques de l’« alibi ethnique » ou de « l’informateur indigène ».

Au sujet du premier, le politologue Thomas Serres nous dit que Kamel Daoud sert d’« alibi ethnique qui vient à l’appui des discours culturalistes, racistes ou islamophobes ».5

Selon une terminologie utilisée par Alain Gresh, un « informateur indigène » est une personne qui « simplement parce qu’il est noir ou musulman, est perçu comme un expert sur les Noirs ou sur les musulmans. Et surtout, il a l’avantage de dire ce que ″nous″ voulons entendre » 6. Tel est le rôle de Kamel Daoud.

Un autre indice de la connivence des médias mainstream dans le cas de Kamel Daoud et de la protection de cet auteur par le lobby cité précédemment : sa condamnation pour « coups et blessures volontaires par arme blanche » sur son ex-épouse. En effet, Kamel Daoud a été condamné par la Cour d’Oran (Algérie) en 2019 pour ce délit et cela a été rapporté par des médias algériens. Comment alors expliquer ce mutisme complet des médias mainstream concernant cette affaire ? Pire encore, Kamel Daoud est présenté comme un défenseur des droits de la femme!

Pour moins que cela, des hommes publics ont été vilipendés et traînés dans la boue sur la scène médiatique. Mais pas dans le cas de Kamel Daoud. On lui décerne le Prix Goncourt et il continuera, encore et encore, à disserter de la « liberté de la femme » sur tous les plateaux de France et de Navarre.

Comment vous êtes-vous intéressé à cet auteur?

J’ai connu Kamel Daoud par la lecture de ses chroniques dans le Quotidien d’Oran. Il avait atteint une grande popularité en critiquant ouvertement le gouvernement et les travers de la société algérienne, ce qui plaisait aux lecteurs.

Cependant, ses écrits ont progressivement glissé de la critique constructive à l’injure de sa communauté, de l’impertinence intellectuelle à la vulgarité de l’insulte. Ensuite, il développa un discours prônant la nostalgie de la colonisation avec des déclarations du style « la terre appartient à ceux qui la respectent. Si nous, les Algériens, en sommes incapables alors autant la rendre aux colons ».

Il montra par après son aversion envers la langue arabe qu’il considère morte ou « langue de colonisation » alors que le français est une « langue de liberté ».

De mon point de vue, le paroxysme de la haine de soi a été atteint par Kamel Daoud avec l’affaire des viols de Cologne. Sans même attendre les résultats de l’enquête (qui ont révélé que cette affaire était un pur canular), le chroniqueur a traité les réfugiés arabes de « violeurs en puissance ». Et d’asséner sa vérité, celle destinée aux lecteurs du monde « des lumières », du monde « civilisé » : « Le grand public en Occident découvre, dans la peur et l’agitation, que dans le monde musulman le sexe est malade et que cette maladie est en train de gagner ses propres terres » 7.

C’est cet épisode « de trop » qui m’a poussé à écrire, en 2016, un livre8 sur l’idéologie véhiculée par les écrits de Kamel Daoud. Cet ouvrage m’a valu à l’époque moult critiques acerbes et noms d’oiseaux. Mais huit années plus tard, les innombrables frasques de cet écrivain néocolonisé ont fini par me donner raison, de l’avis d’un nombre grandissant de lecteurs avisés. Il est difficile d’être en avance sur son temps. Mais, mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas ?

1 Ahmed Bensaada, « Kamel Daoud : Cologne contre-enquête », Ed. Frantz-Fanon, Alger 2026

2 Kamel Daoud, « Ce pourquoi je ne suis pas “solidaire” de la Palestine », Le Quotidien d’Oran, 12 juillet 2014, p.3

3 Kamel Daoud, « Kamel Daoud. Lettre à un Israélien inconnu », Tribune juive, 26 octobre 2023, https://www.tribunejuive.info/2023/10/26/kamel-daoud-lettre-a-un-israelien-inconnu/

4 Christiane Chaulet Achour, « “Houris” de Kamel Daoud ou… écrire sa catabase », Collateral, 17 septembre 2024, https://www.collateral.media/post/houris-de-kamel-daoud-ou-%C3%A9crire-sa-catabase

5 Thomas Serres, « Autopsie d’une défaite et notes de combat pour la prochaine fois », Article 11, 2 mars 2016, http://www.article11.info/?Autopsie-d-une-defaite-et-notes-de

6 Alain Gresh, « Bidar, ces musulmans que nous aimons tant », Le Monde diplomatique, 25 mars 2012, http://blog.mondediplo.net/2012-03-25-Bidar-ces-musulmans-que-nous-aimons-tant

7 Kamel Daoud, « La misère sexuelle du monde arabe », The New York Times, 12 février 2016, http://www.nytimes.com/2016/02/14/opinion/sunday/la-misere-sexuelle-du-monde-arabe.html?_r=0

8 Ahmed Bensaada, « Kamel Daoud : Cologne contre-enquête », Op. Cit.

 

R. D. in Investig’Action