vendredi 14 mars 2025
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Enquête / Le Carré VIP du PSG : la vraie ambassade du Qatar

Les 224 places au sein de cet espace du Parc des Princes sont extrêmement convoitées. Une aubaine pour le club et le riche émirat.

A la cour du Roi-Soleil, le comble du raffinement était d’être invité aux réceptions données au château de Marly, la résidence privée de Louis XIV au nord-ouest de Versailles. Dans le Tout-Paris de 2022, la consécration tiendrait plutôt dans un fichier PDF au code couleur doré, dans lequel les groupes de mots « Qatar Airways » et « dress code casual chic-business » figurent en lettres majuscules. « Monsieur Nasser Al-Khelaïfi, président du Paris Saint-Germain, est heureux de vous compter parmi ses invités au Carré », peut-on lire en introduction de cette lettre patente 2.0. Le précieux document donne le droit de fréquenter le saint des saints : l’espace VIP du Parc des Princes, le stade du club de football parisien.

Ce pouvoir symbolique de décider « qui en est » dans la capitale française pourrait justifier à lui seul la somme de 1,5 milliard d’euros dépensée en transferts de joueurs depuis que Qatar Sports Investments (QSI), la société contrôlée par le riche émirat, a racheté le club, en 2011. Car, en y réunissant à chaque match un aréopage d’artistes en vue, d’hommes d’affaires et de politiques, QSI s’impose comme l’entité qu’il faut courtiser si l’on veut compter à Paris. Cette position profite à ses propriétaires, de sorte que la tribune pourrait facilement être qualifiée de véritable ambassade du Qatar en France.

Un lieu aussi glamour que stratégique où l’octroi de la Coupe du monde au petit Etat gazier n’a jamais souffert de la moindre contestation sérieuse. « Je fais partie de ceux qui considèrent que c’est une vitrine éminemment politique. Les Qataris ne font aucune allusion, mais évidemment l’influence est là, diplomatique aussi », commente le journaliste Charles Villeneuve, ex-président du PSG et habitué de la fameuse tribune.

Existe-t-il un autre endroit en France susceptible de susciter des pages dans Gala comme de faciliter des deals dont rendra compte Les Echos ? De faire voisiner Cyril Hanouna et Manuel Valls, l’humoriste Kev Adams et le PDG Sébastien Bazin, DJ Snake et l’avocat Francis Szpiner ? Bien sûr, officiellement, on n’y fait que regarder un match. « Je viens seulement pour le football », précise Hervé Morin, président de la région Normandie et ex-ministre de la Défense, à l’unisson de l’immense majorité des invités. Pour autant, impossible de faire abstraction des Very Important Persons. S’ils n’étaient pas là, le Carré ressemblerait à une banale tribune présidentielle. « On y trouve toujours les mêmes personnes, poursuit Hervé Morin, c’est-à-dire la nomenklatura française. Des sportifs, des politiques, des célébrités. On se connaît, on se salue. » Cette saison, l’actrice Natalie Portman ou le rappeur Kendrick Lamar y ont déjà été aperçus. Comme avant eux Rihanna, Beyoncé ou Michael Jordan. Les soirs de grand match, le casting n’a rien à envier au Festival de Cannes, les politiques en plus. « J’ai le souvenir d’un PSG-Real Madrid avec Anne Hidalgo, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Edouard Philippe. Dans ces cas-là, tout le monde se salue », raconte Arnaud Péricard, le maire de Saint-Germain-en-Laye, invité permanent en tant qu’édile de l’autre ville fondatrice du club.

Payer ne suffit pas. Il existe des loges spécifiquement prévues pour les fans fortunés, comme l’espace des capitaines, le très prisé Club étoile ou la très chic Galerie, pour des sommes allant de 4 000 à 28 000 euros la place annuelle. Il y a aussi les salons des sponsors, notamment ceux de Nike, d’American Express ou de Huawei, concédés contre un chèque de 200 000 euros à 450 000 euros la saison. Le Carré VIP, c’est autre chose. Pour l’intégrer, il faut y être invité, comme dans toute société privée. Au PSG, la décision émane d’un seul homme, Nasser Al-Khelaïfi, le président, par ailleurs ministre sans portefeuille de l’émirat du Qatar. De 2014 à 2020, Adel Aref, un de ses amis de longue date, s’occupe à temps plein de faire venir des personnalités qui donneront une bonne image du club. Les soirs de Ligue des champions, il reçoit parfois plus de 1 000 demandes de VIP… pour seulement 224 places, pas une de plus. Certains s’offusquent, comme Enrico Macias, pourtant auteur du tube Le Mendiant de l’amour, lassé de devoir quémander des accès. « Le foot, c’est du soft power, et le Carré, c’est le soft power de la direction du PSG », observe Pascal Cherki, ex-adjoint au maire de Paris chargé des sports.

