lundi 25 novembre 2024
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Energies fossiles / Les milliards offshore de Perenco : grands crus, immobilier de luxe et viande halal

La famille Perrodo, propriétaire du groupe pétrolier Perenco, a placé sa fortune dans des paradis fiscaux avant de l’investir discrètement dans l’immobilier, le vin ou des start-up à travers l’Europe. Révélations sur un empire opaque, bâti sur les profits de l’or noir.

De prime abord, tout semble opposer le Château Labégorce au grossiste alimentaire Isla Délice. Le premier produit un cru bordelais d’appellation Margaux, dont les bouteilles avoisinent les 30 euros. Le second, situé sur une zone industrielle auvergnate en bord d’autoroute, fabrique du saucisson halal pour la grande distribution.

Pourtant, par le truchement de holdings situées dans des paradis fiscaux, le Château Labégorce et Isla Délice appartiennent à la même famille : les Perrodo, propriétaires du second groupe pétrolier français, Perenco. La charcuterie halal et les grands crus ne sont qu’un avant-goût de l’immense patrimoine amassé au fil des années par ce clan milliardaire, 15e fortune française selon le magazine Forbes.

D’après l’enquête de Disclose et Investigate Europe (IE), la famille est à la tête d’un véritable empire immobilier et financier en Europe, au cœur duquel s’articulent des montages fiscaux bien rodés. Car si ses sièges sociaux sont établis à Paris et à Londres, les sociétés mères de Perenco, elles, sont basées aux Bahamas, où les dividendes ne sont pas taxés. Résultat, une partie des profits issus de l’or noir échappent à l’impôt dans les pays où la pétrolière opère, pour être réinvestie sur le Vieux continent.

De prime abord, tout semble opposer le Château Labégorce au grossiste alimentaire Isla Délice. Le premier produit un cru bordelais d’appellation Margaux, dont les bouteilles avoisinent les 30 euros. Le second, situé sur une zone industrielle auvergnate en bord d’autoroute, fabrique du saucisson halal pour la grande distribution.

Pourtant, par le truchement de holdings situées dans des paradis fiscaux, le Château Labégorce et Isla Délice appartiennent à la même famille : les Perrodo, propriétaires du second groupe pétrolier français, Perenco. La charcuterie halal et les grands crus ne sont qu’un avant-goût de l’immense patrimoine amassé au fil des années par ce clan milliardaire, 15e fortune française selon le magazine Forbes.

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D’après l’enquête de Disclose et Investigate Europe (IE), la famille est à la tête d’un véritable empire immobilier et financier en Europe, au cœur duquel s’articulent des montages fiscaux bien rodés. Car si ses sièges sociaux sont établis à Paris et à Londres, les sociétés mères de Perenco, elles, sont basées aux Bahamas, où les dividendes ne sont pas taxés. Résultat, une partie des profits issus de l’or noir échappent à l’impôt dans les pays où la pétrolière opère, pour être réinvestie sur le Vieux continent.

A Londres, où ils vivent, les Perrodo ont acheté des propriétés parmi les plus huppées de la capitale pour plus de 462 millions de livres (537 millions d’euros au taux de change actuel). Au Luxembourg, leurs actifs atteignent plus de deux milliards d’euros, principalement liés à des investissements dans le domaine viticole, foncier et technologique à travers l’Europe. Le tout, largement financé par des comptes aux Bahamas et à Guernesey, par le biais de holdings luxembourgeoises.

Deux milliards d’euros d’actifs au Luxembourg

Rien qu’au Grand-Duché, nous avons découvert 89 sociétés liées à la famille. Trois quarts d’entre elles ont pour but d’investir dans l’immobilier, le plus fréquemment en Espagne et au Portugal, mais aussi au Panama, ou aux États-Unis. Pour celles dont l’actionnariat actuel est déchiffrable, l’analyse des comptes les plus récents révèle que les Perrodo détiennent plus de deux milliards d’euros d’actifs. Une partie de ce butin est gérée par Kronos, un puissant promoteur de la péninsule ibérique, dont la famille Perrodo est cofondatrice.

Interrogé sur cette multitude d’acquisitions liées à des fonds basés dans des paradis fiscaux, un porte-parole de la famille balaie toute irrégularité. « Chaque investissement est entièrement conforme aux exigences fiscales et déclaratives, ainsi qu’à toutes les lois en vigueur dans les pays d’opération », affirme-t-il, soulignant qu’aucune entreprise liée aux placements personnels des Perrodo ne fait l’objet d’enquête fiscale.

Le fisc espagnol privé d’un million d’euros

Une fois l’argent du pétrole investi en Europe, il s’agit d’en faire remonter les profits vers les paradis fiscaux. A grands renforts de sociétés offshore, la famille recourt à deux techniques pour récolter ses gains. La première consiste à verser les dividendes de ces investissements à des holdings immatriculées aux Luxembourg, aux Bahamas et à Guernesey. La seconde, plus acrobatique, consiste à employer les mêmes holdings pour effectuer des prêts à leurs filiales dans les pays où elles opèrent, avec un taux d’intérêt bien supérieur à ceux pratiqués sur le marché.

Prenons un exemple en Espagne. En 2020, le promoteur Kronos a achevé le chantier d’un édifice baptisé H2O, comprenant 252 appartements et des commerces près des plages, dans la banlieue de Barcelone. L’entreprise espagnole en charge du projet, Barkeno Developments, est une filiale de Barkeno sarl, société luxembourgeoise dont les Perrodo contrôlent 68% du capital.

