samedi 21 décembre 2024
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À Visa pour l’image, trois photographes gazaouis lauréats des prix les plus prestigieux du festival

Actualité oblige, difficile pour Visa pour l’image de passer à côté de la question de la guerre en cours à Gaza. Le jury du festival a récompensé samedi 7 septembre trois photojournalistes palestiniens de trois de ses plus prestigieux prix. Le sujet, qui n’a jamais été aussi sensible, a suscité la polémique dès l’ouverture de cette 36e édition.

C’était un peu la grande question de ce 36ème festival Visa pour l’image : le lauréat du Visa d’Or Rémi Ochlik serait-il présent ou non à Perpignan pour recevoir son prix ? En pleine guerre entre le Hamas et Israël, la présence du Gazaoui Loay Ayyoub, qui a documenté pendant cinq mois le conflit dans l’enclave pour le Washington Post, n’allait évidemment pas de soi.

Le suspense n’aura finalement pas duré très longtemps. Réfugié en Égypte, le jeune photoreporter de 29 ans a bien reçu son visa lui permettant d’entrer en France. Mais il n’a pas encore obtenu ses papiers de résident égyptien et craignait donc de ne pas pouvoir repartir au Caire, alors qu’une grande partie de sa famille est toujours bloquée à Gaza. Il a finalement fait le choix de ne pas faire le déplacement.

La polémique Louis Aliot

Le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, n’a en tout cas même pas attendu que la décision du photographe ne soit rendue officielle pour y aller de son commentaire et vertement critiquer le festival que sa ville accueille depuis 35 ans. Lors de l’ouverture officielle de Visa pour l’image ce 31 août, l’édile d’extrême droite a annoncé qu’il ne « remettrait pas le prix cette année, ni moi, ni personne de la ville », l’élu s’estimant « mal à l’aise avec le traitement de cette guerre », allant jusqu’à remettre en cause la probité de Loay Ayyoub en assurant qu’il aurait préféré que le Visa d’Or Rémi Ochlik de la ville de Perpignan récompense « un journaliste totalement indépendant du Hamas ».

Dans les colonnes du journal Libération, le président et fondateur du festival Jean-François Leroy a regretté la décision du maire de Perpignan. « Cela n’est qu’une question de protocole dont je me fous un peu, dans la mesure où la ville s’est bien engagée à donner au lauréat la somme de 8 000 euros, qui correspond à la récompense », a-t-il par ailleurs nuancé.

Un sujet explosif

L’épisode montre une fois de plus à quel point le sujet est explosif. « C’est la première fois en 36 éditions de Visa pour l’image qu’il y a un tel antagonisme entre les gens. Il n’y a plus aucun dialogue possible, déplorait Jean-François Leroy sur RFI. Dès qu’on dit quelque chose, soit on est dans un camp, soit on est dans l’autre et nous, on essaie de rester factuels. On n’a jamais eu des réactions aussi épidermiques que sur la guerre Israël-Hamas. »

Mais les Visas d’Or mettant à l’honneur les reportages retraçant les événements les plus marquants depuis septembre 2023 à août 2024, il aurait été inimaginable que la question israélo-palestinienne ne soit pas au programme de cette 36e édition du festival. Outre, « La tragédie de Gaza », une deuxième exposition intitulée « Cisjordanie » du photographe Sergey Pomonarev traite du conflit israélo-palestinien lors de ce festival.

La manifestation a donc tout mis en œuvre pour être, dixit Leroy, « la plus neutre, la plus factuelle possible » dans son approche. Cela notamment au cours d’une projection, jeudi 5 septembre au soir, du travail des photoreporters dans toute la zone depuis le 7 octobre, accompagnée d’un commentaire dont chaque mot a été « pesé au trébuchet ».

Trois photographes palestiniens pour les trois plus prestigieux prix

Du point de vue de la profession, la séquence ouverte le jour de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre a en tout cas été hors normes. « Il faut noter, parce que c’est quand même assez rarissime, que c’est un territoire qui est complètement bouclé, complètement fermé à la presse internationale, donc on ne travaille qu’avec des photographes gazaouis qui sont très peu nombreux », a souligné Jean-François Leroy.

N’en déplaise à Louis Aliot, une autre photographe gazaouie, Samar Abou Elouf, s’est vue remettre le Visa d’Or de la presse quotidienne Göksin Sipahioglu by Sipa Press pour ses photos de Gaza publiées dans le New York Times. Samedi 7 septembre au soir, alors qu’Olivier Laurent du Washington Post recevait le prix de Loay Ayyoub en son absence, le jury du festival a révélé le nom du lauréat du Visa d’Or News. Une fois de plus, c’est un photographe gazaoui travaillant pour l’AFP, Mahmud Hams, qui a été primé pour son travail dans l’enclave. À eux trois, Loay Ayyoub, Samar Abou Elouf et Mahmud Hams ont donc raflé trois des plus prestigieux prix décernés par Visa pour l’image.

Un prix dédié « à tous les journalistes tués à Gaza »

Malgré la sensibilité du sujet, impossible donc pour le festival de faire l’impasse sur cette guerre à huis clos qui divise le monde depuis son commencement le 7 octobre dernier. « Personne ne doit voir un message politique là-dedans, a averti le président de l’association Visa pour l’image Pierre Conte en annonçant le nom du vainqueur du Visa d’Or News. Par contre, je crois qu’il faut y voir un moment où toute la profession du photojournalisme salue et encourage les seuls journalistes qui travaillent actuellement à Gaza », a-t-il insisté.

La veille, depuis l’Égypte, Loay Ayyoub avait finalement pu échanger avec d’autres confrères par écrans interposés lors d’une visioconférence organisée par le Syndicat national des journalistes CGT à la Bourse du Travail de Perpignan. Le photojournaliste palestinien y a dit sa fierté de recevoir un tel prix en rappelant que lui et ses confrères à Gaza étaient régulièrement pris pour cible.

« J’ai vu des confrères avec gilets « Press » se faire tuer par l’armée israélienne. Il faut absolument que les journalistes internationaux viennent sur place. Pour documenter cette guerre d’abord, mais aussi parce que cela nous protégerait peut-être un peu plus de l’armée, selon moi ». Le photographe a conclu en dédiant son prix « à tous les journalistes tués à Gaza dans l’exercice de leurs fonctions ».

Fin juin 2024, selon des chiffres révélés par le collectif Forbidden Stories, au moins 108 journalistes avaient perdu la vie à Gaza depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas.

P. F.