jeudi 21 novembre 2024
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La première image du télescope spatial James-Webb dévoilée

Le cliché illustre les performances du successeur d’Hubble, qui pourra notamment observer les débuts de l’Univers

Le rideau se lève enfin sur le ciel vu par le télescope spatial James-­Webb. Après plus de vingt-cinq ans d’attente, des reports multiples et des dérapages budgétaires, les terriens disposent de ce nouvel œil perçant pour scruter le cosmos. Lundi 11 juillet, la paupière a été soulevée par le président américain Joe Biden lui-même, dévoilant la première image du JWST (son acronyme anglais), construit par la NASA, l’Agence spatiale européenne (ESA) et leur homologue canadien (ASC). D’autres clichés devaient être dévoilés mardi après-­midi. « Un jour historique », a salué Joe Biden en applaudissant l’arrivée du cliché sur un écran. Cette première image est un feu d’artifice de taches lumineuses plus ou moins larges, plus ou moins scintillantes et aux couleurs variées, avec parfois de fins arcs brillants striant le ciel noir. Ces milliers d’éclats, sont autant de galaxies peuplant l’Univers. Du jamais­-vu dans un espace carré aussi petit, équivalent à la taille d’un grain de sable au bout du bras. Si une légère impression de flou peut surprendre, ce cliché témoigne du succès du télescope au miroir géant de 6,5 mètres de diamètre, lancé en décembre 2021 par une fusée Ariane 5, désormais posté à 1,5 million de kilomètres de la Terre et pleinement opérationnel. L’instrument confirme en effet qu’il est bien une formidable machine à remonter le temps. Jusqu’aux origines du Big Bang, traquant une lumière tremblante qui a mis plus de 13 milliards d’années à nous parvenir. « C’est le premier objectif du télescope, sonder l’aube des temps, l’origine des étoiles et des galaxies quelques dizaines de millions d’années après le Big Bang », résume David Elbaz, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). « C’est fantastique ! C’est vraiment très, très riche. Des collègues m’ont avoué avoir eu les larmes aux yeux en voyant cette première image », témoigne Johan Richard, astronome au Centre de recherche astrophysique de l’Observatoire de Lyon, ravi de ce premier choix symbolique. « C’est du plaisir de voir ces premières images et maintenant nous pouvons commencer à rêver », salue Nicole Nesvadba, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Techniquement, il s’agit de la photographie du champ profond de l’Univers, qui contient la trace de sources très brillantes au premier plan et, en arrière-­plan, à peine visibles, des sources témoin des premiers temps de l’Univers. Détail qui a son importance, la photo illustre aussi un effet de relativité générale décrite par Albert Einstein, la lentille gravitationnelle. De quoi s’agit-­il ? De profiter d’un amas de galaxies, baptisé SMACS 0723, dans le champ de visée, à 4,6 milliards d’années-­lumière de la Terre, et qui par sa masse énorme courbe localement l’espace­-temps au point d’agir comme une lentille sur la lumière provenant de galaxies derrière lui, tapies au fin fond de l’Univers. Elles apparaissent sous forme d’images multiples, voire d’arcs lumineux. Ce qu’il aurait été impossible de voir directement est ici amplifié et devient perceptible.

