« Tout arrive ! » Voilà notre première réaction quand on a découvert qu’Emmanuel Macron, interviewé samedi dernier sur France Inter, réclamait pour la première fois que l’on « cesse de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza ». Une prise de position inédite intervenue presqu’un an après le début de l’offensive israélienne qui a causé la mort d’au moins 41 000 Palestinien•es à Gaza, selon le ministère de la santé du Hamas, et près de 2 000 Libanais•es, selon les autorités du pays.
Jusqu’à ce samedi 5 octobre, la France s’est toujours opposée à un embargo sur les armes à Israël. Au contraire de l’Espagne, la Belgique, le Canada ou encore les Pays-Bas qui ont annoncé la suspension de leurs exportations à cause des risques encourus par les civils.
Des livraisons d’armements français en 2024
En réalité, Emmanuel Macron n’a pas changé d’avis soudainement. De fait, il s’est empressé de préciser que son appel à un embargo ne s’appliquait… qu’aux autres pays. Car, assure-t-il, « la France ne livre pas d’armes » pour l’offensive à Gaza. Vous qui lisez Disclose, vous savez que cette affirmation du Président de la République est en partie fausse : jusqu’au début de l’année 2024 au moins, le gouvernement français a donné son feu vert à la livraison de deux types d’équipements militaires qui risquent d’être utilisés par l’armée israélienne contre les civils à Gaza. Pour le premier, expédié fin octobre 2023, il s’agit de pièces détachées pour des cartouches de mitrailleuses. Pour le second, le pouvoir exécutif a autorisé l’envoi, début 2024, de matériel de communication fabriqué par Thales et destiné à des drones tueurs. Sans ces révélations, Emmanuel Macron aurait pu tromper son monde. Car, personne n’aurait eu vent de ces livraisons autorisées en catimini. Et hors de tout contrôle démocratique.
Le secret qui entoure les ventes d’armes est si épais que le gouvernement ne prend même pas la peine de prouver ce qu’il affirme. Interrogés plusieurs jours avant la publication de nos informations pour recueillir leurs explications, l’Élysée, Matignon et le ministère des armées n’ont jamais répondu. Il a fallu attendre la sortie de nos articles pour qu’ils brandissent leur joker : Israël ne serait qu’un pays de transit où les pièces made in France seraient assemblées puis « ré-exportées » vers d’autres pays.
Le problème, c’est qu’il faudrait donc les croire sur parole. Malgré nos demandes répétées, aucune preuve matérielle ne nous a été présentée, ni par les uns ni par les autres.
Zéro contrôle, zéro transparence
De l’aveu même de Jean-Luc Bonelli, le PDG d’Eurolinks, la société française qui fabrique les fameux maillons utilisés pour les cartouches de mitrailleuses, il « n’est pas tenu de savoir où va le produit fini ». Quant aux services de l’ambassade de France à Tel-Aviv, ils n’ont, selon lui, réalisé aucun contrôle sur place. Contactée en mars dernier, la représentation française en Israël n’a pas donné suite.
C’est bien tout le problème : l’usage final des armes exportées, que ce soit en Israël ou dans le reste du monde, demeure totalement opaque. La seule marque de transparence étant la publication annuelle, par le ministère des armées, du montant global des exportations d’armes françaises. Le hic, c’est que ce document ne précise pas la nature exacte des équipements vendus, ni son utilisateur final. Pour Israël, le montant des livraisons françaises a doublé entre 2022 et 2023, passant de 15 à 30 millions d’euros. Certaines licences concernent du matériel de conduite de tir, pour des bombes, des torpilles… Le rapport n’en dit pas plus.
Si la France est réellement irréprochable, comme le prétend Emmanuel Macron, alors comment expliquer que le gouvernement ait suspendu, en secret, les exportations de Thales, début 2024 — nous l’avons appris au cours de notre enquête mais cela n’a jamais été confirmé officiellement ? Est-ce que la France craint de se rendre complice du « risque plausible de génocide » dénoncé par la Cour Internationale de Justice au sujet des attaques israéliennes sur Gaza ? Impossible de le savoir. La commission parlementaire qui devait « évaluer » la politique du gouvernement en matière d’exportation d’armement a volé en éclats avec la dissolution. Elle n’a toujours pas été réinstallée.
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