dimanche 23 février 2025
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L’arabe, une langue en voie de disparition ?

Dans les pays du Golfe et du Moyen-Orient, l’arabe littéraire, ampoulé et complexe, est menacé par l’anglais. L’arabe dialectal, lui, résiste encore.

On aurait pu croire que seuls des Occidentaux avaient été invités à cette soirée. De jeunes hommes se bécotaient dans le couloir. Des filles descendaient des gobelets de vin. Même s’il n’y avait là que de jeunes Émiratis, presque tout le monde se parlait en anglais : aujourd’hui, il devient la langue dominante dans le Golfe. Sur le papier, l’arabe est l’un des idiomes les plus parlés sur la planète. Il compte plus de 400 millions de locuteurs. Mais les Arabes s’expriment dans une pléthore de dialectes. Le faible niveau d’instruction en arabe sape la pureté de la langue, tandis que l’anglais se répand. De nombreux élèves des écoles primaires bavardent dans un sabir mélangé d’anglais et d’arabe. « D’ici un siècle, ce sera peut-être une langue morte », déplore un ancien diplomate britannique, spécialiste de l’arabe. Le recul de cette langue est lié à l’histoire récente. Des millions de gens ont été chassés des établissements d’enseignement à cause de guerres civiles. Bagdad et Damas, qui furent des bastions du nationalisme et de la culture arabes, ont été ravagés par la violence. « La langue reflète la puissance [des États], note Ebtesam Al-Ketbi, une universitaire émiratie. Les Chinois, les Japonais et les Coréens ont tous préservé leur langue. Pas nous. » « Ceux qui fuient nos pays ne parlent souvent plus bien l’arabe », se lamente un Bahreïni. L’anglais représente la plus lourde menace. En2017, l’enquête sur la jeunesse arabe, réalisée par un institut de sondages de Dubaï, a révélé que les Arabes du Golfe le parlaient davantage que leur propre langue. L’Arabie saoudite vient de décider à son tour d’enseigner l’anglais aux élèves dès la première classe de primaire. Pour une importante minorité d’enfants qui fréquentent les écoles privées du Golfe, l’anglais est la première langue d’enseignement. La diffusion de l’anglais est irrésistible, si l’on en croit Mme Al-Ketbi. D’après une étude de la Banque mondiale publiée l’année dernière, de nombreux enfants arabes, même en quatrième année d’école primaire, ont du mal à rédiger une phrase cohérente en arabe. La fragmentation de la langue arabe témoigne de la désunion des Arabes. Les divers dialectes, avec leur vocabulaire, leur syntaxe et leur accent, s’infiltrent dans des bastions de l’arabe littéraire, tels que les Parlements, les émissions de télévision et les maisons d’édition. Pour favoriser la diffusion des ouvrages, les éditeurs publient plus de livres en dialecte. En 2019, Nadia Kamel a remporté un prix littéraire en Égypte pour un roman en arabe dialectal. Les chaînes d’information émettent toujours en arabe littéraire, si bien que de nombreux Arabes préfèrent s’informer sur les réseaux sociaux, dont les textes sont souvent en arabe dialectal mais écrit en caractères latins. Disney double maintenant ses films en dialecte égyptien. L’expression de l’amour paraît ampoulée en arabe littéraire. Les champions de l’arabe essaient de contre-attaquer. Celui-ci, bien sûr, restera la langue du Coran. « Je pense que l’arabe est plus vivant que le latin, du fait de son utilisation dans les médias, les sermons et les discours », fait valoir Hossam Abouzahr, fondateur de The Living Arabic Project, une plateforme en ligne qui s’efforce de faire revivre la langue. « Le latin a survécu dans les églises pendant des siècles, alors même qu’il n’avait plus de locuteurs dont c’était la langue maternelle », conclut-il sur une note d’espoir.

M. B.