Pour la première fois de l’histoire du Congrès, le chef de la Chambre des représentants a été destitué de son poste. D’abord calqué sur le rôle cérémonial et de maintien de l’ordre du speaker britannique, la fonction de speaker a progressivement pris de l’importance aux États-Unis jusqu’à devenir un poste incontournable du système législatif américain.
Son rôle n’est même pas précisé dans la Constitution américaine et pourtant il est habituellement considéré comme la troisième personnalité politique la plus importante des États-Unis. S’il est, en effet, la deuxième personne dans la ligne de succession du président américain après le vice-président, en tant que personnalité en charge de présider les débats de la Chambre des représentants, le « speaker », comme il est communément appelé, a un rôle éminemment politique.
Au départ calqué sur le rôle du « speaker » de la Chambre des communes britannique, le chef de la Chambre des représentants américain avait d’abord un rôle cérémonial et de maintien de l’ordre dans l’hémicycle, mais il s’est rapidement politisé et est devenu au fil des années un rouage incontournable de la politique américaine.
Élu pour deux ans, le « speaker » est désigné à la majorité des 435 membres qui composent la Chambre. Il est donc, sauf invraisemblable surprise, du même bord politique que la majorité des membres qui siègent dans l’hémicycle. Cela influe grandement sur son rôle au perchoir, car si la majorité à la Chambre des représentants est favorable au président américain, le « speaker » aura pour tâche principale de faciliter les débats et de faire en sorte que l’agenda législatif de la Maison Blanche soit adopté sans encombre tout en s’assurant de l’unité de son bloc politique.
Mais le mandat de « speaker » prend réellement toute son importance quand la Chambre est dominée par une majorité hostile au président, comme c’est le cas actuellement avec une majorité républicaine à la Chambre des représentants qui s’oppose à la politique du démocrate Joe Biden. Le « speaker » endosse alors le rôle d’opposant numéro un au programme présidentiel.
Influence sur l’agenda législatif
Pour jouer ce rôle, le règlement de la Chambre des représentants donne au « speaker » plusieurs pouvoirs administratifs, notamment celui de fixer l’agenda législatif de la Chambre. C’est lui qui décide du moment où chaque projet de loi est présenté et débattu, un avantage qui, lorsqu’il est utilisé à bon escient peut avoir un réel impact sur l’adoption ou non d’un texte.
Durant la présidence de Donald Trump, la démocrate Nancy Pelosi, première femme à avoir occupé le poste de chef de la Chambre des représentants, avait ainsi réussi avec sa majorité à bloquer le projet de mur à la frontière mexicaine voulu par le milliardaire, en refusant de voter le budget fédéral si le chantier était inclus dans le projet de loi budgétaire. Cela avait alors provoqué un « shutdown » historique de près d’un mois et la Maison Blanche avait fini par céder. En jouant la carte de l’obstruction, le « speaker » et sa majorité peuvent donc largement influer sur l’agenda politique et contraindre la Maison Blanche à négocier pour passer ses lois.
Par ailleurs, le chef de la Chambre des représentants a également une grande influence sur la nomination des membres de la plupart des commissions et de certains comités. Il a aussi le pouvoir de lancer des commissions d’enquête, comme l’a fait Kevin McCarthy au sujet du fils du président, Hunter Biden, peu de temps avant d’être destitué. Des enquêtes qui peuvent aboutir au lancement de procédures « d’impeachment » que cela avait été le cas à deux reprises à l’encontre de Donald Trump lorsque Nancy Pelosi occupait le perchoir.
« Rien n’est soumis au vote sans son accord »
Selon son affiliation politique, le chef de la Chambre des représentants est donc un allié de poids ou une épine dans le pied du locataire de la Maison Blanche et son influence est très importante. « Le speaker est un personnage très puissant, rien n’est soumis au vote sans son accord », résume ainsi la politologue et spécialiste des États-Unis Nicole Bacharan.
La destitution historique de Kevin Mccarthy fait néanmoins entrer la Chambre des représentants dans une zone grise jamais vue auparavant, car sans « speaker » c’est tout le processus législatif qui pourrait être paralysé. « On assiste à une première historique qui ouvre une véritable incertitude, notamment sur le fonctionnement de la Chambre dans les prochains jours, analyse Julien Toureille, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul Dandurand à l’Uqam au Québec au micro de RFI. Va-t-elle être en mesure d’œuvrer à ses tâches essentielles, notamment négocier de nouvelles lois budgétaires ? ».
Démocrates et républicains se sont en effet accordés le 1er octobre sur un projet de loi de financement provisoire pour éviter un « shutdown ». Mais ce projet budgétaire n’est valable que 45 jours et il n’inclut pas le financement militaire à l’Ukraine. Le temps presse donc pour trouver un successeur à Kevin McCarthy. Pour le moment, c’est le représentant de Caroline du Nord, Patrick McHenry qui assure l’intérim, mais il n’a pas le pouvoir de diriger la Chambre et peut uniquement présider l’élection d’un nouveau « speaker ». Il espère que l’élection d’un nouveau chef de la Chambre des représentants pourra avoir lieu d’ici la semaine prochaine. Un calendrier jugé comme très optimiste par beaucoup d’observateurs.
P. F.