Mis au banc par les Occidentaux sur fond de tensions géopolitiques, l’ogre chinois se reconvertit dans de nouveaux marchés à haute technologie. Avec la même volonté de conquête.
C’est sous une chaleur étouffante et un taux d’humidité délirant que Huawei accueille la presse occidentale sur le site d’Ox Horn, son campus XXL à Shenzhen, dans la région industrielle du sud de la Chine. Le siège du géant, concurrent d’Apple et Samsung, est une ville dans la ville avec ses 20 000 salariés, dans un cadre qui ressemble davantage à un parc d’attractions aux faux airs de Disneyland qu’à un centre de recherche et développement. Imaginé par Ren Zhengfei, le fondateur de la firme, il se compose de douze groupes de bâtiments imitant chacun le quartier d’une ville européenne : Paris, Budapest, Bruges ou Vérone. Une opération massive de séduction censée en mettre plein la vue aux Européens dans un hommage « respectueux » à notre patrimoine. Avec la présentation de cette vitrine internationale, Huawei renvoie un message d’ouverture sur le reste du monde, censée adoucir sa réputation de prédateur au service des intérêts stratégiques de Pékin.
L’entreprise, qui emploie 207 000 personnes à travers 170 pays, est depuis plusieurs années sous le coup d’une constellation de sanctions infligées par les Occidentaux. Les États-Unis ont été les premiers, il y a cinq ans, à ériger des systèmes de défense contre l’offensive du chinois. D’abord en lui interdisant l’accès à des composants de pointe, puis à l’intégration des logiciels de Meta et Google (Gmail, Maps, Chrome, etc.). L’Europe a suivi, avec plusieurs pays qui entreprennent de la chasser progressivement de ses réseaux 5G (mobiles) et fixes (fibre). Dans un contexte international et géopolitique tendu, les Américains soupçonnent le chinois d’avoir voulu installer des outils de surveillance électronique sur ses équipements, à des fins de renseignement au profit de Pékin. Tandis que les Européens redoutent la menace d’une coupure volontaire des communications en cas de conflit avec la Chine.
Face à cette levée de boucliers qui a contraint Huawei à renoncer à son premier assaut, sur fond de guerre froide technologique, le chinois a mûri sa stratégie. Malgré l’embargo américain, son chiffre d’affaires, qui était descendu de 120 à 90 milliards de dollars en 2019, n’a depuis cessé de grimper et approche aujourd’hui les 100 milliards. Quant au bénéfice net, il a été multiplié par cinq depuis 2022 et culmine cette année à 12,28 milliards ! Surprenant, a minima, puisque après avoir été le troisième constructeur de smartphones au monde (derrière Apple et Samsung), Huawei a pratiquement dû tirer une croix sur ce secteur d’activité. L’explication de ce rebond spectaculaire se trouve dans le choix de la diversification qu’a su opérer le géant avec la souplesse d’une ballerine.
En dépit des sanctions, le géant chinois s’est réinventé
Dans son magnifique flaship store, édifié au cœur du campus, les smartphones ne sont d’ailleurs pas en vitrine. L’entrée de l’immense boutique ressemblent davantage à un concessionnaire automobile futuriste. Y trône en effet sa dernière Aito M9, un Suv autonome ultraconnecté, bourré d’intelligence artificielle, qui n’a (presque) rien à envier à la DeLo-rean de Marty McFly [du film Retour vers le futur, NDLR]. À l’instar de cette nouvelle branche d’activités, le développement du cloud (les data-center) made in Huawei et la transition énergétique (onduleurs photovoltaïques) – 16 milliards de dollars par an à eux deux – a permis à Huawei de se réinventer, avec l’ambition d’envahir ces nouveaux marchés. Maître dans l’art de l’anticipation, Huawei prend un temps d’avance sur des secteurs à haute technologie quand les Européens en sont encore à batailler contre ses réseaux 5G – l’Allemagne vient de restreindre leurs accès aux réseaux 5G. Avec un budget de 25 milliards de dollars par an consacré à la recherche et au développement, Huawei prépare son retour sur les marchés occidentaux avec, toujours, un appétit d’ogre.
F. A.