La star américaine de la WNBA, accusée de trafic de drogue, pourrait servir de monnaie d’échange pour Moscou
Après six mois passés dans une prison russe, la célèbre basketteuse américaine, double championne olympique, Brittney Griner, a plaidé coupable concernant l’intégralité de ses chefs d’accusation, lors d’une audience de son procès, jeudi 7 juillet. La justice russe l’accuse de s’être livrée à un « trafic de drogue », passible de dix ans de prison, pour avoir introduit dans le pays une vapoteuse accompagnée de cartouches contenant du cannabis. Vêtue d’un teeshirt et d’un pantalon de survêtement rouges, la joueuse des Phoenix Mercury a fait son entrée dans la salle d’audience du tribunal de Khimki (banlieue nord de Moscou) menottée et escortée par plusieurs agents qu’elle toisait de ses 2,03 mètres. La défense de la basketteuse star a opté pour une prudente ligne de non-confrontation avec l’appareil judiciaire russe, admettant les faits tout en mettant l’accent sur l’absence d’« intentionnalité » de la prévenue qui avait écrit, la veille, au président américain, Joe Biden, une lettre depuis rendue publique où elle l’implore : « Alors que je suis dans une prison russe, seule avec mes pensées et sans la protection de ma femme, ma famille, mes amis, mon maillot olympique (…), je suis terrifiée à l’idée d’être ici pour toujours. »
Huile de haschich
« J’aimerais plaider coupable, votre honneur. Mais il n’y avait aucune intention. Je ne voulais pas enfreindre la loi », a déclaré la double médaillée d’or, s’exprimant à voix basse en langue anglaise, rapporte l’agence de presse Reuters. Les propos de la prévenue étaient traduits en russe au sein du tribunal. « J’étais pressée en faisant mes bagages et les cartouches se sont retrouvées accidentellement dans mon sac », a ajouté la joueuse. La détention de Brittney Griner à Sheremetyevo, l’aéroport international de Moscou, a été rendue publique le 5 mars, bien que la basketteuse, âgée de 31 ans, ait en fait été interpellée le 17 février, lors de son retour sur le territoire russe. Elle comptait se rendre dans l’Oural, où elle profite de l’intersaison américaine pour jouer au sein de l’équipe d’Ekaterinburg. Au moment de passer le contrôle de sécurité de l’aéroport, les douaniers russes ont découvert dans ses bagages plusieurs cartouches de cigarette électronique contenant de l’huile de haschich (légalisée dans plusieurs Etats américains). Le parquet a aussitôt ouvert une affaire pénale pour trafic de drogue contre la basketteuse. Cette affaire s’inscrit dans un contexte des tensions liées au conflit en Ukraine, nombre d’observateurs soupçonnant la Russie d’utiliser ce cas en vue d’un futur échange de prisonniers avec les Etats-Unis. Avant le début de la deuxième audience du procès, jeudi, la diplomatie russe avait dénoncé le « battage public » des dirigeants américains autour de son cas, estimant que cela « parasitait » l’affaire. « Ce qui peut aider (…), c’est la prise en considération par la partie américaine de signaux qu’elle reçoit de Russie », a indiqué le vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Riabkov. L’agence officielle TASS et d’autres médias russes proches du pouvoir citent des sources dans l’appareil judiciaire suggérant que Brittney Griner pourrait être échangée contre l’ancien agent supposé du renseignement militaire russe Viktor Bout, qui purge une peine de vingt-cinq ans de prison aux Etats-Unis pour trafic d’armes à grande échelle. Depuis son arrestation en 2008, la Russie ne fait pas mystère de ses efforts pour obtenir le retour de Viktor Bout en Russie. Le président américain, Joe Biden, de son côté, a assuré qu’il fera « tout son possible » pour « ramener Brittney Griner à la maison ». Les deux pays rivaux ont déjà procédé à des échanges. Le 27 avril dernier, le pilote d’avion russe Konstantin Yaroshenko, condamné en 2010 pour trafic de drogue aux Etats-Unis, a été échangé contre l’ancien marine américain Trevor Reed, emprisonné en 2020 en Russie pour agression envers un policier.
« Camée intégrale »
Dans le contexte de guerre de l’information entre les deux pays, les médias en Russie utilisent l’affaire Griner pour discréditer davantage les Etats-Unis auprès de l’opinion publique russe. Un reportage diffusé jeudi sur la chaîne télévisée NTV (contrôlée par Gazprom, elle-même contrôlé par l’Etat russe) souligne l’orientation sexuelle de la sportive à travers une plainte pour violences conjugales contre la championne déposée par son ex-épouse en 2015. La chaîne tourne en dérision les autorités américaines, qui ont « confié l’affaire Griner au responsable de la libération d’otages américains, alors que la sportive a reconnu les faits ». Le portrait au vitriol se poursuit avec des diplomates américains « incapables d’aider Griner : au contraire ils n’ont pas été capables d’organiser un appel téléphonique entre la prévenue et sa famille aux Etats-Unis ». Suit une vidéo dans laquelle on voit l’actuelle épouse de la prévenue dire (en version doublée en russe) qu’elle n’a « plus confiance envers les autorités américaines ». Le reportage dépeint ensuite les Etats-Unis comme un pays où les drogues circulent librement, tandis que les sportifs sont moins bien payés qu’en Russie. En point d’orgue, un politiste résume l’affaire en deux scénarios : « Soit [Griner] est une camée intégrale, soit c’est la confirmation que les Américains se croient au-dessus des lois des autres pays .» L’humilité de Brittney Griner sera mise à l’épreuve lors de la prochaine audience, le 14 juillet, lorsqu’elle sera interrogée par le tribunal de Khimki.
Emmanuel Grynszpan in Le Monde