jeudi 17 octobre 2024
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France / Depuis 9h10 ce vendredi, les femmes travaillent gratuitement, et les inégalités salariales stagnent toujours

Vendredi 4 novembre, 9h10. Une date et une heure qui symbolisent en France l’écart de salaire entre les hommes et les femmes, et les discriminations encore trop présentes dans le monde du travail. Si ces inégalités sont à la baisse depuis plusieurs décennies, de nombreuses entraves persistent à réduire efficacement ces écarts salariaux.  

Seulement un jour de différence par rapport à l’année dernière… À partir de ce vendredi matin, à 9h10 et 55 secondes, les femmes se sont mises à travailler gratuitement jusqu’à la fin de l’année. D’après le calcul effectué par la newsletter féministe Les Glorieuses avec les dernières données d’Eurostat, les femmes gagnent en moyenne 15,8% de moins que les hommes en 2020, à temps complet et tous métiers confondus. Dans l’ensemble de l’Union européenne, ce chiffre atteint en moyenne les 13%, près de trois points de moins que la France.

« C’est un des indicateurs d’inégalités qui choque le plus la société française aujourd’hui, donc c’est une bonne nouvelle. Mais malgré cette prise de conscience progressive, les chiffres montrent que les politique publiques menées, que ce soit à l’école, en termes de campagne de communication et en termes de salaires, restent très en dessous de ce qu’il faudrait faire », avance Anne Brunner, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités.

Quand on se penche sur les chiffres d’Eurostat, on constate que ces inégalités salariales se maintiennent depuis des années dans le pays : une différence de 15,4% en 2004, 15,6% en 2015, et même 16,7% en 2018.

Les inégalités salariales, une tendance à la baisse mais qui ralentit 

D’un point de vue historique, l’écart de rémunération entre hommes et femmes s’est fortement amoindri depuis 1960, comme en témoignent les graphiques de l’Observatoire des inégalités et les données de l’INSEE. Pourtant, depuis vingt ans, « on observe un ralentissement de cette baisse qui prouve qu’il y a encore une grande difficulté à réduire l’écart salarial », indique Anne Brunner.

Cet écart stagnant s’explique en partie par le fait que les femmes ont aujourd’hui atteint le même niveau de diplôme que les hommes, ce qui n’était pas encore le cas au début des années 1970. L’arrivée des Françaises dans les études supérieures a contribué à atténuer les différences de salaires de façon plus rapide. Et à l’heure actuelle, les femmes ont même dépassé les hommes en termes de niveau d’études, puisque 53% des 24 et 35 ans sont diplômées du supérieur en 2020, contre 46% des hommes, selon l’INSEE.

Pourtant, les organismes dédiés aux calculs de ces inégalités pointent du doigt plusieurs facteurs pour expliquer ces disparités : les différences de postes et de secteurs occupés par les femmes et les hommes, les différences de temps de travail, et les stéréotypes de genre qui subsistent. Puisque selon Anne Brunner, on « continue de considérer que s’occuper du ménage, de l’éducation des enfants, ou du soin des malades est naturel pour une femme, donc qu’il n’y pas d’efforts particuliers à faire pour rémunérer plus ».

Les femmes surreprésentées dans des métiers plus précaires 

En effet, les femmes demeurent massivement présentes dans les métiers moins bien rémunérés. Des secteurs qui, en plus, « se défendent moins bien, sont moins syndiqués, et moins bien représentés dans le débat public », soutient la directrice des études de l’Observatoire des inégalités.

De ce fait, Les Glorieuses a lancé ce vendredi une pétition qui propose trois pistes de politiques publiques pour combler cet écart salarial. D’abord, revaloriser les salaires des emplois à prédominance féminine, à savoir les secteurs de l’éducation, de l’aide à domicile, du soin et de la santé, car  « 90,4% des infirmières, 87,7% des sage-femmes et 65,7% du corps enseignant » sont des femmes, comme l’indique la newsletter féministe.

Le temps partiel, la double peine pour les femmes 

Trois quarts des employés à temps partiel sont des femmes. Comme l’analyse Anne Brunner, les Françaises représentent pourtant 72% des salariés à temps partiel qui ne l’ont pas décidé, et qui souhaiteraient travailler plus. Pour les femmes dans cette situation, le constat des écarts de revenus est d’ailleurs encore plus aggravé. « Elles font face à des contraintes énormes dans leur vie privée. Ces femmes subissent les conditions que le marché du travail leur impose, dans des emplois où elles sont très mal payées. Dans notre société, le travail pénible physique reste beaucoup moins bien valorisé que le travail intellectuel. »

Pour cette raison, augmenter le SMIC, touché par de nombreuses femmes à temps partiel, est un des leviers immédiats qui pourrait être enclenché pour atténuer ces inégalités, selon l’Observatoire des inégalités.

Sur le long terme, Anne Brunner préconise également de poursuivre la lutte contre les stéréotypes de genre et de réfléchir à la manière dont les étudiants choisissent leurs métiers, en se demandant pourquoi si peu de femmes s’orientent vers des carrières d’ingénierie, alors qu’une majorité se retrouve dans le secteur du soin.

Besoin de plus d’investissement financier de l’État 

C’est pour cela que l’État détient un rôle crucial pour combler cet écart de genre. Ainsi, la deuxième piste de politique publique que recommande Les Glorieuses est d’appliquer le principe « d’éga-conditionnalité », c’est-à-dire de n’apporter aucune aide financière à une entreprise qui ne respecte pas la loi sur l’égalité salariale, donc pas d’accès aux marchés publics ni d’obtention de subventions publiques. « Cette première mesure, qui ne coûte rien de plus à l’État, permet de s’assurer que le budget alloué par les fonds publics n’accentue pas les inégalités », souligne la newsletter.

Un budget ambitieux et correctement alloué vers les secteurs où les femmes restent surreprésentées, c’est ce qu’attendent bon nombre d’associations féministes pour œuvrer de manière efficace contre les inégalités. « L’État est l’employeur d’un grand nombre de femmes, dans les hôpitaux notamment. Les grilles de salaires pourraient donc être revues à la hausse en se préoccupant autant des bas salaires que ceux des postes les plus élevés, et on pourrait ainsi rendre ces métiers plus attractifs », suggère quant à elle Anne Brunner.

Enfin, selon Les Glorieuses, favoriser un congé parental de durée équivalente pour les deux parents permettrait de partager équitablement son temps, et de ne pas désavantager la femme dans son travail.

Au niveau mondial, la route promet d’être encore longue. Dans son rapport sur l’écart entre les femmes et les hommes publié en 2022, le Forum économique mondial estime qu’il faudrait encore 132 ans pour résorber le fossé des inégalités entre les hommes et les femmes dans le monde.

L. H.