Perce-muraille

« C’est comme un deuxième télescope ! », apprécie Johan Richard. L’image rappelle celles prises par l’un des prédécesseurs du JWST, Hubble, lancé en 1990, qui, avec un miroir de 2,4 mètres, a aussi montré des champs profonds en 1995 et 2004 notamment. « Il fallait cinquante heures à Hubble pour faire un champ profond, quand JWST le fait en une heure. On pourrait remonter à seulement deux à trois cents millions d’années après le Big Bang, le moment clé de la naissance des premières galaxies », rappelle Johan Richard. « Hubble ne pouvait pas distinguer un éléphant d’un écureuil. JWST, lui, pourra dire à quel genre de galaxie on a affaire », métaphorise David Elbaz. Il a d’autres atouts : c’est également un perce-muraille. Il voit en effet des galaxies invisibles aux yeux de Hubble, car il est doté d’une sensibilité doublement adaptée à cette tâche. Il voit rouge, ou plutôt infrarouge, une longueur d’onde invisible à nos yeux. Dans notre Univers en expansion, les galaxies s’éloignent de la Terre et du télescope, et tel le son d’une sirène de pompier devenant plus grave avec la distance, les longueurs d’onde émises par une source « grandissent » et tirent vers l’infrarouge. JWST verra donc plus loin. En outre, ces infrarouges traversent les poussières interstellaires, qui parfois masquent totalement les galaxies en leur sein. Ce superpouvoir a été mis à profit pour observer quatre autres régions et objets célestes présentés mardi 12 juillet : deux nébuleuses, une exoplanète et un groupe de galaxies en train de se percuter. Les images les plus belles seront sans doute celles de la nébuleuse de la Carène, la plus grande de notre galaxie, à 7 600 années-­lumière de la Terre, et celles de l’anneau austral, dans l’hémisphère Sud, à 2 000 années-­lumière. Ces images révéleront que le JWST est aussi un petit chimiste très doué. « Elles donnent la morphologie des objets, mais leur vraie richesse est dans les petits “tiroirs” que chaque pixel contient », précise Nicole Nesvadba. Dans ces « tiroirs », il y a des spectres, c’est-à­-dire les enregistrements des différentes longueurs d’onde, composant la lumière reçue depuis cet endroit du ciel. Cela permet d’identifier précisément les éléments chimiques à l’origine de l’émission de cette lumière, et donc de discerner un type d’étoiles donné, de repérer où elles se forment, comment les molécules circulent… « Les astrophysiciens seront plus éblouis par ces caractérisations que par les images elles-mêmes », estime David Elbaz. Autre cible, qui bénéficiera de ces talents, l’exoplanète WASP­96b. Cette géante gazeuse, distante de 1 150 années-­lumière, incarne l’ambition la plus récente du JWST, qui n’était encore qu’un projet lorsque la première planète orbitant autour d’une étoile autre que le Soleil a été repérée en 1995. « Nous allons écrire le second chapitre de cette histoire. Le premier concernait la détection et la caractérisation des exoplanètes. Le nouveau va devoir analyser la composition chimique des atmosphères », souligne Pierre­-Olivier Lagage, chercheur au CEA, coresponsable français d’un des quatre instruments du JWST. Il espère rapidement repérer dans ces atmosphères de l’eau, du méthane, de l’ammoniac, du monoxyde de carbone, etc., voire des preuves de « vie ».

Danse macabre

Enfin, la dernière cible est une image arrêtée d’une danse macabre : la collision cataclysmique de quatre galaxies, en train de fusionner, dans la région dite du quintet de Stéphan. « C’est sans doute la zone la plus turbulente de l’Univers que nous connaissons », estime David Elbaz. Elle prouve aussi l’intérêt de la vision infrarouge. Là où Hubble n’avait montré que des gros objets se livrant à une chorégraphie fatale, un successeur spécialisé dans ces longueurs d’onde, le télescope spatial Spitzer, entre 2003 et 2020, avait vu le passage d’une onde de choc. Là encore, le JWST devrait affiner la description de ce phénomène cataclysmique. A l’issue de toutes ces analyses, c’est l’histoire de l’Univers depuis les origines jusqu’à notre système solaire, en passant par les mortelles et pourtant vitales explosions d’étoiles, qui sera révélée. « Dès le début, on voyait que les performances seraient au rendez­-vous. C’était déjà très émouvant. Tout a mieux marché que prévu. Le décollage et la mise sur orbite, qui nous feront gagner dix ans d’exploitation du télescope. La stabilité de l’instrument, le réglage des dix-­huit miroirs entre eux, et, pour notre instrument, MIRI [Mid­Infrared Instrument], des images aussi bonnes qu’au labo, note Pierre­-Olivier Lagage. Tout est prêt pour la science. »

David Larousserie in Le Monde