dimanche 22 décembre 2024
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Interview / Daphné, le clair-obscur Barbara

Classique et aérienne sur ses Dix fleurs d’amour pour Barbara, la chanteuse Daphné s’empare pour la deuxième fois en dix ans du répertoire de la Dame en noire. Sa meilleure interprète avec Gérard Depardieu.

RFI Musique : Quel a été l’élément déclencheur pour ses retrouvailles ?
Daphné : Une invitation de la RTS, la radio suisse, à chanter Barbara lors d’une émission spéciale à la fin novembre 2021. J’ai eu des sensations très fortes. Et cela m’a donné envie de replonger dans ses chansons.

Rares sont les auteurs-compositeurs qui consacrent deux albums au même répertoire déjà existant. C’est une obsession, Barbara ?
Le fait d’y retourner peut s’apparenter comme ça à une obsession, effectivement. C’est juste simplement une histoire de sensations : il y a quelque chose de très charnel, d’authentique, qui me traverse avec ses mots. Et puis ce qui m’intéresse, c’est de transmettre. À part Nantes et Vienne, la plupart des chansons du disque ne figurent pas parmi les plus connues. Quand je me suis remise à fouiller dans son répertoire, j’ai découvert des titres qui n’étaient pas encore arrivés jusqu’à moi. J’avais envie de cet élan de partage, de communion.

On peut même dire que vous la reprenez tous les cinq ans puisque vous faisiez partie avec la chanson Marienbad de la distribution intégralement féminine de l’album Elles et Barbara
La première fois, c’était une invitation de Thierry Lecamp (son ex-manager) et Bernard Serf (neveu de Barbara). La seconde, c’était une invitation d’Édith Fambuena et toujours de Bernard. Il savait que j’adorais Marienbad, chanson que j’avais faite sur scène et que je n’avais pas encore enregistrée. Là cette fois-ci, c’est vraiment moi qui ai décidé alors que j’étais en train de travailler sur mon album. Le titre Dix fleurs d’amour de Barbara m’est venu très vite avec l’idée d’offrir un cadeau aux gens en cette période un peu trouble et d’éloignement. C’est très spontané comme geste, même si ça coïncide avec le vingt-cinquième anniversaire de sa disparition. Je n’avais pas tilté et j’ai appris ça au moment où l’album était très avancé.

Avez-vous fait dans un second temps de nouvelles découvertes parmi son répertoire ?
La plupart des chansons ici présentes, oui. Pour le premier album, Je n’arrivais pas à chanter Nantes. Au moment de la faire, les larmes coulaient fréquemment, c’était trop dur. Sur scène, en revanche, je n’étais pas envahie. Comme j’avais apprivoisé ce titre, j’avais très envie qu’il soit présent sur ce disque. Pour le reste, je suis allée un peu à mon rythme. Petite, je n’écoutais pas du tout Barbara, mes parents non plus. Ce n’est pas quelqu’un qui habitait ma mémoire. J’avais juste entendu L’aigle noir et Dis quand reviendras-tu ?.  Quand Thierry Lecamp m’avait proposé de la chanter il y a dix ans, je lui ai répondu que je ne connaissais que très peu parce que c’est quelqu’un qui me fait beaucoup pleurer. J’avais pris une semaine pour écouter beaucoup de ses chansons. Je me suis dit que c’était tellement beau que je ne pouvais pas refuser.

Est-ce que vous vous êtes posé la question de la légitimité et de la manière de vous emparer des chansons ?
Dès le premier album, je ne l’ai pas abordée d’une façon grave. Barbara a quelque chose de très théâtral. Ce que j’aime chez elle, c’est qu’on est à la fois dans l’ombre et la lumière. Elle n’occulte rien :  le chagrin, la mort, le rire, l’amour… Barbara prend toute la vie et toutes ses facettes. Cela me plaît beaucoup et ça me rassure aussi.  Il y a des gens pour qui toucher à ses chansons, c’est sacré. Je ne vois pas du tout les choses comme ça. C’est en continuant d’interpréter les chansons d’un artiste disparu que le répertoire reste vivant. Je n’ai pas ce rapport de la sacralisation ou de fan, pour qui que ce soit d’ailleurs. Je ne vois pas les gens d’une manière iconique. J’ai fait beaucoup de théâtre avant d’être chanteuse et on transmet des œuvres qui ont été écrites par des génies. C’est pareil dans la musique classique. Personne n’oserait alors s’attaquer à Mozart, Ravel…

Est-ce une vraie volonté de ne pas bousculer l’intérieur de ses chansons ?
Pour moi, ça n’aurait aucun sens. Un electro Barbara ? Libre à chacun d’en faire un. Je ne le ressens pas comme ça, personnellement. Les textes et les mélodies sont déjà très forts. Il y a quelque chose dans les deux disques avec des cordes, des pianos et toute la famille de ces instruments comme le célesta ou des choses très flûtées qui donnent beaucoup de douceur et quelque chose d’assez magique.

Pourquoi le choix de Thibaud Defever et François Morel, avec qui vous interprétez respectivement La ligne droite et Fleurs de méninges ?
J’ai travaillé avec Thibaud Defever (auparavant connu sous le nom de Presque Oui, ndlr) sur deux chansons de l’album que je prépare et j’avais entendu des morceaux à lui que j’aime beaucoup. Il y a des couleurs bossa dans sa voix. Et puis François, je l’ai rencontré pour le projet autour de Maxime Le Forestier en 2011. Il m’a touchée humainement. J’avais tellement adoré nos échanges que je m’étais dit, s’il le désirait lui aussi, que je chanterai un jour en sa compagnie.

Fleurs de méninges, La ligne droite, Moi je balance. Est-ce aussi à travers ses trois chansons une manière de célébrer Georges Moustaki, artiste avec lequel elle a collaboré ?
Son écriture, mais aussi son sens mélodique. Par exemple, Fleurs de méninges, il a fait la musique, mais pas le texte. Georges Moustaki, c’est quelqu’un qui fait partie des personnes ayant marqué mon chemin. Comme ce sont des chansons d’amour et qu’ils ont eu ensemble une histoire, je trouvais ça beau et touchant.

Ouvrir l’album par le titre Je ne sais pas dire semble être un choix loin d’être anodin. Vous confirmez ?
C’était évident que je la mette en premier. J’aime l’introduction d’Étienne Champollion un peu à la Chopin. D’abord, je cherchais à ne pas commencer directement le disque par le chant, mais par quelque chose d’évocateur au niveau musical. Ensuite, c’est également par rapport à tout ce que raconte dans l’album ou sur scène. Je ne pourrais pas compter le nombre de fois où je dis « je t’aime » (rires). Il y a bien sûr un jeu de séduction dans cette chanson, mais elle a une évolution, car c’est quelqu’un qui ose justement. À un moment surgit un envol et elle finit par le dire du bout des lèvres.

Rendez-vous dans dix ans ?
A priori, il ne devrait pas y avoir une nouvelle aventure. Mais dans la vie, j’aime l’inattendu. Je laisse la porte ouverte à beaucoup de choses.

In RFI