jeudi 21 novembre 2024
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BERLIN, GERMANY - MARCH 04: Minister of Foreign Affairs of Qatar Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al-Thani speaks to the media on March 04, 2020 in Berlin, Germany. (Photo by Thomas Trutschel/Photothek via Getty Images)

Entretien / Le Qatar riposte aux critiques contre le Mondial

Dans un entretien au « Monde », le ministre des affaires étrangères qatari dénonce l’« hypocrisie des attaques »

Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani est le ministre des Affaires étrangères du Qatar, pays organisateur de la Coupe du monde de football, qui débute le 20 novembre. Dans cette interview réalisée à Paris, il revient sur les multiples critiques dont l’émirat est l’objet, à deux semaines du début de la compétition.

Comment réagissez­-vous aux appels au boycott du Mondial ? Les raisons avancées pour boycotter la Coupe du monde ne tiennent pas la route. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans ces attaques, qui passent sous silence tout ce que nous avons accompli. Elles sont colportées par un tout petit nombre de personnes, dans dix pays tout au plus, qui ne sont pas du tout représentatifs du reste de la planète. C’est franchement malheureux. La réalité, c’est que le monde attend cette célébration avec impatience. Plus de 97 % des tickets ont été vendus. Parmi les dix pays qui ont acheté le plus de billets, on trouve des pays européens comme la France.

La Coupe du monde a été attribuée au Qatar en 2010. Mais la principale réforme du code du travail, l’abolition de la kafala, le système qui enchaîne les travailleurs à leur patron, est intervenue en 2020, alors que la plupart des infrastructures étaient terminées. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Nous avons reconnu les problèmes concernant le bien­-être des ouvriers. Nous avons même invité les ONG à venir observer notre système. Nous avons parcouru un long chemin pour remanier notre législation. De telles réformes demandent du temps. Cela vaut pour n’importe quel pays, ce n’est pas propre au Qatar. Bien sûr, il y a encore des failles, et nous sommes déterminés à y remédier. Mais pourquoi imputer systématiquement ces problèmes à notre gouvernement, alors qu’en Europe, au moindre incident, c’est l’entreprise qui est mise en cause ? Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Je pense que certaines personnes n’acceptent pas qu’un petit pays du Moyen­-Orient accueille un tel événement planétaire.

Les ONG parlent de milliers d’ouvriers morts dans la préparation du Mondial. Votre gouvernement ne reconnaît que trois morts, uniquement sur les chantiers des stades. Pourquoi ne dispose-­t­-on toujours pas de statistiques précises et exhaustives ? Chaque décès est une tragédie. Au Qatar, nous collectons et publions les chiffres de la mortalité chaque année, avec des distinctions par âges, genres, causes du décès et types d’emploi. Bien entendu, la majorité de ces décès ne sont pas liés au travail. Ils reflètent le profil démographique du Qatar, qui a une population très diverse. Nous sommes en train de passer ces données en revue pour obtenir le chiffre exact des morts du travail. Ce qui est clair, c’est que les chiffres cités par les médias sont faux ou fallacieux.

Le Qatar a récemment adopté un salaire mensuel minimum, fixé à 1 000 rials (281 euros), en plus des repas et du logement. Dans ce pays immensément riche, ce montant n’est­-il pas choquant ? Non, il ne l’est pas. Ce montant est proportionnel au coût de la vie au Qatar, au niveau des prix et à la taille de l’économie qatarie. Ce salaire minimum est suffisant pour mener une vie décente.

Amnesty International a demandé à la FIFA de prélever 400 millions de dollars sur les 6 milliards de dollars de profits que la Coupe du monde va lui rapporter, afin de créer un fonds destiné à indemniser les ouvriers. Votre ministre du travail vient de rejeter cette demande. Pourquoi ? Un tel fonds existe déjà, et il a prouvé son efficacité. En 2021, 350 millions de dollars ont été déboursés de ce fonds. Cet argent est allé à des employés qui ont été privés de leurs salaires et dont l’entreprise est en procès, à des employés qui ont été blessés dans le cadre de leur travail ou à des cas de mort liée au travail. Ce mécanisme fonctionne très bien. Alors pourquoi devrions­-nous le dupliquer ?

