C’est la première fois qu’une responsable politique en exercice est condamnée en Argentine.
L’affaire n’a pas fini de faire parler et de diviser la société argentine. En condamnant Cristina Kirchner à six ans de prison et à l’impossibilité, à vie, d’exercer une fonction publique, la justice argentine a jeté un pavé dans la mare à un peu moins d’un an des prochaines élections.
La sentence est tombée à l’issue d’un procès-fleuve où l’ex-cheffe d’Etat et actuelle vice-présidente était mise en examen pour association illicite – une charge qui n’a finalement pas été retenue contre elle –, et administration frauduleuse aggravée dans le cadre d’attribution de marchés publics dans sa province d’origine (au sud de la Patagonie) pendant ses deux mandats présidentiels (2007 à 2015).
Un procès « politique »
Dénonçant un « lawfare », celle qui, à 69 ans, demeure une personnalité politique centrale et encore influente a toujours nié les accusations qui pèsent sur elle, et pointé du doigt un procès « politique » visant à l’empêcher, ainsi que son mouvement, le péronisme, de remporter une nouvelle élection.
Depuis plusieurs jours déjà, et avant même que les juges n’aient rendu leur verdict, Cristina Kirchner avait elle-même anticipé l’issue de ce procès en première instance. Dans un long entretien au quotidien brésilien « A Folha » de Sao Paulo, publié la veille du verdict, elle anticipait : « Il est évident qu’il va y avoir condamnation. […] La sentence est écrite depuis le 2 décembre 2019 et ma première déposition ».
En s’adressant au journal brésilien, Cristina Kirchner établit un parallèle entre sa situation judiciaire et celle vécue par Lula, lorsqu’une condamnation pour corruption, annulée par la suite, l’avait empêché de se présenter à l’élection présidentielle en 2018. Lula a finalement été réélu à la présidence brésilienne pour la troisième fois le 30 octobre dernier.
Pour l’instant, Cristina Kirchner ne connaîtra pas le même sort que son homologue brésilien qui, lui, avait dû purger une peine de prison. D’une part, il lui reste deux instances d’appel, la Cour de cassation et la Cour suprême, ce qui pourrait retarder de plusieurs années l’effectivité ou non de cette sentence. D’autre part, en tant que présidente du Sénat, elle bénéficie d’une immunité parlementaire.
Ses détracteurs l’imaginaient déjà postuler à un siège au Sénat lors des élections générales d’octobre prochain afin de prolonger cette immunité. Mais dans une allocution de près d’une heure depuis son bureau du Congrès et diffusée via ses réseaux sociaux personnels, la vice-présidente a pris tout le monde à contre-pied.
« Candidate à rien »
Après avoir dénoncé une « mafia judiciaire » qui constituerait, avec la complicité des grands groupes économiques et médiatiques argentins, un « Etat parallèle », elle a annoncé : « Je ne serai candidate à rien en 2023. […] Vous allez pouvoir me mettre en prison », sur un ton défiant l’opposition politique et médiatique. L’idée d’une collusion entre le pouvoir des grands groupes médiatiques et économiques, le pouvoir judiciaire et le pouvoir poli- tique, est profondément ancrée en Argentine. « Il y a une très grande défiance vis-à-vis de la justice de la part de la société argentine, explique Paula Litvachky, directrice du Centre d’étude légale et sociale (CELS).
Elle est perçue comme une justice proche du pouvoir et des discussions de palais, mais éloignée des demandes sociales. […] Par ailleurs, en raison de vices de procédures ou de dossiers qui n’avançaient pas, la justice a historiquement montré son incapacité à instruire correctement les délits de corruption. »
En effet, tandis qu’une partie de la société accuse la justice de partialité et d’excès contre certains dirigeants, d’autres mettent l’accent sur l’impunité dans les cas de corruption. Pour Sebastian Pilo, avocat et codirecteur de l’Association civile pour l’égalité et la justice (ACIJ), « les actuels et futurs dirigeants font face à l’énorme défi de rompre les relations douteuses entre les juges, les hommes politiques, les hommes d’affaires et les services de renseignement, et reconstruire ainsi la confiance dans notre fonctionnement institutionnel. »
Anaïs Dubois in Les Echos