De Lisbonne à Barcelone, le groupe Kronos revendique 18 milliards d’euros de transactions : des appartements haut de gamme, immeubles en bord de mer et des centres commerciaux. Nombre de ces investissements sont réalisés depuis le Luxembourg, grâce à une myriade de holdings dont les Perrodo sont souvent actionnaires majoritaires. Mais il arrive aussi qu’ils s’associent avec d’autres poids lourds de l’hexagone, comme Françoise Bettencourt, héritière de L’Oréal.

Les Perrodo détiennent le média en ligne Konbini

Sous les auspices luxembourgeois, les propriétaires de Perenco ont également investi dans une multitude d’entreprises, au-delà du secteur immobilier. En France, outre le Château Labégorce et Isla Délice, ils détiennent d’autres domaines viticoles, ainsi que 22,63 % du champagne Taittinger, 79,7 % du média en ligne Konbini et 9,5 % de la start-up française Wynd, selon l’examen des derniers comptes disponibles au Luxembourg. Ils ont également financé Miss Group, un hébergeur web suédois, Sumo Digital, un concepteur de jeux vidéo britannique, ou encore Esla, un producteur d’énergie solaire espagnol.

Entre 2015 et 2017, Barkeno sarl a encaissé 19 millions d’euros de financements d’une société de Perenco aux Bahamas. Aussitôt reçu, l’argent a été prêté à Barkeno Developments, avec un taux d’intérêt de 8 %. Ce montant paraît démesuré par rapport aux prêts bancaires que l’entreprise décroche en parallèle : 20 millions d’euros, à moins de 3%.

Pourquoi débourser trois fois plus pour un prêt de ses propres actionnaires quand Barkeno peut l’avoir à moindre coût chez un banquier ? La réponse est simple : afin de payer moins d’impôt, tout en garantissant un meilleur retour à ses investisseurs. 16,5 millions d’euros auront ainsi quitté l’Espagne pour le Luxembourg, avant de partir vers d’autres paradis fiscaux au profit des Perrodo. D’après nos calculs, juste avec cet emprunt, Barkeno a privé le fisc espagnol de près d’un million d’euros. « Ces taux d’intérêt ne peuvent être comparés aux prêts bancaires, rétorque Kronos, à l’origine du montage. Car ces derniers sont généralement garantis par une hypothèque (…), alors que l’investisseur assume un risque plus élevé. » Un inspecteur des impôts espagnol que nous avons consulté n’est pas de cet avis. « L’entreprise aurait dû se trouver au bord de la faillite pour demander de l’argent à un taux de 8 % », estime-t-il.

Les normes fiscales internationales (en vigueur en Espagne) stipulent bien que les opérations entre entités d’un même groupe doivent être exécutées aux conditions du marché. Pourtant, chez les Perrodo, le procédé est loin d’être isolé. Disclose et IE ont identifié 18 sociétés luxembourgeoises dont la famille est actionnaire majoritaire et qui ont accordé des prêts entre 7 % et 10 % à leurs filiales. Même stratégie Outre-Manche, où, en 2019, une société des Perrodo a financé un projet immobilier, détenu en partie par la famille, avec des intérêts exorbitants de 15%.

Immobilier : la pierre précieuse londonienne

Au Royaume-Uni comme en Espagne, la pierre est une valeur sûre pour les propriétaires de la pétrolière Perenco. Depuis le début des années 2000, ils ont investi plus de 462 millions de livres dans l’immobilier de la capitale britannique. De belles demeures, des immeubles de bureaux et des ensembles d’appartements dans les quartiers les plus prisés de l’Ouest londonien. L’examen des registres publics démontre que les acquéreurs étaient systématiquement des sociétés écrans basées aux Bahamas et à Guernesey, ou leurs filiales britanniques, financées par des prêts sans intérêts.

Au palmarès des dépenses les plus impressionnantes, citons les 85 millions de livres investies dans le siège de Perenco en 2013, les 21,5 millions placés dans un manoir près de Holland Park en 2016, et les 15,7 millions d’un immeuble de bureaux à Mayfair, en 2018.

Perenco assure que « toutes les entreprises possédant des biens immobiliers au Royaume-Uni, où qu’elles soient immatriculées, sont enregistrées et doivent payer des impôts au Royaume-Uni, en totale conformité avec les règles [des autorités fiscales] ». Pour le reste, assure Perenco, « le family office ne fournit pas de détails sur les investissements individuels au-delà de ce qui est disponible publiquement. »

Par family office, il faut comprendre : les gestionnaires de fortune des Perrodo. A Londres, deux firmes remplissent principalement ce rôle. La première, Perwyn, pilote certaines prises de participation de la famille, dont Isla Délice, le producteur de nourriture halal. Elle revendique 2,5 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Nous avons pu établir des liens nombreux entre Perwyn et des paradis fiscaux comme le Luxembourg, Gibraltar, Guernesey et les Bahamas.

La seconde est BNF Capital, dont le directeur général, de 2013 à 2022, fut Jean-Michel Runacher, père d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition énergétique. A la suite des révélations de Disclose et IE sur le potentiel conflit d’intérêts entre Agnès Pannier-Runacher et ce dirigeant historique de Perenco, BNF Capital a signalé sa démission auprès du registre du commerce britannique. Quant à la ministre, un décret paru au JO une semaine après notre enquête lui interdit de s’occuper des dossiers liés à la compagnie pétrolière.

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