En Turquie, avait lieu ce dimanche 14 mai un double scrutin : la présidentielle et les législatives. Enjeu principal, la reconduction de Recep Tayyip Erdogan à la tête de l’État, ou le choix de l’alternance, avec Kemal Kiliçdaroglu. Le taux de participation s’annonce très élevé. Et selon des résultats encore partiels, le pays se dirige vers un second tour.
Dans tout le pays, les bureaux de vote étaient bondés pendant la journée, constate notre correspondante à Istanbul. Et les électeurs devaient attendre parfois plus d’une heure pour mettre leur bulletin dans l’urne. Canan Kaftancioglu, la dirigeante à Istanbul du CHP, le parti du candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu, a dit s’attendre à une participation record, supérieure à 90% à Istanbul et en Turquie.
À part quelques incidents mineurs signalés ci et là, le vote s’est déroulé dans le calme. Kemal Kiliçdaroglu a toutefois appelé les électeurs à assister au dépouillement dans leurs bureaux de vote, comme ils en ont le droit. Mais il y avait de toute façon de très nombreux observateurs mandatés par les partis dans les bureaux.
Chaque camp veut voir dans cette participation particulièrement importante un signe en sa faveur. L’opposition estime que ses électeurs ont voté en masse, car pour la première fois la chance d’une victoire est réelle, et donc ceux qui auraient pu être démotivés aux scrutins précédents, ou les jeunes qui traditionnellement votent un peu moins, ont pu se mobiliser. Le pouvoir veut croire à l’inverse que les soutiens de Recep Tayyip Erdogan, à cause du risque inédit de perdre, sont allés le soutenir en nombre.
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : cette participation massive illustre bien l’importance de ces élections, et notamment ce premier tour de la présidentielle, dont on ignore encore s’il donnera lieu à un deuxième tour de scrutin. Au-delà d’un candidat et d’un parti, c’est bien pour leur avenir que les Turcs votaient ce dimanche.
C’est une longue soirée, voire même une longue nuit, qui s’annonce. Le dépouillement prend du temps, dans les villes surtout. Pour l’instant, seuls des résultats partiels sont annoncés. Recep Tayyip Erdogan y est en tête, mais c’était attendu, puisque c’est dans les grandes villes que l’opposition devrait enregistrer ses meilleurs scores. L’écart se réduit.
La guerre des chiffres
Au siège du Parti de la justice et du développement (AKP), le parti au pouvoir, en début de soirée, une centaine de personnes étaient déjà rassemblées devant le bâtiment, agitant des drapeaux rouges et bleus avec, en fond sonore, les morceaux de musique qui ont rythmé les dernières semaines de campagne.
Mais à l’intérieur, confie notre envoyée spéciale à Ankara, l’ambiance était beaucoup plus feutrée, les yeux étaient rivés devant les écrans de télévision, plusieurs chaines étant allumées. Les gens parlaient à voix basse.
La primauté de l’annonce des résultats fait toujours l’objet d’un combat relativement âpre en Turquie, où l’on estime que c’est une manière d’obtenir une forme de supériorité psychologique face à l’adversaire.
Une bataille de chiffres s’est ainsi engagée en soirée autour des dépouillements du vote. Pour l’heure, le président sortant est crédité de plus de 50% des suffrages, selon notamment l’agence officielle Anadolu. Un résultat aussitôt contesté par l’adversaire de M. Erdogan : « Nous sommes en tête », a-t-il affirmé sur Twitter, alors que le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, depuis le siège du parti à Ankara et s’exprimant « au nom de Kemal Kiliçdaroglu », a appelé les citoyens « à ne pas tenir compte des chiffres donnés ». Le CHP appelle à rester mobilisé cette nuit.
« Nous ne croyons pas Anadolu », a même dit le maire d’Istanbul, jugeant l’agence « sous respirateur artificiel depuis 2019 », ayant « perdu toute respectabilité ». Les chiffres de la chaine proche du CHP Halk TV l’auront rassuré, donnant une légère avance à M. Kiliçdaroglu.
Dans les résultats partiels que donne l’agence Anadolu, il manque les bureaux de vote et les provinces où le CHP est le plus fort. Dans ces bureaux, l’AKP conteste beaucoup les résultats. Cela permet de montrer Recep Tayyip Erdogan comme ayant plusieurs points d’avance, alors que les résultats qui nous parviennent à nous, et qui sont basés sur les procès verbaux signés, montrent qu’il est 1,5 ou 2 points derrière Kemal Kiliçdaroglu. Pourquoi le pouvoir fait-il cela ? Pour démoraliser nos partisans…
Et de fait la tension règne au QG du parti au pouvoir également, où des équipes se sécurité ont même fait évacuer le bâtiment suite à une alerte à la bombe.
Chaque camp attend donc désormais les résultats fébrilement. Les partisans de l’opposition veulent croire en un « printemps turc ». À leurs yeux, il s’agit de la dernière chance de changement. Un changement qui leur rendrait, disent-ils, des libertés perdues avec le président Erdogan. Mais à n’en pas douter, ce dernier conserve une base populaire importante. Et pour ces électeurs-là, une victoire de l’opposition jetterait la Turquie dans le chaos.
M. B.