jeudi 21 novembre 2024
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Guerre de succession au Parlement européen

La perspective du départ du secrétaire général, Klaus Welle, met l’institution en ébullition

A la veille des vacances, c’est l’effervescence au Parlement européen. Le travail législatif n’y est pas plus intense que d’habitude, mais des conservateurs (PPE) à la gauche radicale (GUE) en passant par les sociaux­-démocrates (S&D), les Verts ou les libéraux (Renew), on s’agite pour essayer de placer ses hommes et ses femmes aux plus hauts postes de l’administration. Les marchandages vont bon train entre les différents groupes politiques pour trouver un arrangement qui convienne à la majorité, quitte à donner une image un brin dégradée de l’institution. La perspective du départ du secrétaire général, l’Allemand Klaus Welle, proche de la CDU­CSU, après treize ans de règne sans partage, a mis ce petit monde en ébullition et suscite des appétits de toutes parts. Le PPE veut garder la main sur ce poste hautement influent, qui a permis à son titulaire actuel d’asseoir le pouvoir de ses amis politiques au sein de l’assemblée législative. Les sociaux-­démocrates jugent que le poste leur revient, alors que les conservateurs ont perdu du terrain partout en Europe, surtout en Allemagne, où la CDUCSU n’est plus au gouvernement depuis le départ d’Angela Merkel, en décembre 2021. Quant aux autres, ils veulent profiter de l’occasion pour être mieux représentés dans une maison où S&D et PPE font la pluie et le beau temps. Dans ce contexte, la chronique de la vie du Parlement européen, en ce mois de juillet, prend des allures de House of Cards, série à succès de Netflix dont l’action se situe dans les arcanes du pouvoir à Washington. L’histoire commence en janvier, quand Roberta Metsola est élue présidente de l’assemblée strasbourgeoise avec le soutien du PPE, dont elle est issue, de S&D, de Renew et, de manière plus surprenante, des souverainistes d’ECR. Chacun, à l’époque, tente de négocier au mieux son soutien. Les Verts, qui finissent par présenter leur candidat contre la Maltaise, connue pour ses positions antiavortement, perdent dans l’histoire un poste de vice­-président que récupère ECR. Voilà pour l’acte I. A l’époque, en échange de son soutien à la conservatrice Roberta Metsola, le S&D réclame au PPE la tête de Klaus Welle et le poste pour l’un des siens. Officiellement, rien n’est acté mais, quelques mois plus tard, on apprend que « le prince de l’ombre » – c’est ainsi qu’on l’appelle dans la sphère bruxelloise – quittera ses fonctions le 31 décembre. L’acte II peut commencer. On ne sait pas ce que Manfred Weber, le président du groupe PPE, et Iratxe Garcia Perez, son homologue S&D, ont négocié en janvier. Mais une chose est aujourd’hui claire : les conservateurs ne veulent pas lâcher ce poste stratégique, qui leur a permis d’asseoir leur influence à tous les étages du Parlement européen. Alors que les nominations aux plus hauts postes de l’administration sont actées (à la majorité) par le bureau, l’organe de direction de l’assemblée législative, composé de Mme Metsola et des quatorze vice­présidents (trois PPE, cinq S&D, trois Renew, un ECR, un Left, un Verts), elles sont très politisées. Seul, le PPE ne peut rien faire. Puisque les sociaux­-démocrates veulent récupérer le poste de secrétaire général, le parti de droite cherche donc un accord, comme l’a d’abord révélé Libération, avec Renew, la GUE et les Verts. Ces groupes y voient l’occasion, comme le dit Stéphane Séjourné, le président du groupe Renew, de « débunkériser une administration tenue par deux groupes politiques, S&D et PPE, qui n’ont pas la majorité politique au Parlement européen », et « de faire de la place à toutes les sensibilités politiques ». « A défaut de mettre en place une administration neutre, comme à l’Assemblée nationale, c’était l’occasion de mettre fin à la cogestion entre les S&D et le PPE », poursuit le macroniste, qui souhaite par ailleurs succéder à Stanislas Guerini à la tête de La République en marche (LRM) en France. Bienvenue dans la realpolitik à l’européenne. « La politisation de l’administration n’est pas souhaitable. Mais c’est le fonctionnement du Parlement européen. Dès lors, autant que tout le monde y soit représenté », explique pour sa part Manon Aubry, la présidente du groupe GUE. « On est prisonniers d’un système qu’on dénonce », constate l’élue La France insoumise (LFI). La messe n’est pas dite, mais les deux décisions d’ores et déjà validées par le bureau du Parlement européen, le 4 juillet, dessinent les contours d’un « marché » dont on mesurera les termes exacts d’ici peu.

« Politisation à outrance »                                     

Première décision : la création d’une treizième direction générale (dite « aux relations avec les démocraties parlementaires »). « J’ai quelques doutes sur la nécessité de créer une nouvelle direction générale », alors que ses missions sont actuellement assumées par d’autres entités, juge Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts. Mais cela pourrait permettre de faire de la place à la GUE. Manon Aubry martèle aujourd’hui qu’« il n’y a pas de deal », mais « si deal il doit y avoir, ça doit [leur] rapporter ». Par ailleurs, la direction générale des services de recherche parlementaire, aujourd’hui occupée par un homme du PPE, devrait se libérer et revenir à Renew. Seconde décision actée le 4 juillet : une fiche de poste a été rédigée pour ouvrir la succession de M. Welle, à laquelle les intéressés devront postuler avant le 1 er août. Minimaliste, elle tient en une demi­-page, ne détaille aucune compétence requise – pourtant, il s’agit de gérer une administration de 8 000 personnes – et allège, par rapport à ceux qui avaient été exigés pour le tenant actuel du poste et ses deux prédécesseurs, les critères concernant le grade au sein de la fonction publique communautaire. « On nous a expliqué que si on avait gardé les critères d’avant, seules trois personnes pouvaient prétendre au poste », explique Mme Aubry. Cette fiche de poste a été conçue sur mesure pour un proche de M. Welle, l’Italien Alessandro Chiocchetti, actuellement chef de cabinet de Mme Metsola, regrettent pour leur part les Verts et les S&D, qui ont exprimé leur désapprobation de la fiche de poste lors de la réunion du bureau, jeudi 7 juillet. Le conservateur italien a en effet bénéficié d’une promotion fort opportune en mai, qui lui permet justement de candidater au poste de secrétaire général. Par ailleurs, son passé d’assistant du bras droit de Silvio Berlusconi, Marcello Dell’Utri, condamné à sept ans de prison pour ses liens avec la Mafia, ne plaide pas en sa faveur. « Si Renew doit participer à ce deal, alors pourquoi ne pas demander au moins que le PPE nous propose un candidat valable ? », d’autant qu’il sera là « pour des années », s’est émue, dans une lettre, auprès de ses collègues l’eurodéputée néerlandaise Sophie in’t Veld. M. Séjourné assure que, lors de ses échanges avec Manfred Weber, il « n’a jamais été question de la candidature de Chiocchetti » et regrette « la politisation à outrance » qui accompagne le processus de nomination du futur secrétaire général. Pour autant, il ne s’insurge pas contre sa nomination. Pas plus que Mme Aubry : « Chiocchetti ou un autre, de toute façon, ce sera un secrétaire général issu du PPE », juge-­t-­elle. Il « n’est sans doute pas le seul candidat intéressant pour ce poste, mais il en est un », estime pour sa part Philippe Lamberts. « Nous avons du temps jusqu’à décembre », nuance Mme Garcia Perez, qui appelle, comme les Verts, à reporter la décision. La saga n’est pas terminée.

Virginie Malingre in Le Monde