Bruno Le Maire l’avait annoncé, Élisabeth Borne l’a confirmé. Alors que le conflit se poursuit dans le secteur pétrolier, chez TotalEnergies et Esso-ExxonMobil, la Première ministre s’est montrée ferme, le mardi 11 octobre à l’Assemblée, commençant à dégainer l’arme des réquisitions contre les grévistes. Quitte à les tendre, puisque la grande raffinerie de Donges, dans l’ouest de la France, rejoint le mouvement de grève en conséquence. Plus d’un tiers de stations-service manquent de carburant. Certaines sont même à sec.
Bousculée par la droite à l’Assemblée nationale mardi, la Première ministre répond : « réquisition ».
Répondant au député Les Républicains Éric Ciotti, qui se demandait si la France est encore gouvernée lors de la séance des questions au gouvernement, Élisabeth Borne a annoncé la réquisition des personnels pour le déblocage des dépôts de carburants français du groupe Esso-ExxonMobil.
La grève pour les salaires y a été reconduite ce jour, tout comme à TotalEnergies. Mais chez Esso-ExxonMobil, un accord salarial avait été conclu la veille, par deux organisations syndicales qui sont majoritaires à l’échelle du groupe, à défaut de l’être au sein de ses raffineries.
Élisabeth Borne, ce mardi au palais Bourbon (au lendemain d’une réunion d’urgence à Matignon) : « Le dialogue social, c’est avancer, dès lors qu’une majorité s’est dégagée. Ce ne sont pas des accords a minima. Les annonces de la direction sont significatives. Dès lors, j’ai demandé aux préfets d’engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise. »
Les deux dépôts concernés sont ceux de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, et Notre-Dame-de-Gravenchon, en Seine-Maritime. Ils se trouvent à proximité des raffineries françaises de l’entreprise touchées par la grève, au contraire du troisième, à Toulouse en Haute-Garonne.
« Aujourd’hui, une partie des organisations, malgré cet accord, veut poursuivre le mouvement et continuer le blocage. Nous ne pouvons pas l’accepter. »
« Chacun doit prendre ses responsabilités »
Plusieurs ministres avaient brandi, depuis le matin, la menace de recourir à cette mesure de réquisition. « Soit les négociations démarrent et aboutissent vite et les dépôts de carburants sont rouverts rapidement, soit nous utiliserons les autres moyens qui sont mis à notre disposition, y compris les réquisitions », avait notamment prévenu le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire.
Au préalable, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a par ailleurs tenu à faire la différence entre la situation à ExxonMobil, où « il n’y a plus aucune raison » de blocage à ses yeux après l’accord entre la direction et les syndicats, et chez TotalEnergies, où aucune négociation n’a encore démarré.
« Chez Total, les syndicats réformistes ont appelé à l’ouverture de négociations. La direction a répondu favorablement. J’espère que les autres syndicats représentatifs vont saisir cette main tendue, car le dialogue social est toujours plus fécond que le conflit. À défaut, le gouvernement agira, là encore, pour débloquer la situation », a martelé la cheffe du gouvernement devant l’Assemblée.
« Lorsque la porte est ouverte à la discussion, lorsque des propositions sont prêtes à être discutées, on ne peut pas continuer à bloquer le pays. Chacun doit prendre ses responsabilités. Le gouvernement prend les siennes. L’objectif est clair : nous voulons que la situation s’améliore rapidement pour la vie quotidienne des Français. »
« C’est une manière de contourner, d’empêcher le mouvement de se poursuivre. Et le gouvernement, il n’est pas là pour ça. Le gouvernement, il est là pour essayer de faire en sorte que la situation s’améliore, mais pour que la situation s’améliore, il doit taper du poing sur la table et il doit dire à la direction de Total : Vous lâchez du terrain. »
« Atteinte au droit de grève constitutionnel »
Du côté d’Esso-ExxonMobil, les raffineries de Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime) et de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), ont reconduit leur mouvement ce mardi, à l’appel de Force ouvrière (FO) et de la Confédération générale du travail (CGT), malgré la signature de l’accord.
Côté TotalEnergies, la grève va s’étendre à partir de ce mercredi à 5 heures du matin à la raffinerie de Donges, près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique, dans l’ouest de la France), a-t-on appris mardi soir par la CGT.
C’est l’une des cinq raffineries de TotalEnergies en France, la deuxième plus grande productrice de pétrole raffiné dans l’Hexagone. Chaque année, plus de 10 millions de litres en sortent. Pour le gouvernement, c’est donc un nouvel obstacle.
