jeudi 21 novembre 2024
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L’Espagne, l’Irlande et la Norvège vont reconnaître un État palestinien

L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont annoncé ce mercredi 22 mai leur décision coordonnée de reconnaître un État palestinien, dans l’espoir d’entraîner d’autres pays à faire de même, alors que la solution à deux États est « en danger », en pleine guerre à Gaza.

Le Premier ministre norvégien Jonas Gahr Store a été le premier à annoncer cette reconnaissance à la date du 28 mai, lançant par la même occasion « un appel fort » à l’adresse d’autres pays pour qu’ils fassent de même.

Saluant un « jour historique », son homologue irlandais Simon Harris a suivi peu de temps après, tout comme le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, l’une des voix les plus critiques envers l’opération militaire lancée par Israël dans la bande de Gaza, en représailles à l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre en territoire israélien.

« Le Premier ministre Netanyahu n’a pas de projet de paix pour la Palestine », a dénoncé devant les députés le leader socialiste espagnol.

« Lutter contre le groupe terroriste Hamas est légitime et nécessaire après le 7 octobre, mais Netanyahu provoque tant de douleur, de destruction et de rancœur à Gaza et dans le reste de la Palestine que la solution à deux États est en danger. »

La reconnaissance d’un État palestinien par Madrid interviendra également le 28 mai, date du prochain Conseil des ministres, a précisé Pedro Sanchez.

Lors d’une déclaration devant le Congrès des députés, le président du gouvernement espagnol dira : « Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, en envoyant de l’aide humanitaire, comme nous le faisons, en assistant les réfugiés et les personnes déplacées, comme nous le faisons, mais aussi en utilisant tous les leviers politiques à notre disposition pour dire haut et fort que nous ne permettrons pas que la possibilité de deux États, qui est la seule solution juste et durable à ce terrible conflit, soit détruite par la force. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, je voudrais vous informer qu’après avoir atteint un consensus sur la décision entre les deux partis qui composent le gouvernement de coalition progressiste, et en écho au sentiment majoritaire du peuple espagnol, le mardi 28 mai, l’Espagne approuvera la reconnaissance de l’État de Palestine au sein de son Conseil des ministres. »

Le Hamas a salué la reconnaissance de l’État de Palestine par ces trois pays européens comme une « étape importante », jugeant que c’est la « résistance palestinienne » qui a permis selon lui ces reconnaissances. Le mouvement islamiste rappelle que son objectif est celui de l’établissement de l’État palestinien, lui qui n’a jamais accepté officiellement l’idée d’une solution de paix sur la base de deux États, israélien et palestinien.

De son côté, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dirigée par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, parle d’un moment « historique ».

Il faut rappeler que les Palestiniens sont politiquement divisés. Si le Hamas s’attribue aujourd’hui le mérite du retour de la question palestinienne sur le devant de la scène, du côté de l’Autorité palestinienne, à Ramallah, on souligne que c’est sur le terrain diplomatique que se joue la longue marche des Palestiniens vers leur État.

Pour Mme Hala Abou Hassira, ambassadrice de Palestine en France : « L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont fait la preuve qu’il est toujours le bon moment pour faire les bonnes choses. »

Stupéfaction en Israël

En Israël, c’est la stupéfaction et la colère, face à ce qui est déjà considéré ici comme un raz de marée diplomatique, rapporte notre correspondant à Jérusalem. Le ministère des Affaires étrangères a immédiatement réagi en annonçant le rappel pour consultations de ses ambassadeurs en Irlande, en Norvège et en Espagne. Et dans le même temps, il a convoqué les ambassadeurs de ces pays au siège du ministère, à Jérusalem.

Sur son compte X, Israël Katz proclame qu’Israël ne restera pas silencieux face à ce qui est qualifié d’atteinte à sa souveraineté. Le message est clair, affirme-t-il encore : « Le terrorisme est payant. »

Mardi, dans un message vidéo à l’adresse de Dublin publié sur le réseau social X, il avait averti que « reconnaître un État palestinien risque de vous transformer en pion dans les mains de l’Iran » et du Hamas. Cette mesure ne fera « que nourrir l’extrémisme et l’instabilité », avait-il ajouté.

