L’important dans toute cette histoire, c’est d’abord cette jeune fille, Kaylia Nemour, 17 ans, tout en haut du podium. Le travail et le talent récompensés. Et c’est de cela qu’il s’est agi dans la finale des barres asymétriques que la gymnaste, qui a grandi à Beaumont-en-Veron (Indre-et-Loire), a dominé. Pourtant tout a commencé par un grand bruit, sa chute à l’échauffement. «Ça lui arrive rarement, expliquait son entraîneur Marc Chirilcenco, je lui ai alors dit que c’était mieux de tom- ber maintenant. J’ai essayé de la calmer. Je la connais depuis long- temps. C’est l’intérêt de construire sur la durée.»
Il est certain qu’à ce moment-là, son rôle a été majeur. Une manière aussi indirecte pour le coach de lancer un pavé dans le jardin fédéral qui souhaitait fin 2021, pour mieux préparer les Jeux, que Kaylia Nemour quitte le club d’Avoine où elle est licenciée pour rejoindre un pôle fédé- ral. Son refus de quitter les siens est à l’origine de sa participation aux Jeux pour l’Algérie et non pour la France.
Si elle dispose de la double nationalité franco-algérienne, c’est bien en France que l’Avoinaise a commencé la baby gym puis intégré le club d’Avoine-Beaumont. Une école performante et très exigeante de gym qui l’a menée au titre olympique. Exigeante ou plus que ça ? Les méthodes du club sont contestées. Les jeunes filles s’y entraînent beaucoup plus qu’ailleurs. Or un entraînement soutenu sur les corps des jeunes adolescentes peut avoir des con- séquences physiques à terme. La Fédération s’est donc logique- ment inquiétée de ce climat sur place. Début 2022, le médecin fédéral Pierre Billard alertait sur « des situations de mise en danger d’autrui» et «une suspicion d’emprise générale». Ce qui conduisait la Fédération à faire un signalement à la mi-mai 2022, entraînant l’ouverture de plusieurs procédures. La commission de discipline a finalement infligé un blâme au club et lui a enlevé le label formation. Mais elle a blanchi le couple d’entraîneurs Marc et Gina Chirilcenco fin 2022. Idem lors de l’enquête administrative locale un an plus tard. Le médecin fédéral a été ensuite attaqué au conseil de l’ordre, qui lui a donné raison. Et une enquête judiciaire est toujours en cours au parquet de Tours après le signalement de la Fédération.
Une divergence de points de vue médicaux au cœur du conflit
L’Équipe a aussi recueilli dans une enquête des témoignages de familles d’anciennes pensionnaires qui confirmaient les craintes de la Fédération et constaté également un certain climat de peur. Mais les entraîneurs réfutent totalement ces faits. « Cela amène le senti- ment de servir de bouc émissaire, déclaraient Marc et Gina Chirilcenco dans L’Équipe, le 21 juillet 2023, alors qu’au contraire, nous sommes tout à fait en adéquation avec l’idée selon laquelle la performance n’est pas à n’importe quel prix. Vous ne pouvez pas obtenir d’excellents résultats sur du très haut niveau depuis aussi long- temps que nous si les athlètes ne se sentent pas bien.»
Le problème, c’est que Kaylia Nemour a souffert d’une ostéochondrite sévère (atteinte des zones de croissance du cartilage) qui a nécessité l’opération des deux genoux en 2021. Le médecin fédéral, soucieux de sa santé lui a refusé une reprise rapide de l’en- traînement. Mais la jeune fille a, elle, reçu de son chirurgien une autorisation de reprise légère en mars 2022. Elle voulait absolu- ment reprendre le sport alors que les Jeux de Paris approchaient. Elle s’est donc tournée vers l’Algérie dont elle a pris la nationalité en juillet 2022. Longtemps, la Fédération française a refusé de lui délivrer une lettre de sortie avant d’être finalement déjugée par le ministère des Sports en mai 2023. Pendant ce temps, la jeune fille et son staff mettaient à profit cette période sans échéance sportive pour travailler le mouvement qui lui a offert hier le titre olympique.
Le désormais célèbre « Nemour», admiré par Simone Biles, est la combinaison de deux éléments très complexes: un lâcher de la barre supérieure corps tendu, le «Tkatchev», enchaîné avec un « Stalder serré».
«C’était formidable d’avoir pu sortir ce mouvement-là à ce moment-là, c’était là où il fallait le faire et j’ai réussi », a expliqué la nouvelle championne, hier. Elle a logiquement reçu l’énorme note de 15,700, qui lui permettait de hisser le drapeau de l’Algérie, la patrie de ses grands-parents, dans les cintres de Bercy. «C’est le rêve de toute ma vie et encore plus de ces trois dernières années. Je suis tellement honorée d’avoir gagné cette médaille, et en plus en or, avec tout ce qui s’est passé. C’est vrai- ment un soulagement. »
J.-C. C.