Le lauréat 2006 du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus s’est dit prêt, ce mardi 6 août, à prendre la tête d’un gouvernement intérimaire au Bangladesh après la dissolution du Parlement. Et la présidence l’a chargé de constituer son équipe. De quoi satisfaire les demandes des étudiants à l’origine du mouvement qui a fait fuir la Première ministre Sheikh Hasina à l’issue d’une répression sanglante.
Le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus va diriger un gouvernement intérimaire au Bangladesh, a annoncé la présidence tôt ce mercredi (mardi soir, heure de Paris).
La décision de former une équipe intérimaire « avec Yunus comme chef » a été prise lors d’une rencontre entre le président Mohammed Shahabuddin, des hauts dignitaires de l’armée et des responsables du collectif Students Against Discrimination (Étudiants contre la discrimination), principal mouvement à l’origine des manifestations initiées début juillet, a précisé le service de presse de la présidence.
« Aujourd’hui, s’il faut agir au Bangladesh (…) je le ferai »
« Je suis touché par la confiance des protestataires qui me souhaitent à la tête du gouvernement intérimaire », avait au préalable déclaré à l’AFP Muhammad Yunus, ce mardi. « J’ai toujours mis la politique à distance […] Mais aujourd’hui, s’il faut agir au Bangladesh, pour mon pays, et pour le courage de mon peuple, alors je le ferai », écrivait-il, tout en appelant à l’organisation d’« élections libres ».
L’économiste, âgé de 84 ans, est connu pour avoir sorti des millions de personnes de la pauvreté grâce à sa banque de microfinance, pionnière en la matière. Il s’était attiré l’inimitié persistante de la Première ministre Sheikh Hasina, qui l’avait accusé de « sucer le sang » des pauvres. Avec sa déclaration faite à l’AFP, Muhammad Yunus confirmait des propos publiés le 5 août dans le quotidien français Le Figaro, auquel il avait confié : « Si les circonstances l’exigent, je peux conduire le gouvernement. »
« Le gouvernement intérimaire n’est qu’un début », précise le prix Nobel de la paix dans sa déclaration écrite à l’AFP ce jour. « L’apaisement définitif ne viendra qu’avec des élections libres. Sans élections, il n’y aura pas de changement », estime-t-il. « Les jours à venir sont cruciaux pour l’avenir de notre pays. Chaque décision prise sera déterminante », prévient-il.
Un Parlement dissout et des élections dans les prochains mois
Muhammad Yunus a salué par ailleurs le « courage » des jeunes manifestants qui ont poussé la Première ministre à la démission. « Ils ont rendu le Bangladesh fier et ont montré au monde la détermination de notre nation face à l’injustice », juge-t-il.
Via un mouvement horizontal et sans leader clair, la réponse des étudiants aux questions sur la structure de la rébellion est longtemps restée la même. Abu Sayeb, premier martyr tué le 16 juillet par la police en est le seul symbole. Mais désormais sur les boucles Telegram où circulent les informations entre étudiants, plusieurs visages reviennent notamment celui de Nahid Islam, propulsé sur le devant de la scène après avoir été arrêté et torturé par la police et des milices. Il a été retrouvé inconscient dans la rue deux jours plus tard avant de s’exprimer depuis sa chambre d’hôpital. À 26 ans, un drapeau du Bangladesh autour du crâne en manifestation, il est l’un des coordinateurs « des étudiants contre la discrimination », l’un des groupes phare du mouvement.
C’est encore Nahid Islam qui a demandé à Muhammad Yunus de diriger l’autorité de transition. Avec son ton calme et paisible l’étudiant en sociologie marque les esprits mais ne représente pas l’intégralité d’un mouvement politique divers. Les idées réformistes, nationalistes, islamistes, libérales ou encore de gauche radicale semblent cohabiter d’après l’un des étudiants qui suit le soulèvement depuis le début. Ce mouvement varié a pour boussole commune neuf demandes à l’égard des autorités. Cette liste de vœux est désormais en grande partie exaucée. Le président a annoncé ce mardi la dissolution du Parlement, demandée par les protestataires et le principal parti d’opposition du pays, le Bangladesh Nationalist Party (BNP). Ces derniers exigent des élections d’ici à trois mois.
Le principal syndicat de police demande « pardon »
Le principal syndicat de policiers au Bangladesh a demandé « pardon » pour avoir tiré sur des étudiants, dans un communiqué publié également ce jour. Le syndicat a affirmé que les officiers de police avaient été « forcés à ouvrir le feu » puis présentés comme les « méchants ». Il a annoncé aussi une grève pour garantir la sécurité des policiers.
Le chef de l’armée bangladaise, le général Waker-Uz-Zaman, avait annoncé lundi la formation prochaine d’un gouvernement intérimaire. Il avait promis de réparer « toutes les injustices » et de lever le couvre-feu dès mardi, alors que les manifestations contre un système de quotas d’embauche dans l’administration ont fait plus de 400 morts depuis début juillet à travers le pays, et ont finalement abouti lundi au départ de la Première ministre Sheikh Hasina, 76 ans, contrainte de s’enfuir à bord d’un hélicoptère.
Au Bangladesh, le secteur du textile est fragilisé depuis des mois et directement affecté par la crise politique et sociale actuelle
Sous la direction de Sheikh Hasina, l’économie du Bangladesh a connu un développement rapide. Mais le pays n’a pas réussi à se diversifier : 85% des revenus d’exportation sont issus de l’industrie textile. Le Bangladesh a réussi à s’imposer ces dernières années comme une des puissances mondiales du secteur du prêt-à-porter avec la Chine et le Vietnam.
En parallèle, le pays est devenu le deuxième importateur mondial de coton derrière la Chine. Plus de 6 balles sur 10 produites en Afrique de l’Ouest sont désormais achetées par le Bangladesh par des filateurs qui ont fait d’énormes investissements pour financer de nouvelles unités de productions ultra-modernes. Mais beaucoup de ces usines flambant neuves n’ont jamais tourné à plein régime, faute de demande mondiale suffisante en fil parce que la demande textile est aussi en berne. Résultat : les filateurs croulent sous les dettes et les ouvriers de ce secteur phare du pays restent largement sous-payés.
Après les derniers événements, c’est tout le monde international du coton qui est sur le qui-vive. Ces derniers mois déjà, le pays avait du mal à honorer ses commandes notamment ses achats de coton africain. Mais aujourd’hui c’est pire confie un négociant français : « Toutes les affaires et tous les règlements sont gelés ». La crise actuelle pèse directement sur l’activité des usines et pourrait mettre en péril un secteur bancaire local composé d’une multitude d’établissements sous-capitalisés qui pourraient avoir du mal à supporter de nouveaux retards de paiement de leurs clients.
B. M.