jeudi 17 octobre 2024
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Chine-Allemagne : Olaf Scholz dans sa bulle à Pékin

Le chancelier allemand Olaf Scholz, en visite officielle en Chine, déjeune avec le président chinois Xi Jinping au Grand palais du peuple. Comment est perçu en Chine cette première visite d’un dirigeant européen au numéro un chinois qui vient tout juste d’être reconduit pour un troisième mandat ?

Après le Vietnam, le Pakistan et la Tanzanie, c’est la première visite d’Etat pour Xi Jinping et son nouveau comité permanent issu du XXe Congrès du parti. Un voyage qui rappelle l’empressement d’Angela Merkel il y a deux ans à conclure un accord global sur l’investissement Europe-Chine. C’est d’ailleurs sur cet accord au point mort que devraient insister les dirigeants chinois, alors que l’Allemagne espère tirer des avantages pour sa communauté d’affaires en Chine.

Dépendance et stabilité  

Deux grands thèmes traversent la presse chinoise ce matin. D’abord le poids de la Chine sur l’économie Allemande qui forcerait à un certain réalisme de Berlin dans la défense de ses intérêts. « Alors qu’il y a quelques murmures dans les relations sino-allemandes, écrit le Global Timescette visite traduit certainement l’importance que les entreprises et l’industrie allemandes attachent au marché chinois ». Une asymétrie de la relation avec la deuxième économie du monde qui vaudrait aussi pour l’Europe : « Dans le contexte du conflit russo-ukrainien, ajoutent les Nouvelles de Pékinil y a beaucoup de bruit à Berlin et à Bruxelles préconisant une politique plus dure à l’égard de la Chine. Mais Olaf Scholz porte un autre son de cloche à un moment ou l’Allemagne traverse une grave crise économique ».

C’est aussi l’analyse du Sinocism : « Il est probable que la direction de la République Populaire de Chine voit dans l’empressement de Scholz à être le premier dirigeant de l’UE à voir Xi Jinping après le XXe Congrès comme un signe de désespoir ». Pour la plupart des analystes chinois, cette décision controversée est au contraire un gage de stabilité. « En tant que puissances influentes, a déclaré Xi Jinping dans des propos rapportés par l’agence Chine Nouvelle sur son compte weibo, la Chine et l’Allemagne doivent travailler ensemble au milieu des changements et du chaos pour apporter d’avantage de contributions à la paix et au développement dans le monde ». Cette visite intervient à l’occasion des cinquante ans des relations diplomatiques entre les deux pays et les termes « amitié » et « gagnant-gagnant » chers à la diplomatie chinoise sont probablement ceux qui reviennent le plus sur les réseaux sociaux chinois très surveillés, certains applaudissant le fait que l’Allemagne prouve par cette visite qu’elle n’est pas le « laquais des États-Unis ».

Visite en « circuit fermé » 

Les déplacements du chancelier allemand se font dans le cadre d’une « bulle sanitaire ». La délégation doit éviter les contacts sur place et les interlocuteurs chinois qu’elle va croiser sont soumis à une quarantaine à l’issu de ces rencontres, le président chinois lui-même ne devrait pas échapper à une période d’isolement. « Zéro Covid », mais pas zéro carbone ! Compte tenu des contraintes sanitaires, la visite ne dure qu’une journée et les échanges entre le chancelier et les entreprises allemandes, puis la communauté allemande en Chine en fin d’après-midi, auront lieu pour partie via écrans interposés.

La diplomatie chinoise qui n’a pas obtenu beaucoup de concessions sur les restrictions de déplacements, espère en obtenir davantage sur le reste. On ne sait pas exactement qui fait partie de la délégation allemande, mais les plus optimistes ici veulent croire que ce n’est pas uniquement un « voyage pour les vendeurs de voitures ». Face à la pétition de 186 intellectuels et dissidents chinois demandant l’annulation de ce déplacement, l’ambassadrice d’Allemagne en Chine a tenté de donner des gages dans une interview accordée au South China Morning Post, il y a quelques jours. Si l’Allemagne « ne veut pas d’un découplage avec la Chine », Patricia Flor a fait part de « sérieuses inquiétudes en Allemagne concernant les droits de l’homme et les tensions dans le détroit de Taïwan ».

Par principe, les rencontres avec les militants des droits de l’homme lors des voyages officiels ne figurent pas sur l’agenda, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’échanges, du moins virtuels. Toujours pour tenter de donner le change, l’ambassade d’Allemagne à Pékin a publié sur son compte Weibo un message ironique qui n’a pas dû faire rire les censeurs. « Voilà ce qui s’est passé dans notre capitale Berlin en 1989 ? Que s’est-il passé chez vous, disons le 4 juin ? ». Deux questions et deux photos : l’une de la foule s’attaquant au mur de Berlin et l’autre des étudiants chinois réprimés place Tiananmen en 1989.

Vaccins ARNm 

Cette visite doit aussi et surtout rassurer les entreprises allemandes, et plus généralement la communauté d’affaire européenne dans un monde secoué par la guerre en Ukraine et les années Covid-19. L’Allemagne, en faisant « cavalier seul » risque de perdre son âme et de ne pas obtenir grand-chose en retour, disent les sceptiques. « Attendons de voir le bilan de la visite avant de juger », confie un diplomate européen prudent. Certains espérant que ce voyage sera l’occasion d’établir des règles du jeu équitable pour les entreprises allemandes et étrangères. Car, côté européen, c’est l’Allemagne qui pèse le plus. Même si beaucoup aujourd’hui sont remplacé par des employés chinois, BMW a compté jusqu’à 4 000 expatriés en Chine. Et ce sont toujours des patrons d’entreprises allemandes qui dirigent la Chambre européenne de commerce à Pékin. Ces derniers attendent des gestes et non plus des slogans martelés par la propagande.

Hasard du calendrier, la venue du chancelier correspond avec l’ouverture ce vendredi de la Foire des exportations de Shanghai qualifiée par les médias d’État de « signe d’ouverture de la Chine sur le monde ». Fatigués d’attendre que l’économie chinoise se conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les Européens veulent aujourd’hui plus que des signes notamment en matière d’accès au territoire chinois. Trois ans après le début de la pandémie de Covid-19, les compagnies étrangères comme les compagnies chinoises ont toujours des difficultés à envoyer leurs représentants dans leurs usines. Les déplacements sont contraints par la politique sanitaire, alors que la Chine n’a toujours pas approuvé les vaccins à ARNm contre le Covid-19. « La société pharmaceutique chinoise Fosun Pharma a conclu un accord en 2020 avec BioNTech pour distribuer – et éventuellement fabriquer – des vaccins à ARNm en Chine », mais l’approbation est bloquée depuis plus d’un an. Les vaccins n’ont été fournis qu’à Hong Kong, Macao et Taïwan, rappelle l’ambassadrice allemande qui espère une plus grande coopération avec Pékin sur cette question, afin d’introduire les vaccins étrangers sur le marché chinois.

S. L.