jeudi 21 novembre 2024
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Festival de Cannes : « Anora », la Palme d’or surprise de l’Américain Sean Baker

Anora raconte comment le fils d’un oligarque russe tombe amoureux d’une stripteaseuse à New York. Une Cendrillon moderne transcendant beaucoup de sujets qui ont marqué cette 77e édition du Festival de Cannes : la place des femmes dans la société, la recherche de l’identité, le rôle central du corps, la possible transformation positive de l’individu, malgré une société pourrie qui l’entoure.

C’est bien la première fois qu’un réalisateur recevant une Palme d’or se met à genoux sur scène. Ainsi le lauréat Sean Baker, 53 ans, a rendu hommage à George Lucas, légende de La Guerre des étoiles, qui lui a remis le plus prestigieux trophée du cinéma, après avoir reçu lui-même une Palme d’or d’honneur des mains de Francis Ford Coppola, une autre légende bien vivante. Une rencontre entre désormais trois mythes et trois générations du cinéma que seul le Festival de Cannes est capable de mettre en scène de façon crédible pour un but commun : « En tant que réalisateurs, nous devons lutter pour que le cinéma reste vivant. L’avenir du cinéma est là où il a commencé, c’est-à-dire dans une salle de cinéma ! » », a-t-il martelé sous les applaudissements de la salle.

Anora est une Palme d’or surprise, car très peu de personnes auraient parié avant le palmarès sur Sean Baker. Après la première mondiale à Cannes, tout le monde adorait le film, mais cette histoire d’amour entre le fils d’un oligarque russe et une stripteaseuse à New York semblait trop amusante, trop divertissante, une Cendrillon moderne trop proche de Pretty Woman des années 1980.

Ceci dit, une fois le jugement suprême rendu par le jury présidé par la réalisatrice de Barbie, Greta Gerwig (« Ce film est magnifique, rempli d’humanité, nous a envoutés et permis de rire, d’espérer au-delà de l’espoir, et nous a brisés le cœur »), il ne nous reste qu’à valider ce choix. Car le génie du film réside justement dans sa légèreté apparente. Et, mine de rien, Anora transcende beaucoup de sujets qui ont marqué cette 77e édition du Festival de Cannes : la place des femmes dans la société, la recherche de l’identité, le rôle du corps au centre de l’histoire, la possible transformation positive de l’individu, malgré une société pourrie qui l’entoure… Et Sean Baker a conclu son discours avec la phrase : « Cette Palme d’or est dédiée à toutes les travailleuses de sexe, passées, présentes, futures. »

Karla Sofia Gascon, première actrice trans récompensée à Cannes

Un hommage flamboyant aux femmes qui a été précédé par l’attribution du prix de la Meilleure interprétation féminine à l’ensemble des actrices d’Emilia Perez, réunies dans un casting de rêve (Selena Gomez, Zoe Saldana et Karla Sofia Gascon), réalisé par le Français Jacques Audiard en langue espagnole. Pour le jury, il était « impossible de choisir une note parmi cette harmonie, tout était plus fort quand ces notes étaient ensemble. Donc le prix sera au pluriel. »

Ce film était le grand favori avec son scénario incroyable, son originalité dans la mise en scène, ses transitions aussi fluides que puissantes entre les genres artistiques comme le thriller, la comédie musicale et l’opéra, et les identités de genres. Ce n’est pas un hasard si c’est Karla Sofia Gascon, la première actrice trans récompensée au Festival de Cannes, qui a reçu au nom de toutes les autres actrices le prix. Elle incarne avec brio et de tout son corps l’histoire de cet homme maléfique à la tête d’une mafia mexicaine qui change de sexe pour devenir une femme bienveillante en paix avec elle-même.

