vendredi 22 novembre 2024
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Fethi Sahraoui, raconter l’Algérie en images

Fethi Sahraoui, photographe algérien, immortalise son pays natal depuis ses vingt ans. À travers ses images d’une jeunesse algérienne résolue et en soif de liberté, le trentenaire partage sa propre réalité. Animé par les conversations les plus banales, il manie son appareil photo comme un outil pour tendre la main aux autres.

Alors que les photographes travaillent souvent tels des loups solitaires, Fethi Sahraoui, lui, préfère être entouré et fonctionne encore mieux « en famille ». D’une adolescence passée à réaliser des portraits de ses proches, jusqu’à son adhésion au « Collectif 220 », un collectif de plusieurs photographes créé en 2015 en Algérie, son histoire est un récit de rencontres et d’échanges, toujours avec l’appareil photo comme instrument de dialogue.

Car pour lui, la photographie est un moyen de partage. Une façon de s’intégrer dans le monde et d’approcher les autres, surtout « quand on est plus à l’aise avec les images qu’avec les mots ! », s’exclame-t-il avec un rire. De passage à Paris à l’occasion du festival de photos Polycopies en novembre 2023, nous retrouvons ce trentenaire célibataire dans un café de la capitale, avant qu’il ne rentre chez lui, à Alger.

La photo comme « excuse légitime » pour rejoindre les autres

L’histoire de Fethi Sahraoui débute en 1993, dans une famille ouvrière dans la ville industrielle de Hassi R’Mel, au cœur du plus grand gisement de gaz naturel du continent africain. Balloté entre Mascara (dans le nord-ouest) où il vit chez sa grand-mère jusqu’à ses 14 ans et Hassi R’Mel, le jeune Algérien développe et cultive doucement sa passion pour le visuel. « Enfant, je passais beaucoup de temps à feuilleter les images des noms propres dans le dictionnaire Larousse chez ma grand-mère et je collectionnais pleins de magazines automobiles », retrace-t-il.

S’il se retrouve autant happé par ces clichés insignifiants, c’est grâce à sa curiosité débordante, couplée à une bonne dose d’ennui. Les appareils photos qui traînent chez lui deviennent petit à petit sa façon de s’exprimer. Après des heures passées à fantasmer devant les vitrines de magasins spécialisés, à 18 ans, il achète son tout premier objectif. C’est alors certain : il fera carrière dans la photographie. « Se procurer son tout premier appareil, c’est un sentiment que l’on ne vit qu’une seule fois. J’étais en extase totale », se souvient-il avec nostalgie.

En fac de langues, Fethi Sahraoui passe chacune de ses pauses à déambuler dans les rues de Mascara, appareil en main. Au détour d’une photo, il brave surtout sa timidité et aborde les autres garçons de son âge. « La photo, c’était aussi une excuse légitime pour échanger avec ces gens, ce que j’aurais eu beaucoup de mal à faire sans ce prétexte », confie l’artiste. Son premier sujet est insolite : un groupe d’étudiants qui vendent et discutent de leur passion pour les pigeons aux abords d’un marché.

« Si j’ai immortalisé ces jeunes-là, c’est parce que je me voyais en eux. J’ai moi-même essayé d’apprivoiser un pigeon et j’étais nul ! Mais j’avais envie d’appartenir à leur groupe et de pouvoir parler avec eux », se remémore Fethi Sahraoui.

Montrer des instants du quotidien de cette jeunesse algérienne

Au fil des ans, l’artiste réalise plusieurs séries de photos, presque toutes prenant pour modèles des jeunes hommes. Inspiré par les conversations les plus anecdotiques, Fethi Sahraoui se donne pour mission de capturer des bouts du quotidien de milliers d’Algériens. Dans ses projets Escaping the Heatwave et Stadiumphilia datant de 2015, réunis en un ouvrage intitulé Triangle of Views, il immortalise d’un côté, des garçons plongeant dans les courants d’un château d’eau abandonné pour échapper à la chaleur étouffante de l’été à Mascara. Et de l’autre, des jeunes supporters de football se démenant pour pénétrer dans un stade et assister à un match.

Chacune de ses images, pourtant figées, débordent de vitalité, de spontanéité et de sensibilité. Loin des stéréotypes sur cette jeunesse arabe en soif de liberté, Fethi n’a qu’une chose à cœur : raconter leur histoire en images. Et ainsi, proposer une autre narration de ces jeunes dans lesquels il se voit, en miroir. « On me demande souvent si j’essaie de leur redonner une dignité avec mes photos. Mais ils n’ont pas besoin de moi pour ça : ils en ont déjà tellement », affirme-t-il avec humilité.

Sur le terrain, ce photographe à plein temps se glisse dans la peau des hommes qu’il mitraille. Pour lui, ces Algériens représentent à la fois des confrères et des étrangers, des concitoyens et des inconnus. « À chaque fois, ce sont des rencontres remarquables, des gens qui me hantent à vie. Ce qui est très agréable, c’est de retomber des années plus tard sur une personne que j’ai déjà photographiée. On a des échanges très simples, mais c’est ça qui me nourrit. » Aujourd’hui, à trente ans, le jeune artiste assure que la photographie représente plus qu’un métier, mais bien toute sa vie, à tel point qu’il n’est pas en mesure de citer d’autres passions sans s’empêcher de revenir à son amour de l’image.

Un travail dédié à sa grand-mère

Les masses humaines comme principaux protagonistes de ses clichés, il apprend toujours un peu plus à « danser au milieu de la foule ». L’émotion qu’il transmet dans ses séries en noir et blanc, un choix technique et esthétique pour « aller à l’essence de l’image », Fethi Sahraoui la rend presque palpable, notamment dans son projet, sans doute le plus intime, « B As Bouchentouf ». Une série au long cours pleine de délicatesse dans laquelle Fethi Sahraoui y suit son cousin, atteint de troubles mentaux profonds.

« Quand j’étais encore adolescent, je faisais beaucoup de portraits de ma famille. Mais alors que j’ai arrêté à un moment, lui, j’ai continué à le photographier, et ce depuis maintenant plus d’une dizaine d’années. C’est un peu comme une mission pour moi de raconter son quotidien, là où il ne peut pas le faire lui-même. J’espère continuer à capturer ses habitudes toute ma vie, parce que ça m’a tellement rapproché de lui. »

Pour le jeune artiste, la seule qui a tout compris à sa pratique, c’est sa grand-mère, décédée en 2021. Celle qui l’a élevé pendant des années faisait également partie des modèles privilégiés de l’Algérien. « Ce qui me manque le plus, c’est que je trouvais du plaisir à lui montrer mes clichés, et surtout à lui raconter tout le contexte autour des photos. Je lui expliquais mon monde, et ça me rendait tellement heureux. Quelque part, je pense que tout ce que je suis en train de faire, c’est pour elle et grâce à elle, donc tout mon travail lui est dédié », abonde-t-il.

Son seul souhait pour le public ? Que ses images provoquent la réflexion, titillent la curiosité et amènent à se poser des questions sur ce qui nous entoure. « Dans un monde où tout va trop vite, ce qu’on photographie mérite parfois l’attention, le temps », assure-t-il, le regard déterminé. Plein de rêves pour l’avenir, Fethi Sahraoui s’attèle aujourd’hui à un projet ambitieux : interpréter et traduire en images l’un des recueils d’essais d’Albert Camus, Noces – L’Été. Avec comme objectif de dépeindre sa version, à lui, d’Alger.

L. H.