Le PSG se sert aussi de cet espace pour remercier ou impressionner d’éventuels sponsors. « Si nous voulons nouer un partenariat avec une nouvelle marque, nous allons faire venir ses dirigeants au meilleur endroit où présenter notre produit. C’est logique, non ? » glisse une source de la direction du club. Dans cet Automobile Club à ciel ouvert – accessible aux rappeurs et aux Miss France, lui –, tout est fait pour que le convive se sente spécial. On y est accueilli une heure trente avant le début du match, trois cocktails sont proposés dans les salons, avant, à la mi-temps, et après le match. C’est lors de ces apartés discrets que peuvent se nouer des relations inattendues. Le chanteur Grégory Bakian y a sympathisé avec Pierre Sarkozy, le fils de l’ancien président, tandis que Charles Villeneuve y converse régulièrement avec l’artiste Gims. « C’est comme un salon, on échange de la politique, de l’économie, de l’actualité… Et du foot, évidemment, on ne parle pas que des affaires », sourit l’ancien cadre du groupe TF1.

Ce joyeux mélange des genres accompagne le PSG depuis sa création. Jean-Paul Belmondo parraine le premier appel aux dons en 1970, tandis que le couturier Daniel Hechter et le publicitaire Francis Borelli prennent la tête du « gang des chemises roses », une bande d’entrepreneurs bran- chés qui investit dans le club. Sous l’ère Canal +, entre 1991 et 2006, la gestion de la Corbeille, comme on appelle alors cette tribune, se professionnalise. Valérie de la Rochebrochard, directrice des relations publiques de la chaîne cryptée, est chargée de constituer les panels : « Cette période m’a donné mon réseau pour la vie entière. La Corbeille, c’est un lieu rare de lobbying », estime-t-elle. Un 1er avril, elle se fend d’un petit canular flatteur que le président du PSG, Michel Denisot, prend… très au sérieux : « J’avais fait une fausse liste pour rigoler, avec lady Di et ses fils, Margaret Thatcher… Denisot disait : “Ah bon ? Ils viennent tous les quatre ?” C’était tellement drôle », se souvient-elle.

A son arrivée au PSG, le Qatar a mis en place des règles supplémentaires. Au sein du Carré, la tenue « veste, chemise et chaussures de ville » est « obligatoire ». Un soir de match, le nageur Amaury Leveaux, champion olympique, se voit refuser l’entrée parce qu’il porte des baskets. En 2016, lors d’un match PSG-Lille, Nicolas Sarkozy est, lui, contraint de suivre la première mi-temps depuis les salons… car il est arrivé plus de dix minutes en retard. Des préceptes qui tendraient à se perdre, selon Grégory Bakian : « Avec l’avènement de la musique urbaine, les looks sont différents. Le dress code est moins respecté. »

Plus gênant pour le club, un trafic de places au Carré semble s’être mis en place pendant plusieurs années. Selon une synthèse d’enquête cosignée par la Direction générale de la sécurité intérieure et l’Inspection générale de la police nationale, révélée par Libération et dont L’Express a également pris connaissance, des policiers se voyaient proposer des places au sein de l’espace VIP du PSG… moyennant des activités illégales de renseignement privé. Des initiatives prises par un lobbyiste et un salarié du club, sans l’aval d’Al-Khelaïfi, jure le PSG. « Pendant longtemps, les invitations au Carré n’ont pas été organisées. Il y avait beaucoup de décisions impulsives. Mais maintenant, nous sommes beaucoup plus structurés », assure une source au sein de la direction, la main sur le cœur. Il en va de la réputation du président… et du propriétaire, le Qatar.

Étienne Girard et Alexandra Saviana in L’Express