Le prince Albert II de Monaco, très impliqué dans la protection des fonds marins et la lutte contre le réchauffement de la planète, plaide pour l’organisation d’une seule et unique COP.
LA COP27 SUR LE CLIMAT vient à peine de fermer ses portes, à Charm el-Cheikh en Égypte, qu’un autre round de discussions mondiales doit s’ouvrir, à partir du 7 décembre à Montréal (Canada), à l’occasion de la COP15 sur la biodiversité. Le prince Albert II de Monaco, qui nous a reçus vendredi dans la principauté, s’avoue déçu des conclusions de la première et plaide pour une simplification des débats au sein d’un seul et unique rendez-vous annuel.
Quel bilan tirez-vous de la COP27 sur le climat ? ALBERT II DE MONACO. Il est difficile de parler de suc- cès pour cette COP27. Même si des annonces importantes ont été faites en matière de soutien et d’adaptation pour les pays en développement, nous n’avons pas du tout avancé sur les solutions à apporter par les pays développés pour abaisser les émissions de gaz à effet de serre. C’est dommage et très préoccupant. Si on continue comme ça, il est certain que nous n’arriverons pas à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Certains pays se retranchent malheureusement derrière un contexte géopolitique international compliqué et la crise énergétique qui en découle. C’est une réalité, mais attention : la fenêtre se réduit de plus en plus alors que de moins en moins de pays semblent vouloir s’engager. Il faut être réaliste : nous sommes désormais davantage sur la prévision d’un réchauffement climatique à + 2,4 °C (d’ici à la fin du siècle) et plus à seulement + 1,5 °C. Il est illusoire de nous faire croire que ce dernier objectif est atteignable. Ou alors il faut dès demain matin réduire nos émissions de 80 % !
La principauté est-elle bien en position de donner l’exemple ? Oui, car nous sommes à 32 % de réduction de nos émissions par rapport à 1990, en bonne marche pour réussir notre objectif de 50 % de baisse d’ici à 2030 et atteindre la neutrali- té carbone d’ici à 2050.
Une nouvelle COP, centrée sur la préservation de la biodiversité, est organisée à partir du 7 décembre à Montréal. Êtes-vous un peu plus optimiste sur l’issue des discussions qui pourra en découler ? Le sujet est essentiel mais, malheureusement, les débats de cette conférence ont été divisés en deux parties puis le rendez-vous a été décalé à cause de la pandémie. Ces simples problèmes d’agenda n’augurent rien de bon. Nous plaidons, avec 70 autres pays réunis au sein d’une coalition, pour l’établissement d’au moins 30 % des océans en zones complètement protégées, contre à peine 10 % aujourd’hui. Il faut absolument lier les enjeux « climat » et « biodiversité » car le résultat final est le même. On ne peut pas avoir l’ambition de protéger des espèces si on n’associe pas ce combat avec celui de réduire la pollution, par exemple, car la survie de certaines espèces parmi les plus fragiles dépend justement du retour à l’équilibre de leur écosystème menacé par les effets du changement climatique.
Au lieu de multiplier les événements à travers le monde et les COP, nous devrions nous réunir pour parler de tous ces enjeux en même temps. Réussir à englober toutes ces questions intimement liées les unes aux autres dans un format unique, sous une même entité, serait indéniablement plus efficace. Sur la question sensible des financements par exemple mais également, symbolique- ment, pour limiter tous ces déplacements que ces conférences entraînent.
Là encore, avec son intense développement immobilier et les terrains gagnés sur la mer, Monaco n’apparaît pas comme très vertueuse sur la préservation de son écosystème marin… Il faut que nous assumions un certain développement immobilier, c’est notre seule ressource. Les extensions en mer sont indispensables mais se font là où la profondeur n’est pas importante et sans franchir une ligne rouge vis- à-vis de l’écosystème marin.
Avant de bêtement faire un remblai, un travail de déplace- ment d’espèces, notamment des herbiers de posidonies vers la réserve marine monégasque du Larvotto, avec un système breveté par des sacs spécialement conçus a été entrepris en suivant un cahier des charges strict sur le plan environnemental. Il était impensable pour moi de mettre en danger cet écosystème.
Dans votre livre « l’Homme et l’océan », vous présentez deux photos d’un glacier. La première prise par Albert Ier au début du XXe siècle, l’autre prise par vous près d’un siècle plus tard. Quelle histoire racontent-elles ? Ces clichés du glacier Lillie- höök, dans le Spitzberg, au pôle Nord, sont significatifs. Elles ont exactement 99 ans de différence et prouvent indéniablement la fonte de ce glacier, sur plusieurs kilomètres, comme celle d’innombrables autres dans le monde. Elles doivent nous interpeller, tous, sur les changements en cours et leurs effets sur la biodiversité. Un exemple symbolique de ce qui devrait nous alerter : il y a, au Spitzberg, un conservatoire naturel des graines de toutes les espèces de plantes et de céréales du monde. Cette banque est en danger car les sols sont en train de dégeler, alors que ce qu’elle contient est essentiel pour la biodiversité végétale d’aujourd’hui et de demain.
Pourquoi, malgré cette évidence, est-il encore si compliqué de sensibiliser ? Je crois que beaucoup n’arrivent pas à comprendre que ce qui se passe à l’autre bout du monde peut les impacter également. Un événement extrême de l’autre côté de l’Atlantique nous affecte tôt ou tard car les effets climatiques traversent les océans. Les migrations forcées de différentes espèces, à cause des effets du changement climatique, sont en train de bouleverser leur équilibre… et le nôtre. Tout est lié et c’est cela que les gens ont du mal à entendre. Beaucoup pensent que les bouleversements à l’autre bout de la pla- nète ne les concernent pas dans leur quotidien.
C’est la théorie de l’accident. Combien faut-il d’accidents à un carrefour pour que l’on prenne les mesures pour le sécuriser ? Combien d’événements climatiques extrêmes va-t-il falloir pour qu’on prenne enfin nos responsabilités et qu’on change nos pratiques ?
M. B.