La Tunisienne Ons Jabeur et la Kazakhe Elena Rybakina écrivent avec brio l’histoire de leurs pays, dont elles sont les premières représentantes à atteindre la finale d’un tournoi du Grand Chelem.
Il n’y a pas de type particulier de très bon joueur ou joueuse sur gazon. On peut s’y prendre en finesse ou en force, slicer ou planter des aces, avoir le centre de gravité très bas ou plus haut. Et parvenir en finale de Wimbledon. Demain, Ons Jabeur, la Tunisienne aux variations multiples, y défiera Elena Rybakina, la Kazakhe à la frappe bien franche, pour une très inédite conquête du trophée qui récompensera encore une nouvelle vainqueure de Grand Chelem dans un tennis féminin passé un trimestre durant sous la coupe d’Iga Swiatek. Tandis que Jabeur sera la fierté du continent africain qui place pour la première fois un de ses représentants en finale d’un tournoi Majeur, les organisateurs essaieront d’oublier les origines moscovites de son adversaire en cette période très troublée. On le lui aura en tout cas bien rappelé en conférence de presse, pour tenter de gâcher son plaisir, sans qu’elle se départisse de son sourire. Dans le festival du chip opposant les deux copines Jabeur et Maria, il n’est pas anormal que ce soit la plus complète des deux, et celle ayant glissé les coups de patte les plus diaboliques en contre-amorties ou en passings, qui ait fini par l’emporter. Numéro 2 mondiale, la Tunisienne, qui s’était promis d’évacuer le traumatisme d’une élimination d’entrée à Roland-Garros, a su vite se reconcentrer après un énorme coup de mou dans la deuxième manche.
La cogneuse contre la spécialiste
Car se coltiner les balles slicées de l’Allemande ensorceleuse use énormément. On aurait pu croire à une téléportation dans le tennis d’antan, tellement les deux joueuses s’essayaient à des rallyes cotonneux dont on avait perdu le goût. Avec quatre-vingt-dix montées au filet de part et d’autre, mais aussi cinquante-sept fautes directes en partage, ce spectacle fut intrigant et régénérant, sans être tout le temps passionnant. Quand deux styles casse-pattes s’affrontent, on finit par regretter l’opposition de style. Si les deux joueuses, auxquelles on pourrait ajouter la Française Harmony Tan, ne lanceront sans doute pas une mode, elles auront au moins proposé une belle palette de diversité. Mais la parenthèse est terminée. Car voilà qu’en finale débarque l’un de ces prototypes de cogneuses qui savent si bien mettre la pression. Elena Rybakina (23 ans, 23e mondiale, 1,84 m) n’était pas attendue à ce stade de la compétition. Avant cette sensation londonienne, elle n’avait disputé qu’un quart en Grand Chelem dans sa carrière (Roland-Garros 2021), et avait débarqué dans le Temple au terme d’un premier semestre sans secousse notoire (finale à Adélaïde, quart à Indian Wells), ni expertise gazonnée revendiquée, avec une seule victoire dans les tournois préparatoires. Si sa force de frappe peut lui permettre de gagner des points sur toutes les surfaces, elle ne l’avait pas encore clairement démontré sur herbe. C’est chose faite après six victoires d’affilée. Face à Simona Halep, une ancienne vainqueure, son bras n’a pas tremblé. Solide, constante, jamais réellement embarrassée par la balle que lui proposait la Roumaine, la Kazakhe a évolué à un niveau constant tandis qu’Halep commettait de trop nombreuses doubles fautes (9). Son ultime challenge consistera à trouver la parade face à Jabeur, qui lui offrira un défi sans doute bien plus redoutable. Sa facilité à aligner les parpaings (144 coups gagnants depuis le début du tournoi) suffira-t-elle à perforer la digue tunisienne sur un gazon où il est très dur de générer de la puissance sur des balles qui fusent ? Et aura-t-elle enfin le relâchement nécessaire pour aligner les services gagnants, elle qui domine le circuit en 2022 avec 217 aces ? Réponse demain.
FRANCK RAMELLA in L’Equipe