Par la voix de son ministre des affaires étrangères, la Russie s’insurge contre la diffusion d’une conversation entre Macron et Poutine
La réaction de la Russie enfonce un nouveau coin dans le dialogue, contesté et moribond, entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a critiqué, mercredi 6 juillet, la diffusion d’une conversation enregistrée des deux dirigeants dans un documentaire diffusé six jours plus tôt sur France 2. « L’éthique diplomatique ne prévoit pas une telle fuite unilatérale d’enregistrements », a fustigé le ministre, depuis le Vietnam. Le documentaire, intitulé Un président, l’Europe et la guerre, a été tourné au cœur de la cellule diplomatique de l’Elysée, au fil des six premiers mois de l’année. Guy Lagache, son réalisateur, a été autorisé à enregistrer l’intégralité d’une longue conversation entre le président français et Vladimir Poutine, le 20 février, quatre jours avant le début de l’invasion de l’Ukraine. Le film en retient neuf minutes, où l’on entend le président russe expliquer que le gouvernement ukrainien « n’est pas démocratiquement élu », mais serait le fruit d’un « coup d’Etat sanguinaire » durant lequel « des gens ont été brûlés vifs » et dont Volodymyr Zelensky « est l’un des responsables ». Poutine assure qu’il a « toujours beaucoup de plaisir » à parler avec Emmanuel Macron, y compris depuis sa salle de sport, avant de jouer au hockey sur glace ce jour-là, et se fend de quelques promesses. Afin d’éviter le pire, tandis que les troupes russes sont massées à la frontière, Emmanuel Macron cherche à convaincre son homologue russe d’accepter de rencontrer le président américain, Joe Biden. Il croit y parvenir, mais la rencontre n’aura jamais lieu.
Sans concession
Ces derniers jours, le Kremlin avait déjà fait connaître son agacement, dans un premier temps, par le biais d’une dépêche de l’agence d’Etat RIA Novosti, qui signalait au détour d’un article sur une déclaration du chef de l’Etat français, en marge du sommet du G7, que, « depuis longtemps, les Français ne respectent plus les règles diplomatiques des négociations », en brisant le secret habituellement de coutume. L’Elysée avait alors indiqué avoir prévenu le Kremlin non pas lors du tournage du film, mais avant sa diffusion, après l’avoir visionné à deux reprises, comme convenu avec la société de production. Aucun commentaire n’a été fait après la déclaration de M. Lavrov. Avant son ministre, Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, avait fait part dimanche, sur une chaîne de télévision russe, du mécontentement de Moscou : « Paris signale au monde entier qu’il considère comme normal de publier les conversations entre ses dirigeants et leurs partenaires », avaitelle accusé. La partie russe se défend d’être mise en difficulté par le film : « Nous menons toujours les négociations de telle manière à ce que nous n’ayons jamais à avoir honte. Nous disons toujours ce que nous pensons, nous sommes prêts à répondre de nos paroles et à expliquer notre position », a défendu M. Lavrov. Une ligne qui permet au chef de la diplomatie russe de tenter de masquer une contradiction en justifiant la publication, en novembre 2021, de courriers confidentiels avec ses homologues français et allemand d’alors, Jean-Yves Le Drian et Heiko Maas, pratique dénoncée à l’époque par Paris. Dans le documentaire, la discussion entre M. Poutine et M. Macron est sans concession. Elle s’accompagne un peu plus tard d’extraits de conversation avec Volodymyr Zelensky, qui, au premier jour de la guerre, demande au président français d’appeler son homologue russe. L’ensemble permet à l’Elysée de justifier l’opportunité de continuer à parler, même après le déclenchement des hostilités, au chef du Kremlin, tout en reconnaissant à demi-mot l’échec de cette démarche, mal comprise dans nombre de capitales européennes. « Je pensais que l’on pouvait trouver à la fois par la confiance et la discussion intellectuelle, un chemin avec Poutine », admet le président français, « ce qu’on croyait impensable est arrivé ». Dans le train qui le ramène de Kiev, le 16 juin, il ne cache pas non plus son inquiétude et dit vouloir tout faire pour éviter une « escalade ». Sans exclure de parler de nouveau au maître du Kremlin.
Philippe Ricard in Le Monde