Légende du football malien, adulé dans le club français de Saint-Étienne, l’attaquant Salif Keïta est décédé ce samedi 2 septembre à l’âge de 76 ans. Sur les pelouses, comme en dehors, le buteur au caractère bien trempé n’aura jamais cessé de se battre pour ses convictions.
« La panthère noire ! » C’est le surnom, resté pour l’éternité, de Salif Keïta à Saint-Étienne. L’attaquant malien a tellement marqué le club des Verts que celui-ci avait adopté une panthère noire comme mascotte et comme emblème en 1970. C’est que le natif de Bamako (1946) a bâti sa légende à Saint-Étienne en cinq saisons, inscrivant 185 buts en 140 matches. Attaquant hors pair, Salif Keïta participe à la renommée du club de l’ASSE qui dominait le championnat de France dans les années 1970. Avec les Verts, Salif Keïta a remporté trois titres de champion de France (1968, 1969, 1970) et a terminé soulier d’argent, deuxième meilleur buteur des championnats européens, avec 42 buts lors de la saison 1972.
Son histoire avec Saint-Étienne est rythmée par les légendes et les anecdotes. La première fut la découverte de ce talent, surnommé « Domingo », qui faisait les beaux jours des clubs de la capitale malienne, le Real de Bamako et le Stade malien. Il tombe sous le charme d’un certain Charles Dagher, fervent supporter de l’AS Saint-Étienne, installé à Bamako. Devant l’insistance de ce commerçant libanais, le président des Verts Roger Rocher finit par envoyer un billet d’avion pour inviter l’attaquant malien à participer à un stage. « Mon départ pour la France s’est ébruité. Comme j’avais peur qu’on ne me laisse pas quitter le Mali, j’ai décidé d’aller prendre l’avion à Monrovia au Liberia, raconte Salif Keïta au journal L’Équipe en 2014. Avant d’y arriver, j’ai traversé la Côte d’Ivoire dans le coffre d’une voiture. »
Un taxi pour l’histoire
Victime d’un vol à Monrovia, Keïta voit également son avion, qui devait atterrir à l’aéroport du Bourget, où l’attendent les dirigeants stéphanois, être dérouté sur Orly à cause du brouillard. Le Malien débarque, ne voit personne l’accueillir, et demande à un taxi de l’amener à « Geoffroy-Guichard, à Saint-Etienne ». Cinq cents kilomètres et une course facturée à 1 000 francs français à l’époque (150 euros). Le président Roger ne regrettera jamais cet investissement et l’anecdote va inspirer la chanson « Un taxi pour Geoffroy-Guichard ».
La belle histoire d’amour entre Salif Keïta et Saint-Étienne prit fin en 1972 quand celui-ci décide de rejoindre l’Olympique de Marseille, considérant être « exploité » par les Verts. Le président Roger se venge en dévoilant à la Ligue de football la signature d’une clause illégale dans le contrat entre Keïta et l’ASSE. Le nouvel attaquant de l’OM est suspendu six mois. Il revient à temps pour jouer la rencontre de championnat entre Marseille et Saint-Étienne, marque un but décisif, et adresse un bras d’honneur à son ex-président. Il est de nouveau suspendu… six mois.
Il ne restera qu’une saison à l’OM où il inscrit 12 buts en 23 matches. Poussé à se naturaliser français pour permettre au club de faire jouer d’autres étrangers, Keïta refuse et se voit transféré en Espagne, à Valence. Après trois saisons là-bas, puis trois autres au Portugal (Sporting), il décide de tenter l’aventure américaine en signant à New England Tea Men, club de Boston. Parallèlement, « Domingo » suit des études de management à l’université et entame une reconversion à la fin de son contrat en travaillant dans une banque américaine avant de rentrer au Mali.
DTN, président de la Fédération de foot, acteur…
Dans son pays natal, Salif Keïta avait très tôt été adulé. Talentueux et précoce, il fut le plus jeune international de l’histoire des Aigles du Mali, avec une première convocation en 1963 à seulement 16 ans. Star des clubs de Real de Bamako et du Stade malien, il est malheureux deux fois de suite en finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1964 (Stade malien) et 1966 (Real de Bamako). Il perd également la finale de la CAN 1972 avec le Mali face au Congo-Brazzaville.
Lorsqu’il revient au Mali, Salif Keïta, qui a investi dans l’hôtellerie et qui travaille dans une banque locale, est nommé directeur technique national (DTN). Il veut mettre en place un plan de développement du football malien en créant des centres de formation inspirés des modèles européens. Mais il n’a pas les coudées franches. Il démissionne. « J’avais fait un programme avec un objectif : la CAN ou la Coupe du monde. Pour cela, il fallait repartir de zéro, faire de la formation », confiait-il dans Libération en 2002. Trois ans plus tard, il est élu président de la Fédération de football du Mali (Femafoot). Il n’effectuera qu’un mandat de quatre ans avant de se retirer et de se consacrer à ses activités et au centre de formation Salif-Keïta qu’il avait créé en 1994. C’est dans cette école que vont éclore beaucoup d’internationaux maliens dont son neveu et futur capitaine de l’équipe nationale, Seydou Keïta.
Décoré de la Légion d’honneur le 14 juillet 2014, Salif Keïta a deux stades qui portent son nom en France, à Saint-Étienne et à Cergy. Il aura également côtoyé le cinéma avec le réalisateur guinéen Cheik Doukouré, qui s’inspire de la vie du footballeur malien pour son film Le Ballon d’or. Salif Keïta joue le rôle de Karim, entraîneur de Bandian, un jeune Guinéen passionné de football qui quitte son village pour rejoindre l’Europe afin de réaliser son rêve de devenir professionnel. Dans la dernière scène du film, le jeune footballeur demande à un taxi de l’emmener… à Saint-Étienne.
N. S.