GÉOLOGIE – Dans les trente prochaines années, il est quasi certain que la Méditerranée connaîtra un tsunami significatif, selon l’Unesco
On croirait les images d’Alexis Rosenfeld tirées d’un film de science-fiction. Un spectacle tout droit sorti des entrailles de la Terre. Début juin, le photographe explorateur s’est rendu sous les eaux de l’archipel des îles Eoliennes, en Italie. Dans les profondeurs, les bulles de gaz fusaient, signalant l’activité permanente du volcan sous-marin de Panarea. « Il y a pour moi un côté extrêmement poétique à ce volcan, s’enthousiasme-t-il. Ce contraste extraordinaire entre sa force démoniaque destructrice et sa capacité de transformer le rien en vivant. » L’expédition avait lieu dans le cadre du projet 1 Ocean. Elle s’inscrit dans une série de mesures de l’Unesco visant à permettre aux populations côtières méditerranéennes de mieux faire face à d’éventuels tsunamis. Selon l’organisation, une vague dépassant 1 mètre a près de 100 % de probabilité de parcourir la Méditerranée d’ici à trente ans, sachant que des effets de topographie peuvent localement multiplier les hauteurs d’eau. « Quand on parle de tsunamis, le problème est qu’on ne sait pas grand-chose, explique le plongeur. On sait que c’est dangereux, mais on ne peut pas les prévoir. Donc, il faut explorer. Il faut comprendre. » Et l’éruption de volcans sous-marins en est une cause possible qui n’a pas fini d’être étudiée. Ces volcans représentent 80 % de l’activité volcanique mondiale, selon l’Unesco. Celui de Panarea est surveillé par Francesco Italiano. Le responsable de la section de Palerme de l’Institut national de géophysique et de volcanologie (INGV) est préoccupé par l’activité volcanique que son équipe y observe, ces dernières années. « On a longtemps considéré que c’était un volcan éteint, un endroit tranquille. Ce n’est pas du tout le cas ! » Selon l’expert, les données sur le cycle du volcan ont permis d’estimer qu’une explosion majeure survenait dans la région en moyenne une fois par 7080 ans. Un risque significatif à l’heure actuelle, alors que cet événement a eu lieu pour la dernière fois dans les années 1930.
Des cheminées hydrothermales
Les images d’Alexis Rosenfeld offrent un portrait plus clair du danger. Durant son expédition, une zone particulière du volcan a attiré son attention : le Smoking Land. Le site doit son nom à ses centaines de cheminées hydrothermales qui crachent des mélanges acides très chauds. Ce type de phénomène était déjà bien documenté sur les dorsales océaniques, à 2 500 mètres de profondeur environ. Mais le Smoking Land, à quelque 70 mètres sous l’eau, expose nettement les populations côtières à un risque. Un intérêt accru pour l’étude du volcan de Panarea vient d’une découverte récente : il partage sa chambre magmatique avec le Stromboli, une île volcanique proche. Cette dernière a des antécédents en matière de tsunamis. En 2002, le Stromboli est entré en éruption et une partie de son flanc s’est détachée, créant un raz de marée qui a fait des dégâts sur les îles voisines. En mai dernier, le volcan a explosé de nouveau. « On a fait des simulations numériques de propagation depuis et on s’aperçoit qu’un grand glissement de flanc de Stromboli est capable d’engendrer des tsunamis qui vont frapper les côtes de la Calabre, des Apennins, de la Sicile, voire plus loin en Corse », affirme Patrick Allard, de l’Institut de physique du globe de Paris, président de l’Association internationale de volcanologie et de chimie de l’intérieur de la Terre. Le volcanologue soutient que les volcans italiens représentent un risque important en Méditerranée, car ils sont grands, pentus et actifs. Mais les tsunamis peuvent avoir d’autres causes. Souvent, ces vagues destructrices sont créées par des tremblements de terre et, dans 2 % des cas, par l’activité météorologique. Comment alors estimer l’emplacement des prochaines catastrophes ? « Le principe général est que là où il y a eu un tsunami il y aura un tsunami », explique Bernardo Aliaga, spécialiste des tsunamis à l’Unesco. Pour anticiper la menace, il faut ainsi se tourner vers les exemples passés. En 1908, un séisme accompagné d’un tsunami en Sicile aurait fait jusqu’à 200 000 morts alentour. En 1979, des vagues provoquées par un glissement de terrain sur le chantier de l’aéroport de Nice ont englouti plusieurs ouvriers. Des tsunamis plus récents ont eu lieu en Algérie en 2003 et sur l’île grecque de Samos en 2020. Et des techniques permettent de retracer les catastrophes plus anciennes. Les grandes vagues transportent sur les côtes des dépôts de sable, de gravier, de boue. Elles laissent leurs marques dans les strates du sol. On retrouve ces traces en Espagne, en Egypte, en Grèce et en Turquie. Un problème majeur pour les populations côtières méditerranéennes, estime l’Unesco, est le manque de sensibilisation. Une étude parue en 2019 dans Natural Hazards and Earth System Sciences montre, par exemple, que la perception des habitants du sud de l’Italie quant aux probabilités que survienne un tsunami est bien en deçà du risque réel.
Un programme de prévention
Au cours des dernières années, l’organisation affiliée à l’ONU a préparé une quarantaine de communautés du Pacifique, de l’océan Indien et des Caraïbes à l’éventualité d’une telle catastrophe. Mais « quarante communautés dans le monde, ce n’est pas assez », soutient Vladimir Ryabinin, secrétaire exécutif de la commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco. A l’occasion de la Conférence des Nations unies sur les océans, qui se tient jusqu’au 1er juillet, à Lisbonne, l’Unesco a annoncé son nouveau programme « Tsunami Ready », qui viserait à « préparer 100 % des populations côtières à la menace d’un tsunami d’ici à 2030 ». Sur les pourtours de la Méditerranée, des villes telles que Marseille, Cannes, Alexandrie, Istanbul et Chipiona (Espagne) sont ciblées. Le programme établit douze critères qu’une communauté doit remplir afin d’être déclarée « prête pour un tsunami », à travers l’évaluation du risque, la préparation et la réponse. Il est implanté en collaboration avec les autorités locales, les scientifiques et les agences d’alerte et de gestion des situations d’urgence. « Le problème serait pire si une telle catastrophe se produisait en plein été, affirme Patrick Allard. Avec tous les gens qui sont sur les plages, il faut avoir le temps de donner l’alerte d’évacuation. » En France, en Grèce, en Italie, au Portugal et en Turquie, des centres d’alerte surveillent le danger en permanence. Leurs stations sismiques visent à émettre une alerte en moins de dix minutes en cas de tremblement de terre susceptible de provoquer un tsunami. De son côté, le plongeur Alexis Rosenfeld protégera les populations locales avec sa meilleure arme : son appareil photo. Jusqu’en 2030, à l’occasion de la Décennie ONU de l’océan, l’explorateur sillonnera les fonds marins à la recherche de nouveaux phénomènes à documenter et à étaler au grand jour.
PHILIPPE ROBITAILLEGROU in Le Monde