Emmanuel Cornet, ancien employé de Twitter au siège de la plateforme à San Francisco en Californie, témoigne. Le Français, dessinateur à ses heures, fait partie de la moitié des effectifs (7500 personnes) licenciés la semaine passée par Elon Musk. Avec quatre autres plaignants, il a décidé de lancer une action collective contre l’entreprise, au motif qu’il n’avait pas reçu le délai de préavis de 60 jours requis par la loi américaine en cas de plan social (Warn Act).
RFI : Quel est le but de cette action en justice que vous avez entamée contre Twitter avec quatre de vos collègues ? Ce sont eux qui m’en ont parlé et cela concerne les délais de notification du licenciement qui n’ont pas été respectés, c’est-à-dire que ça a été fait trop rapidement. Moi, je ne suis pas chez Twitter depuis très longtemps, seulement un an et demi, donc c’est surtout en soutien à mes collègues que j’ai décidé de participer à ce recours collectif.
J’ai été chez Google pendant quinze ans et au début chez Twitter, j’étais très heureux… jusqu’à l’annonce du rachat en avril dernier par Elon Musk. Depuis ça n’a été que des montagnes russes et une suite incessante de rebondissements. Et cela continue même aujourd’hui après les licenciements, car j’entends dire que la direction s’est rendue compte qu’elle était allée un peu trop loin, et qu’ils ne savent pas faire marcher un certain nombre de choses. Apparemment, ils commencent à rappeler des gens. Ce pourrait être comique si ce n’était pas tragique pour certaines personnes.
Aujourd’hui, je pense qu’Elon Musk essaie de récupérer ses billes, il a mis beaucoup d’argent dans cette boîte et il en perd beaucoup, simplement avec les intérêts de la dette de Twitter. L’entreprise n’est pas rentable et il a cherché à supprimer des coûts le plus rapidement possible, en particulier en termes de salaires. Je pense que c’est le genre de personnes à mettre des baffes d’abord et à poser des questions après, un peu comme Obélix !
Comment avez-vous été notifié de votre licenciement ? J’étais en réunion à distance avec quelques collègues et tout d’un coup mon ordinateur a redémarré et il s’est bloqué. Ça a été le premier signe, un signe qui ne trompe pas…. Enfin moi, je ne savais pas trop ce qu’il se passait, je pensais que mon compte avait peut-être été piraté. En fait, j’avais été éjecté de la réunion ! C’est ce qui a été le plus difficile : de se faire licencier en l’espace d’une heure. C’est ce que l’on reproche aujourd’hui à la nouvelle direction, ces méthodes expéditives et brutales. D’après ce que j’ai entendu, certains collègues ont été licenciés alors qu’ils étaient en congés maternité ou paternité, une autre avait accouché la veille.
Comment voyez-vous votre avenir aujourd’hui ? Moi, j’ai de la chance, car d’une part, je suis dans cette industrie depuis un petit moment et j’ai eu le temps de me construire une sécurité financière. Mais aussi, du point de vue de la couverture santé : j’ai la possibilité de pouvoir retourner en France et de m’y faire soigner, car je paie encore des impôts là-bas. Pour mes collègues, eux, qui n’ont plus de sécurité sociale, c’est plus difficile (aux États-Unis, la couverture santé est liée à votre contrat de travail). Il y a aussi le risque de perdre son visa, car certains visas dépendent de votre travail, et si vous ne retrouvez pas un emploi rapidement, vous ne serez plus autorisé à rester sur le territoire américain.
Moi, je pense que je vais exploiter un petit peu plus qu’avant ma fibre de dessinateur même si je ne me fais aucune illusion sur la capacité de cette activité de payer les factures. Et je retournerai sans doute un jour dans l’industrie numérique… mais j’ai la chance de ne pas avoir besoin d’être pressé.
Anne Verdaguer in RFI