Et selon le secrétaire de la CGT à la raffinerie, Fabien Privé Saint-Lanne, Mme Borne n’y est pas pour rien : « Ce qui nous fait réagir ? Il y a deux points. D’abord le blocage complet de la part de Total dans les discussions et les revendications de nos collègues des autres établissements depuis maintenant près de trois semaines (…) Et d’autre part, les réquisitions qui viennent d’être effectuées par Élisabeth Borne au sein d’Exxon, qui sont une atteinte au droit de grève constitutionnel. »
De quoi perturber un peu plus la production de carburant dans le pays, puisqu’il n’y aura pas d’expéditions, pas de chargements ou déchargements, ni aucun moyen de transport, camion ou bateau qui arrivera, rapporte notre correspondant dans l’ouest de la France.
Avec 650 salariés, il suffira d’une trentaine de grévistes à des postes clés pour perturber complètement la sortie de pétrole raffiné de l’usine. Pas une goutte ne sortira, assure Fabien Privé Saint-Lanne, secrétaire général de la CGT sur ce site.
Il y a quelques jours, à Donges, ils avaient déjà suivi le mouvement de grève pendant 72 heures, mais avaient suspendu cette action, par manque de moyens. Cette fois, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, selon le syndicat CGT.
« Est-ce que le gouvernement pense tranquillement que ça va se passer comme ça dans le calme ? Nous ferons tout ce que nous aurons à faire pour empêcher que ces réquisitions soient effectives. C’est un scandale, voilà. L’argent, il est là ; que le gouvernement revienne à la raison et qu’il impose, qu’il impose. Il en a les moyens. À Total et à ExxonMobil de répondre aux revendications des travailleurs. »
« On est toujours en attente de précisions »
Au sein de TotalEnergies, la CGT, à l’origine du mouvement, demande une augmentation de 10% sur les salaires pour 2022, contre les 3,5% négociés en début d’année, et ce, en réponse aux 10,6 milliards de dollars de bénéfices enregistrés au premier semestre par le groupe TotalEnergies.
« On est toujours en attente de précisions en matière de négociations par la direction », explique Éric Sellini, coordinateur CGT pour le groupe, après la proposition de discussion lancée par TotalEnergies.
La raffinerie de Normandie, mais également le dépôt de carburants de Flandres, près de Dunkerque, ou encore la bio-raffinerie de la Mède, dans les Bouches-du-Rhône, ont reconduit le mouvement ce jour aussi. S’y sont jointes des stations-service autoroutières du réseau Argedis, filiale de TotalEnergies.
Les réquisitions passent mal. La CGT d’Esso-ExxonMobil dénonce une remise en cause du droit de grève. Si les réquisitions devaient venir frapper les grévistes chez TotalEnergies, « on ira devant les tribunaux pour les faire annuler », promet le coordinateur Éric Sellini.
Un tiers environ des stations-service sont affectées par des pénuries de carburants dans le pays. TotalEnergies a annoncé en soirée convier les syndicats représentatifs qui « ne participent pas au mouvement de grève » pour une réunion de « concertations et d’échanges », ce mercredi après-midi.
Dans son communiqué, le géant précise, à l’adresse de la Confédération générale des travailleurs : « Si la CGT lève tous les blocages de sites avant demain midi, elle sera bienvenue à cette réunion de dialogue. Plus rien ne rentre, plus rien ne sort. Toutes les unités sont arrêtées, dégazées pour des questions de sécurité, et mises sous azote, en attendant qu’on ait satisfaction par rapport à nos demandes. »
Réquisitions : comment l’opération va-t-elle se dérouler ?
L’une des priorités, pour réapprovisionner les stations-service situées en région parisienne et dans les Hauts-de-France, c’est de débloquer le dépôt de Notre-Dame-de-Gravenchon, en Seine-Maritime, qui appartient au groupe Esso-ExxonMobil.
Le Préfet a déjà pris un arrêté. Dès mercredi, il demandera à un gendarme et à un policier de se rendre au domicile de plusieurs salariés pour leur imposer de reprendre le travail. En général, cette opération de déstockage de carburant demande deux à trois salariés par équipe.
Concrètement, l’essence est ensuite acheminée, soit par oléoduc de la Normandie vers Paris, soit par camion-citerne. Ce qui permet de régler le problème assez rapidement, selon le ministère de la Transition énergétique.
M. B.