jeudi 17 octobre 2024
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Au Canada, le gouvernement mise sur la 5G sans débat sur son impact environnemental

Le Canada se veut chef de file en matière de déploiement de la 5G et le gouvernement avance que la dernière technologie de télécommunication profiterait à l’ensemble des Canadiens. Un pari risqué au vu de ses impacts écologiques, qui n’ont pas encore fait débat dans la société. 

Un centre de recherche sur la 5G et l’intelligence artificielle à plus de 540 millions de dollars. Officialisé lundi 17 octobre par Nokia, au côté du Premier ministre Justin Trudeau, le projet sera soutenu jusqu’à 40 millions de dollars canadiens (environ 30 millions d’euros) par le Fonds stratégique pour l’innovation.

Le Canada réaffirme ainsi sa volonté d’être en « tête de file » du déploiement massif de la 5G. Cette technologie promet des débits jusqu’à dix fois plus rapides que la 4G, avec des temps de latence réduits pour accélérer la création d’objets connectés, de la voiture au frigo, tout en consommant en moyenne moins d’énergie que la génération précédente. Mais rien qu’à Montréal, les opérateurs prévoient d’installer au moins 40 000 antennes 5G, soit 40 fois plus que d’antennes 4G.

Une opportunité économique et politique

« Nous continuerons de soutenir l’innovation pour faire croître notre économie, relier nos communautés et créer de bons emplois pour les Canadiens de la classe moyenne », déclare le cabinet du Justin Trudeau le 17 octobre. Représentant près de 50 % des Canadiens, la « classe moyenne » est le fer-de-lance de la politique du Premier ministre, et un immense réservoir de votes. L’évoquer est ainsi une façon de justifier les investissements dans la 5G, en promettant que cette dernière sera bénéfique pour elle, comme pour la société canadienne dans son ensemble.

Le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) est, en 2021, l’un des moteurs de la croissance canadienne : il est responsable de 15 % du PIB du pays sur les cinq dernières années. Le cabinet du Premier ministre avance ainsi, dans le cadre de ses investissements dans la 5G, que « chaque nouvel emploi créé par un investissement dans ce secteur permet de créer 2,3 nouveaux emplois dans l’ensemble de l’économie canadienne. Chaque dollar investi dans ce secteur ajoute près de deux dollars à notre économie. »

Le prix à payer est toutefois élevé : si aucun chiffre n’existe sur l’impact environnemental du numérique au Canada, dans le monde, on sait que ce dernier est responsable de 3 à 5 % des émissions de gaz à effet de serre. Or, déployée massivement, la 5G entraînera plus d’usages du numérique, et donc plus de pollution, malgré des gains en énergie dans certains secteurs qui gagneraient efficacité, comme le transport intelligent.

Questionner l’impact environnemental

Pourtant, au Canada, bien plus qu’en France, les impacts du numérique comme de la 5G sur l’environnement n’ont pas encore fait débat. Il n’y a pas encore eu de polémiques sur le sujet, comme celle qui avait été close de manière abrupte par Emmanuel Macron, avec sa phrase sur les amishs. « Au Canada, on parle beaucoup de l’impact des transports ou encore de l’approvisionnement énergétique, et c’est légitime, mais le numérique est perçu, de manière assez générale, comme un allié par défaut de la transition écologique, il est très peu remis en question », regrette Martin Déron, chargé du numérique pour Chemins de transitions, un projet qui étudie les pistes pour atteindre une société désirable et durable d’ici à 2040.

Le gouvernement canadien, dans une réponse écrite à RFI déclare : « Les technologies sans fil peuvent jouer un rôle essentiel dans la relance économique verte du Canada. Les services et les technologies évolués mis en avant par la 5G pourraient en effet permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre et contribuer à une plus grande efficacité et à un développement plus durable. »

Pourtant, la 5G a un impact sur l’empreinte environnementale des pays dans lesquels elle se développe. « Cette confusion tient beaucoup du terme « virtualisation » comme si on allait passer d’une économie matérielle à une économie virtuelle. Alors que c’est simplement une industrie qui est très bonne pour cacher ses impacts matériels », explique le chargé de projet numérique à Chemins de transition.

Certes, la 5G est censée réduire la consommation énergétique des antennes et pourrait permettre de rendre des services moins gourmands en énergie, en étant par exemple gérés par l’intelligence artificielle. Mais l’effet rebond est immense : en ouvrant la porte à l’internet des objets, c’est toujours plus de ressources en eau et en matières premières qui seront nécessaires à la fabrication de frigos, brosse à dents et autres objets connectés.

Pour le projet Chemins de transition, il faut que la société canadienne priorise les usages de la 5G. « Développer la 5G de manière massive, en assurant à tout le monde qu’on va avoir des retombées économiques, ça semble très utopique et néfaste pour l’environnement. Pourquoi ne pas déployer la 5G dans des territoires industriels spécifiques, pour des objectifs précis, dans la santé ou les transports ? », s’interroge Martin Déron. L’idée ne serait donc pas d’abandonner cette technologie, mais de décider ensemble pour quelles applications la 5G est la plus intéressante écologiquement, socialement, et économiquement. Développer un frigo qui prévient qu’il n’y a plus de tomates n’en fait sans doute pas partie. Pallier les failles des systèmes de santé, si.

M. B.