L’une de nos journalistes s’est rendue récemment au Népal. Elle n’a eu aucune difficulté à rencontrer des femmes dont le mari est mort au Qatar et qui n’ont reçu aucune compensation… Vous pouvez nous conduire à ces cas, et nous les guiderons jusqu’au fonds. Vous savez, il y a quelques jours, j’ai lu un commentaire qui affirmait que le Qatar n’est pas prêt, intellectuellement et culturellement, à organiser une Coupe du monde. Un tel racisme est­-il acceptable en Europe, au XXIe siècle ? Le football appartient à tout le monde. Il n’est pas un club réservé aux élites. 450 millions d’Arabes sont ravis que le Mondial soit enfin organisé dans leur région.

Le système de climatisation installé dans les stades sera-­t-­il en service durant les matchs ? Les températures au Qatar, en novembre­-décembre, sont presque plus fraîches que les tempéra[1]tures en Europe pendant l’été. Donc la climatisation ne sera pas utilisée. Mais pensez au fait que certains stades européens sont chauffés pendant l’hiver. Cela ne pose aucun problème. Alors pourquoi le fait que nos stades soient climatisés pose­-t-­il un problème, alors même que la technologie utilisée est plus moderne et que son impact sur l’environnement est plus limité ?

Le Royaume-­Uni enverra des policiers au Qatar, pour servir de tampon entre les supporteurs anglais et les forces de l’ordre locales, au motif que la différence culturelle pourrait désorienter certains d’entre eux. Comment ce dispositif va-­t­-il fonctionner ? La Coupe du monde au Qatar est comme n’importe quel événement sportif dans le monde. Le Qatar entretient une relation amicale avec ces pays, en Europe, en Amérique du Sud, et nous collaborons avec eux en matière de sécurité. Des forces de sécurité venues de France, du Royaume­-Uni et d’autres pays européens vont travailler main dans la main avec notre police. Ils n’agiront pas de leur côté, nous coordonnerons tout, car nous sommes responsables de la sécurité de tous, qu’ils viennent du Royaume-­Uni, de France ou d’Afrique. Notre pays est l’un des plus sûrs du monde, et cette Coupe du monde sera l’une des plus sûres de l’histoire.

Beaucoup d’observateurs anticipent un « choc des cultures » entre les fans du monde entier et votre pays. Comment y répondrez-­vous ? Notre peuple est très accueillant, et le monde entier est le bienvenu chez nous. Tout ce que l’on demande, c’est que les supporteurs respectent nos lois, comme on attend de nous que l’on respecte vos lois quand on vient chez vous. Nos forces de sécurité garantiront une Coupe du monde sûre, et il n’y aura aucune confrontation, à moins que certains comportements ne mettent les personnes en danger. C’est le seul cas de figure où elles interviendront.

L’équipe nationale d’Australie, en lice dans la compétition, a publié un clip dans lequel elle dénonce les « souffrances » liées à l’organisation de la compétition dans le pays. Comment réagirez­-vous si certains joueurs prennent la parole sur des sujets extra-sportifs ? En ce moment, le monde est extrêmement divisé, nous sortons tout juste du Covid­19. Nous espérons que cette compétition sera une fête, où tout le monde pourra découvrir notre pays et notre culture. Notre peuple est très hospitalier et tolérant. Si des joueurs souhaitent exprimer leur opinion, ils seront libres de le faire, nous n’empêcherons jamais quelqu’un de s’exprimer.

Il est souvent arrivé, par le passé, que des stades construits en vue d’un grand événement sportif soient abandonnés sitôt la compétition terminée. Comment pensez­-vous éviter cet écueil ? La différence, c’est qu’il y a un alignement parfait entre les infrastructures que nous avons érigées pour la Coupe du monde et celles dont le pays a besoin. Certains stades seront démantelés, dont un en intégralité pour être réemployé dans un autre pays. Des gradins pourront être donnés à d’autres pays. Et tous les autres stades seront utilisés après la Coupe du monde. Plusieurs autres grands événements sportifs sont prévus chez nous après le Mondial, comme les Jeux asiatiques, en 2030.

Le soft power sportif dans lequel le Qatar a investi depuis deux décennies va donc se poursuivre après la Coupe ? Cette politique a commencé bien avant l’obtention de la Coupe du monde, et elle se poursuivra après. Notre ambition est de faire des choses qui rassemblent et unissent les gens. Le sport est un outil important pour atteindre ce but. Notre pays est prêt à accueillir des événements sportifs de premier plan. La Coupe du monde en est juste la manifestation.

Propos recueillis par Benjamin Barthe et Clément Marte in Le Monde