Premier jour et premier dérapage. José Gonzalez, 79 ans, l’un des 89 députés RN de l’Assemblée nationale, a profité mardi de la tribune qui lui était offerte pour faire l’apologie de l’Algérie française. Le pied-noir ouvrait la première séance de la XVIe législature, en tant que doyen de l’hémicycle, comme le veut la tradition. «Enfant d’une France d’ailleurs, arraché à sa terre natale et envoyé sur les côtes provençales en 1962, j’ai laissé là-bas une partie de ma France et beaucoup d’amis. Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie», a-t-il dit, avant de s’interrompre, submergé par l’émotion. Puis il s’est repris, applaudi par une partie des députés – mais pas tous.
«Excusez-moi, je pense à mes amis que j’ai laissés là-bas. Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie par le sentiment d’abandon et les périodes de déchirement.» Evidemment, la polémique ne s’est pas faite attendre : «Horrible, commencer la législature par une référence à l’Algérie française, ça démarre très très mal. Les masques tombent le premier jour», dénonce le député LREM Roland Lescure. «Dès la première séance, on voit le vrai visage de l’extrême droite», s’indigne Sandrine Rousseau (EE-LV)… Sébastien Chenu, député RN sortant, a tenté de déminer : «Gonzalez a parlé de l’histoire de notre pays, de façon apaisée, sans permettre aucune polémique. C’est un homme qui a défendu une Algérie qui était française à l’époque, un homme qui aime se souvenir.»
«Pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes»
Gonzalez, lui, a réitéré ses propos, et les a même clarifiés, une fois descendu du perchoir : «Venez avec moi en Algérie, je vais vous trouver beaucoup d’Algériens qui vont vous dire “quand est-ce que vous revenez, vous, les Français ?”» a-t-il expliqué à des journalistes, salle des Quatre-Colonnes, une fois son discours terminé. Alors qu’on lui demandait si la France avait commis des crimes en Algérie – Emmanuel Macron avait qualifié en 2017 la colonisation de «crime contre l’humanité» –, Gonzalez a répondu : «Non, et certainement pas des crimes de guerre.» Même question au sujet de l’Organisation armée secrète (OAS), les terroristes de l’Algérie française, même réponse : «Non, je ne suis pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes ou pas. L’OAS, je ne sais même pas bien ce que c’était.»
Gonzalez aura du mal à plaider le trou de mémoire : dès les premiers mots de son discours, qu’il raconte avoir été relu par Marine Le Pen avant mardi, sans qu’elle y trouve à redire, il a rendu hommage «avec émotion et solennité» au «vénérable parlementaire» Edouard Frédéric-Dupont, député frontiste qui avait ouvert la première séance de l’Assemblée, en 1986, en tant que doyen (il avait 83 ans). A cette époque, le parti d’extrême droite, alors mené par Jean-Marie Le Pen, père de Marine Le Pen, avait envoyé 35 députés à l’Assemblée, et le groupe parlementaire s’appelait… Rassemblement national. Plusieurs anciens de l’OAS, dont Pierre Sergent ou Roger Holeindre, garnissaient alors les bancs de l’hémicycle.
Les félicitations de Jean-Marie Le Pen
Dans ce parti fondé, entre autres, par des nostalgiques de Pétain et d’anciens collabos, la haine à l’égard de de Gaulle a longtemps été tenace : beaucoup de Français d’Algérie accusent encore de Gaulle de les avoir trahis. La semaine dernière, le maire de Perpignan, Louis Aliot, a ainsi fait de sa ville «la capitale des pieds-noirs» pendant trois jours, et affiché dans les rues les portraits d’un certain nombre d’anciens terroristes de l’OAS. José Gonzalez, qui a adhéré au Front national en 1978, six ans après sa création, partage cette mémoire. L’ancien agent de sûreté à l’aéroport Marseille-Provence de Marignane, quatre mandats consécutifs de conseiller municipal à Allauch (Bouches-du-Rhône) et un de conseiller régional (2015-2021) en Paca, ne digère pas son exil en métropole vécu en 1962. Celui qui a grandi à Oran avant de quitter précipitamment l’Algérie après les accords d’Evian parle ainsi aujourd’hui du fondateur de la Ve République : «Ce n’est pas moi qui vais sublimer l’action de la France du Général de Gaulle en ce qui concerne l’Algérie. Je suis un pied-noir qui a vécu douloureusement cette histoire.» Selon Le Monde, Jean-Marie Le Pen aurait prévu d’appeler José Gonzalez pour le féliciter pour son discours et l’inviter à lui rendre visite.