Le navire humanitaire Ocean Viking, va accoster ce vendredi 11 novembre à Toulon avec 230 migrants à bord. « À titre exceptionnel », a annoncé jeudi le gouvernement français, au terme d’un bras de fer diplomatique avec l’Italie.
« J’ai bien précisé, à la demande du président de la République, que c’est à titre exceptionnel que nous accueillons ce bateau, au vu des quinze jours d’attente en mer que les autorités italiennes ont fait subir aux passagers », a déclaré le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, désignant le port militaire de Toulon pour le débarquement.
« Les autorités françaises ont pris la décision à titre exceptionnel de palier au comportement inacceptable du gouvernement italien. »
Il a en outre critiqué le « choix incompréhensible » et contraire au « droit international » de l’Italie, dirigée par un nouveau gouvernement d’extrême droite qui a refusé d’ouvrir ses ports. « Un tiers » des migrants à bord seront « relocalisés » en France et un autre tiers en Allemagne, a poursuivi Gérald Darmanin, ajoutant que ceux qui ne répondront pas aux critères du droit au séjour ou de l’asile « seront reconduits directement », sans plus de précisions.
Colère de la France, réponse de l’Italie
Si la décision d’accueillir pour la première fois un bateau ambulance en France était un « devoir d’humanité », selon Gérald Darmanin, ce dernier a surtout fait part de la colère de Paris. « Il faut désormais pouvoir organiser les choses différemment pour (ne) pas que l’Italie puisse à la fois profiter de la solidarité européenne tout en étant égoïste lorsque des réfugiés, notamment des enfants, se présentent » à ses ports.
En guise de protestation, la France a décidé de suspendre « à effet immédiat » l’accueil prévu de 3 500 migrants actuellement en Italie et promis de tirer « les conséquences » de l’attitude italienne sur les autres aspects de sa « relation bilatérale », a insisté Gérald Darmanin.
Le ministre italien de l’Intérieur Matteo Piantedosi a dénoncé quant à lui la décision française de mesures de rétorsion envers Rome, la qualifiant de « totalement incompréhensible ». « La réaction de la France face à la requête d’accueillir 234 migrants, quand l’Italie en a accueilli 90 000 seulement cette année, est totalement incompréhensible », a déclaré le ministre italien dans un communiqué.
En Italie, la brouille diplomatique avec la France inquiète
Le sort des ONG de secours en est maintenant au cœur d’une crise diplomatique entre la France et l’Italie, moins d’un mois après l’arrivée de Giorgia Meloni à la tête du gouvernement italien.
C’est à la une de toute la presse italienne, rapporte notre correspondante à Rome,. « La France suspend l’accord européen de répartition des migrants. » « La France renforce ses frontières avec l’Italie. » « La France accuse l’Italie d’être irresponsable. »
Le gouvernement semble pris au dépourvu. Seul Matteo Salvini ironise : « La voilà la solidarité européenne ! » Le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, parle d’une « réaction disproportionnée », celui de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, d’une « réaction incompréhensible », comme s’il s’agissait d’un malentendu.
L’opposition est compacte. « Il a fallu moins d’un mois à Meloni pour compromettre la collaboration entre la France et l’Italie, quel chef d’oeuvre ! », écrit l’ancien président démocrate de l’Assemblée, l’Italie s’isole et se fait du mal à elle-même.
Les Italiens s’inquiètent aussi des conséquences à venir d’une brouille entre Rome et Paris. Pour obtenir la révision des règles budgétaires en Europe, ou même les subventions nécessaires à sa relance économique, l’Italie comptait sur l’appui de la France. Le gouvernement de Giorgia Meloni est maintenant fâché avec un partenaire essentiel.
Polémique en France
Jeudi, quatre des 234 migrants que comptait le navire, dont trois pour des raisons médicales et un accompagnant, ont été évacués vers Bastia, en Corse. Les opérations de secours se sont déroulées en fin de matinée : un hélicoptère de l’armée de l’air avec une équipe médicale a décollé vers 11 heures de la base de Solenzara, en Corse, pour aller récupérer les patients, a détaillé le capitaine de frégate Pierre-Louis Josselin, porte-parole de la préfecture maritime. À 12 h 15, cet hélicoptère s’est posé à l’hôpital de Bastia.
« Notre première réaction, c’est un grand soulagement »
Pouvoir accoster à Toulon est « un soulagement teinté d’amertume », a déclaré la directrice de l’ONG SOS Méditerranée, Sophie Beau. Ce long blocage en mer « montre qu’il est urgent que les États européens mettent en place un mécanisme de répartition pérenne » pour les migrants sauvés en Méditerranée, après avoir généralement fui la Libye à bord d’embarcations de fortune.
L’accueil de ce bateau a suscité l’ire de l’extrême droite en France, à l’image de Marine Le Pen, qui y voit « un signal dramatique de laxisme ». « Avec cette décision, (Emmanuel Macron) ne peut plus faire croire à personne qu’il souhaite mettre fin à l’immigration massive et anarchique », a écrit la présidente du groupe RN à l’Assemblée, sur Twitter.
« Tournant majeur »
« C’est un tournant majeur », a confié à l’AFP une source proche du dossier, évoquant « le précédent politique que cela crée » : « Désormais, les navires humanitaires vont-ils avoir pour réflexe de venir en France quand l’Italie fermera ses ports ? »
Si la décision française est « indispensable et bienvenue », car elle va « permettre de sauver des vies », « il y aura, malheureusement, d’autres Ocean Viking », a pour sa part estimé Delphine Rouilleault, qui dirige l’association France terre d’asile. « L’Europe doit augmenter encore la pression sur le gouvernement italien pour le contraindre à respecter ses engagements ».
À Toulon, la plupart des habitants ont salué la nouvelle, même si certains posent la question des infrastructures nécessaires pour accueillir les 230 personnes secourues en mer, comme le rapporte notre correspondant.
En attendant le débarquement vendredi, l’Ocean Viking remontait désormais au large des côtes orientales de la Corse. Avant lui, trois autres bateaux d’ONG ont, eux, réussi à débarquer les migrants secourus, quelque 800 personnes. Les autorités italiennes n’avaient accepté, dans un premier temps, que les femmes, enfants et personnes malades, un tri décrit par Rome comme un moyen de pression sur l’UE pour qu’elle aide davantage l’Italie.
Depuis juin, un système de relocalisation, qui avait déjà connu un premier volet en 2019, prévoit qu’une douzaine d’États membres, dont la France et l’Allemagne, accueillent de manière volontaire 8 000 migrants arrivés dans des pays comme l’Italie, proche des côtes libyennes. Cependant, seuls 164 ont été relocalisés en 2022 d’Italie vers d’autres États membres, dont 117 en vertu du mécanisme adopté en juin. Un nombre insuffisant juge l’Italie.
M. B.