À Marseille, le procès des « Arrow Baga » vient de se terminer après trois semaines. Un « cult » nigérian, en fait un gang criminel au fonctionnement ultra-violent. Les prévenus ont été jugés pour proxénétisme, viols ou encore réseaux d’immigration clandestine.
Pour les treize accusés âgés de 22 à 37 ans, les peines vont de 3 à 10 ans de prison pour viols en réunion, proxénétisme aggravé par l’usage de la contrainte, détention d’armes ou encore participation à des réseaux d’immigration clandestine. La majorité des accusés écope de 10 ans, la peine maximale que peut attribuer le tribunal correctionnel, un soulagement pour les parties civiles. « Je suis relativement satisfaite parce que les peines prononcées ont été très élevées », souffle Jennifer Attanasio, avocate des parties civiles. Même si les victimes resteront marquées à vie.
Les victimes ont été absentes durant les trois semaines du procès, faute de moyens pour se déplacer, par peur ou, car elles ont fui Marseille. Le premier jour, une femme de 22 ans a eu le courage de défier la loi du silence, visage caché. Elle a raconté avoir été séquestrée, forcée de se prostituer, menacée par armes.
De l’eldorado à l’enfer
« On va leur faire miroiter, comme c’est souvent le cas, « l’eldorado français », explique Alain Lhote, avocat des parties civiles. « Viens en France, c’est magnifique, tu verras, tu seras coiffeuse, tu seras hôtesse »… Et en réalité, elles échouent sur le trottoir marseillais… » Ces victimes sont des femmes très jeunes, parfois mineures. Au Nigeria, ces gangs organisés leur font miroiter monts et merveilles, mais dès qu’elles quittent leur famille, le piège se referme et commence par un parcours migratoire semé de traumatismes. Une fois arrivées en Europe, elles sont séquestrées, démunies de leurs papiers et forcées d’abandonner leur corps pour 5, 10 ou 20 euros. Alain Lhote refuse de parler de « prostitués » mais bien « d’esclaves victimes de la traite humaine ».
Leur asservissement est finement calculé, via notamment le rite du djoudjou, effectué au Nigeria et selon lequel tout acte de désobéissance entraîne une malédiction. « Elles ont vraiment peur qu’un mauvais sort soit jeté à leur famille et sur elles. Donc, c’est extrêmement difficile de parler et même quand elles parlent, c’est comme s’il y avait une épée de Damoclès sur leur tête », explique Laure, une travailleuse sociale.
Mais le silence de ces femmes ne tient pas qu’aux croyances. Pour contraindre leurs victimes, les proxénètes utilisent couteaux et machettes. Les viols collectifs, pendant des heures et sans préservatif, sont utilisés pour briser ces femmes et servent de punition… Le premier jour du procès, une femme, à visage caché, a raconté à la Cour qu’elle a essayé de s’enfuir, mais qu’elle a été rattrapée et brûlée au fer. Ces femmes ont une peur constante de mourir.
Alors, « ce verdict est un message fort envoyé aux victimes », selon Jennifer Attanasio. « On dit : Non, ce n’est pas possible de prendre ces jeunes femmes, de les faire venir sous de faux prétextes et de les mettre sur le trottoir, contraintes et forcées. » Laure abonde : « Sans peines fortes, les filles ne vont pas faire confiance à la justice et resteront toujours silencieuses. » Les jeunes femmes seront indemnisées jusqu’à 35 000 euros. L’association L’amicale du Nid, qui a soutenu et accompagné ces jeunes femmes jusqu’au procès, sera également indemnisée.
Gang mafieux
Pour la défense, les peines maximales de 10 ans, prononcées par le tribunal correctionnel, peuvent sonner comme une défaite. Le procès aurait pu relever des Assises, compétentes pour juger les crimes et avec des peines maximales de 20 ans, mais le juge d’instruction en a décidé autrement. « La défense avait presque perdu d’avance avec une quasi-certitude de culpabilité. Et, à la fois, gagné puisque les peines sont divisées par deux dès l’entrée du procès », confie Adrien Mawas, avocat de la défense. Pour lui, « cette correctionnalisation était une volonté de ne pas doter la justice de moyens nécessaires pour des personnes dont elle estime qui ne le méritent pas. On s’est contenté d’une enquête très mal faite, c’est ce qui transpire dans l’audience. »
Un jugement aux Assises qui a sidéré tout le monde. « Vous avez affaire, en réalité, à une mafia, au même titre de la Camorra, la ‘Ndrangheta qui a brassé entre 30 et 50 millions d’euros sur trois ans », estime Alain Lhote. Les prévenus ont des rôles définis, « et puis il y a des activités annexes comme le trafic de stupéfiants, la cybercriminalité… On est exactement dans le comportement de mafia classique », analyse-t-il encore.
On estime que, chaque année, 45 000 femmes nigérianes sont transportées en Europe pour devenir des esclaves sexuelles.
J. R.