« Sans vous tous, je ne serais rien », a-t-elle déclaré, submergée d’émotions, mêlant le français, l’anglais et l’espagnol dans un discours-fleuve dédié en particulier « à toutes les personnes transes qui ont tant souffert. Je souhaite que ces personnes arrivent à croire, comme dans Emilia Perez, qu’il est toujours possible à s’améliorer, de changer pour mieux. Et pour tous ceux qui nous ont tant fait souffrir, il est temps que vous changiez. »

« Ne permettez pas que la République islamique traite ainsi les Iraniens ! »

Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, qui avait fait sensation avec sa venue au Festival de Cannes après une fuite rocambolesque d’Iran pour échapper à une condamnation à huit ans de prison, a reçu un prix spécial du Jury pour Les Graines du figuier sauvage. Un film célébré par beaucoup comme un chef-d’œuvre où la réalité de la persécution fusionne avec le scénario d’un film sur l’obéissance dans une société totalitaire.

Dans un long discours engagé en persan, le réalisateur qui a maintes fois bravé la dictature islamique en Iran a déclaré de penser surtout aux membres de son équipe qui sont « en ce moment sous la pression des services secrets de la République islamique d’Iran. Donc, mon cœur est avant tout avec eux. (…) Je suis aussi très triste, profondément chagriné par la catastrophe qui vit mon peuple au quotidien. Chaque jour, chaque matin, à chaque instant, le peuple iranien vit sous un régime totalitaire qui l’a pris en otage. (…) Je veux parler aussi des artistes, des universitaires, des cinéastes, des journalistes qui sont aujourd’hui dans les geôles iraniennes. Et plus spécifiquement du rappeur Toomaj Salehi qui est condamné à mort, uniquement à cause de sa création artistique. Ne permettez pas que la République islamique traite ainsi les Iraniens ! »

Avant de tenir son propre discours, Rasoulof avait applaudi les mots de l’actrice belge Lubna Azabal. D’origine marocaine et espagnole, très présente dans les cinémas arabes, Azabal était la présidente de la section des courts métrages et de La Cinef. Lors de la soirée de la clôture du Festival de Cannes, elle a été la seule à évoquer la guerre dans la bande de Gaza : « Depuis huit mois, la douleur hurle de partout, des deux côtés du mur. Et puisqu’il s’agit de la vie et non de choisir un clan, j’appelle, avec la voix du monde, à la libération de tous les otages, sans condition. Et à un cessez-le-feu immédiat. »

La percée du cinéma indien

Le Grand Prix « a toujours récompensé les changements. L’art ne naît pas dans un lieu sûr. Mais le Festival de Cannes a toujours constitué un lieu sûr pour entendre ces voix. »Il a été décerné à All We Imagine As Light de Payal Kapadia, le premier film indien en compétition depuis trente ans. Un film courageux qui ose montrer des scènes de nudité, des relations hors mariages et entre une hindoue et un musulman, mettant en scène l’envol de trois femmes indiennes très différentes. « Souvent, les femmes sont jalouses des unes avec les autres, sont en conflit, c’est ainsi que la société conçoit les choses. Mais pour moi, l’amitié constitue une notion très importante. Elle permet de renforcer la solidarité, l’empathie, voilà les valeurs qui m’animent », a déclaré la réalisatrice indienne de 38 ans, née à Bombay.

Cette année, les réalisateurs indiens font une véritable percée et cela avec des films très courageux. L’actrice indienne Anasuya Segupta (qui se présente sur son compte X en tant que « Féministe anti-caste et anti-coloniale pour une connaissance radicale et libre ») est la première Indienne à recevoir le prix de la Meilleure actrice dans la prestigieuse section Un certain regard avec son rôle dans le film The Shameless où elle joue Nadire qui s’échappe d’un bordel de Delhi après avoir poignardé à mort un policier abusif.

Et Chidananda S. Naik a remporté avec Sunflowers Were the First Ones to Know le premier prix de La Cinef pour le meilleur court métrage parmi les 2 263 présentés par des écoles de cinéma du monde entier.

Le Palmarès du Festival de Cannes 2024 :

Palme d’or :Anora de Sean Baker

Grand prix : All We Imagine As Light de Payal Kapadia

Prix du jury : Emilia Perez de Jacques Audiard

Prix d’interprétation masculine : Jesse Plemons

Prix de la mise en scène : Miguel Gomes pour Grand tour

Prix d’interprétation féminine : L’ensemble des actrices d’Emilia Perez

Prix du scénario : The Substance

Caméra d’or : Armand

Court métrage : The Man Who Could Not Remain Silent

Palm Dog : Kodi dans Le procès du chien

M. B.