jeudi 17 octobre 2024
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Crash du vol Rio-Paris : Airbus et Air France devant la justice treize ans après le drame

Le procès d’Air France et d’Airbus pour « homicides involontaires » s’ouvre ce lundi 10 octobre 2022, treize ans après l’accident le plus meurtrier de l’histoire de la compagnie. À bord de l’avion qui s’est écrasé dans l’océan Atlantique, le 1er juin 2009, 216 passagers et 12 membres d’équipage. Confrontés à des défaillances techniques, de nuit et par mauvais temps, les pilotes ont perdu le contrôle de l’A330. En cause : le givrage des sondes Pitot qui mesurent la vitesse de l’avion. Ce procès a pour but d’établir les responsabilités des deux fleurons de l’économie mondiale.

Il aura fallu 13 ans d’expertises et de contre-expertises, de recours et de rebondissements. Mis en examen en 2011, Air France et Airbus ont bénéficié d’un non-lieu en 2019. Une décision invalidée en appel. Selon les juges, Airbus était au courant des défaillances des sondes Pitot en cas de givre. Un rapport de Thalès, le fabricant des sondes, datant de novembre 2004, remis anonymement à une association de familles de victimes, en faisait état. Surtout, plusieurs incidents ont eu lieu dans l’année précédant le crash. Selon la Cour d’appel, le constructeur a sous-estimé ce danger. Il a recommandé de changer les sondes, mais ne l’a pas rendu obligatoire et n’a pas proposé d’entraînement supplémentaire à haute altitude pour les équipages. Idem pour Air France qui n’a ni informé, ni formé correctement ses pilotes.

Défaillances techniques et erreurs humaines

En face, les deux entreprises (qui n’ont pas souhaité répondre aux questions de RFI) ont affirmé, tout au long de l’instruction, n’avoir commis aucune faute pénale et avoir respecté les réglementations en vigueur. Pour le constructeur, la conception de l’A330 n’est pas en cause, les sondes Pitot non plus. En résumé, c’est la faute des pilotes : s’ils avaient suivi les procédures, le pire aurait été évité.

Air France soutient avoir bien signalé ce problème de givrage à Airbus et attendait ses recommandations. Elle estime que ses pilotes étaient parfaitement formés, notamment via une note sur les sondes Pitot déposée dans leur casier. Problème : dans le même temps, Air Caraïbes, confrontée aux mêmes incidents, décidait de remplacer immédiatement les sondes.

« Je ne peux plus monter dans un avion. »

Le procès, prévu pour durer jusqu’au 8 décembre, devrait à nouveau être le théâtre d’une bataille technique. Air France et Airbus ne devraient rien lâcher. Les familles des victimes non plus, assure Ophélie Toulliou qui a perdu son frère, Nicolas, dans l’accident. La jeune femme s’attend à « un véritable combat de boxe ». « Air France et Airbus vont certainement tenter de se renvoyer la balle. Et au milieu, il y aura nous, les familles des victimes. Nous aussi, on s’est entouré d’experts et de conseillers techniques qui travaillent pour nous de façon bénévole et sans relâche depuis treize ans. »

Cette professeure des écoles s’est mise en disponibilité pendant deux mois pour pouvoir assister à toutes les audiences et compte prendre la parole. Avec d’autres proches des victimes, elle entend mettre en avant la souffrance des familles « détruites » par ce drame. Depuis le décès de son seul frère, « la moitié » d’elle-même, Ophélie Toulliou se sent « bancale ». « Je ne peux plus monter dans un avion. Je ne laisse pas non plus mes enfants prendre l’avion. Ma vision du monde et de la vie a changé, car je sais qu’à chaque instant, on peut me prendre un être cher ».

225 000 euros d’amende pour chaque entreprise

Face à cette douleur, la peine encourue par Airbus et Air France (225 000 euros d’amende qui iront dans les caisses de l’État, l’indemnisation des familles se décidant dans le cadre d’une autre procédure) peut sembler bien dérisoire. « C’est évidemment une goutte d’eau » pour ces sociétés, acquiesce Me Alain Jakubowicz, avocat de plusieurs parties civiles. « Mais l’enjeu pour ces deux mastodontes de l’économie mondiale, c’est la condamnation. Ce serait une contre-publicité terrible. » Ce serait en effet un signal très fort, approuve Me Jean-Pierre Bellecave qui représente lui aussi des familles de victimes. « L’objectif, c’est que ce procès serve à la sécurité aérienne, que chacun sache qu’il n’y a pas d’impunité. Il ne faudrait pas que les responsables de nos vies soient intouchables. Il faut qu’ils craignent qu’il y ait, le cas échéant, une condamnation. »

Les Allemands attendent aussi une réponse

Il y avait 22 Allemands à bord du vol Rio-Paris, et les familles de ces victimes espèrent enfin que toute la lumière sera faite sur les causes de la catastrophe. Alexander Crolow aurait eu 27 ans, quatre jours après son retour de Rio, où il venait d’assister au mariage d’une amie de sa fiancée. Le jeune couple se trouvait à bord du vol AF 447. Treize ans plus tard, ses parents seront présents ce lundi au tribunal de Paris, rapporte notre correspondante à Berlin. Sa mère Barbara Crolow espère enfin comprendre ce qui a mené au drame, après des années de deuil impossible et de bataille juridique entre les proches des victimes regroupés au sein de plusieurs associations, la compagnie aérienne Air France et le constructeur Airbus qui refusent toujours toute responsabilité dans le drame. « Vous savez, pour moi, c’est une question de morale et d’éthique, explique Barbara Crolow. Ce n’est pas une question d’argent. Il s’agit du fait, aussi, que de grandes entreprises sont responsables de ce qu’elles font ».
Les neuf semaines du procès seront une épreuve pour les familles. Mais Barbara Crolow se dit soulagée que le procureur ait relancé le dossier en 2019, alors que l’affaire menaçait d’être classée sans suite par les juges d’instruction, après la publication de différents rapports concluant à l’absence de responsabilité d’Air France ou d’Airbus ; rapports commandés par la compagnie ou le constructeur.

Marine de La Moissonnière in RFI