Après avoir frôlé la cessation de paiements en 2020, le groupe au losange semblait avoir commencé à redresser la situation. Mais la retraite de Russie, qui réduit sensiblement son poids, a relancé les doutes sur sa capacité de survivre seul, à long terme, à la révolution qui bouleverse l’industrie automobile.
« Pensez-vous que Renault s’en sortira ? Nous sommes vraiment inquiets pour eux… ». Glissée au détour d’une conversation par un fin connaisseur de l’industrie automobile, la question a refait surface ces dernières semaines. L’ex-Régie nationale va-t-elle survivre ? Les doutes sur l’avenir du groupe au losange avaient un temps semblé s’éloigner, mais ils ont fait leur retour depuis la retraite forcée de Russie engagée au printemps 2022. Il faut dire que Renault accumule les vents contraires. En 2020, les signaux d’alerte s’étaient déjà multipliés, avec la crise sanitaire. Déjà fragilisé par la course aux volumes engagée par Carlos Ghosn, il a dû recourir à un prêt garanti par l’Etat (PGE) au printemps pour ne pas se trouver à court de liquidités ; il a ensuite lancé un plan de restructuration drastique, passant par 15.000 suppressions de postes ; et il a finalement annoncé des pertes nettes abyssales de 8 milliards d’euros sur l’exercice. L’arrivée d’un nouveau directeur général, Luca de Meo, qui a énergiquement engagé le groupe sur la voie du redressement en 2021, avait restauré l’espoir… brutalement sapé en mars dernier par la décision de se retirer de Russie. Quinze ans d’efforts et d’investissements, 2,2 milliards d’euros de pertes nettes. Le pays représentait 18 % des ventes du groupe, 10 % de son chiffre d’affaires et 12 % de sa marge opérationnelle. Il n’y a évidemment pas péril en la demeure. A court terme, Renault est loin de la cessation de paiements. Même si contrairement aux autres constructeurs automobiles, le groupe au losange est endetté (1,6 milliard d’euros fin 2021), son activité n’a pas brûlé de cash l’an dernier. Il devrait même, selon l’analyste Philippe Houchois de Jefferies, voir sa dette nette ramenée à zéro d’ici à la fin de 2022. Le plan drastique d’économies de 2020 a commencé à porter ses fruits. En outre, comme l’ensemble du secteur, Renault bénéficie paradoxalement de la pénurie de puces : en choisissant de produire, et de vendre (au prix fort), les véhicules les plus rentables, il parvient à maintenir la tête hors de l’eau. La retraite de Russie l’a certes contraint à revoir son objectif de marge opérationnelle sur l’année, mais « seulement » d’un point (de 4 % à 3 %). A moyen terme, une ample part de la réponse dépendra aussi du succès commercial de la firme au losange. Lorsque PSA a frôlé la faillite au milieu des années 2010, c’est bien le succès des Peugeot 3.008 et 5.008 qui lui a permis de redresser la barre. Dès son arrivée, Luca de Meo a pris le sujet à bras-lecorps, cherchant notamment à développer les ventes sur le segment C des voitures familiales, les plus rémunératrices. Mais il faut plusieurs années pour donner naissance à un nouveau modèle. Les premiers véhicules issus de cette stratégie (comme le Dacia Jogger, la Megane-e électrique, ou encore le Renault Austral) viennent d’arriver dans les concessions, ou y sont encore attendus. Les résultats commerciaux qui seront publiés ce 12 juillet livreront quelques indices, mais il est encore trop tôt pour dresser un vrai bilan. D’autant que les pénuries empêchent toute analyse objective du succès d’un modèle. En réalité, c’est surtout l’avenir de Renault à plus long terme qui peut paraître préoccupant. Non seulement le véhicule de demain sera électrique mais il sera connecté et pourvoyeur de services. Les constructeurs traditionnels vont devoir investir massivement et opérer rapidement des transformations radicales. Tous s’y préparent activement. Carlos Tavares, le patron de Stellantis, a coutume d’évoquer un processus darwinien : seuls les plus forts survivront. Or les marchés financiers ne semblent guère optimistes sur le futur du Losange. « Ils valorisent Renault en Bourse à 7 milliards d’euros, soit peu ou prou à la valeur de ses 43 % dans Nissan. Ils considèrent donc que Renault ne vaut rien tout seul : c’est le prix aujourd’hui de la mort dans vingt ans… », avance un analyste financier. Ce ne serait pas le premier acteur de la vieille économie à disparaître, en tout cas dans sa configuration historique. Les précédents de Kodak ou de Nokia sont dans tous les esprits. Déjà touché par sa cure d’amaigrissement et la contraction de ses ventes, Renault a encore rétréci depuis sa retraite forcée de Russie. Aura-t-il la surface nécessaire pour financer les investissements à venir face aux géants Toyota, Volkswagen ou Stellantis ? Rares sont les observateurs à parier sur l’alliance avec Nissan et Mitsubishi : déjà fragile, mise à mal avec l’affaire Ghosn, elle peine depuis à repartir sur de véritables projets concrets d’envergure. En début d’année, Luca de Meo a annoncé la filialisation de certaines activités. D’un côté, l’électrique, de l’autre, les moteurs thermiques : l’idée est d’ouvrir ensuite le capital des deux filiales à des investisseurs extérieurs. Ces derniers entreraient sur une base de valorisation plus élevée, notamment côté « électrique », et aideraient à financer les investissements. « Cela ressemble un peu à l’opération de la dernière chance… », souffle un analyste. « On ne peut pas savoir ce que ça va donner, mais au moins il y a désormais une impulsion ! ». Difficile aujourd’hui d’imaginer qu’avec ses 115.000 salariés (hors Russie) dont 42.000 dans l’Hexagone et la présence de l’Etat français à son tour de table (à hauteur de 15 %), l’ex-Régie soit un jour purement et simplement liquidée. Le scénario d’une perte d’indépendance, si un jour l’Etat actionnaire refuse de la soutenir à bout de bras, paraît plus concevable. Encore faudra-t-il que Renault constitue alors une cible attractive.
Anne Feitz in Les Echos