Le ministère israélien de la Défense a annoncé de son côté l’annulation du désengagement israélien dans le nord de la Cisjordanie, ce qui signifie, en clair, que plusieurs avant-postes évacués après la loi de 2005 pourront être repeuplés. Le ministre israélien des Finances demande pour sa part au Premier ministre Netanyahu de prendre des mesures de sanctions contre l’Autorité palestinienne. Bezalel Smotrich indique que d’ores et déjà, il n’a pas l’intention de verser à Ramallah les sommes prélevées au titre des droits de douane.

Itamar Ben Gvir s’est rendu lui, pour la première fois depuis le 7 octobre, sur l’esplanade des Mosquées, d’où il a fustigé la reconnaissance de la Palestine. « Le mont du Temple appartient à Israël et à lui seul », a affirmé le ministre d’extrême droite.

Une initiative coordonnée

Au début des années 1990, après une Conférence de paix israélo-arabe, fin octobre 1991 à Madrid, la Norvège avait secrètement accueilli les premiers pourparlers de paix israélo-palestiniens qui avaient débouché sur les accords d’Oslo. Trente après l’échec de ces derniers, le pays nordique, ardent défenseur de la solution à deux États et au droit à l’autodétermination des Palestiniens, signale ainsi un changement de stratégie, analyse notre correspondante dans la région.

« Il ne peut pas y avoir de paix au Moyen-Orient sans un État palestinien », a martelé ce mercredi matin le Premier ministre norvégien, Jonas Gahr Store. Autrement dit, il ne faut plus attendre la fin du conflit pour reconnaître la Palestine ; c’est désormais, aux yeux de la Norvège, un pré-requis pour la paix. Le chef du gouvernement norvégien a aussi répondu aux critiques de la part du gouvernement israélien, en rappelant qu’Oslo a condamné sans ambages l’attaque du 7 octobre, et que son pays a toujours considéré qu’Israël avait le droit de se défendre, dans les limites du droit international.

La Norvège espère que cette reconnaissance de la Palestine de la part de plusieurs pays européens « renforcera les forces politiques modérées des deux côtés », et permettra de relancer un processus de paix. Pour rappel, elle préside le groupe des donateurs pour la Palestine, et soutient activement l’initiative de paix portée par l’Arabie saoudite et adoptée par la Ligue arabe en 2002.

Quant au Premier ministre irlandais, il a rendu publique sa décision lors d’une conférence de presse, au cours de laquelle il a qualifié d’« épouvantables » les souffrances que vivent en ce moment les Palestiniens à Gaza. Dans son discours, Simon Harris a déclaré reconnaître les aspirations du peuple palestinien à vivre librement, et a comparé sa lutte à celle de son peuple pour son indépendance.

Le traumatisme de la colonisation des Britanniques est encore douloureux, rappelle notre correspondante à Dublin. Elle alimente ce sentiment d’une histoire commune avec la Palestine. « Chaque gouvernement va désormais prendre toutes les mesures nécessaires pour prendre effet de cette décision », fait valoir le chef du gouvernement.

Cette reconnaissance est une première étape – essentielle, certes –, afin d’amener sur la table une solution à deux États, « seule voie crédible vers la paix entre Israël et la Palestine », selon Simon Harris. « Avant cette annonce, j’ai parlé à un certain nombre d’autres dirigeants et je suis convaincu que d’autres se joindront à nous dans les semaines à venir », a-t-il confié.

D’autres pays attendus ?

Cette reconnaissance conjointe de la Palestine en tant qu’État prendra donc officiellement effet à partir du 28 mai. Ce qui laisse quelques jours donc à d’autres pays pour se manifester. D’après le décompte de l’Autorité palestinienne, 142 pays des 193 États membres de l’ONU ont jusqu’à présent annoncé qu’ils reconnaissaient un État palestinien. L’initiative conjointe de Madrid, Dublin et Oslo, pourrait être rejointe par d’autres pays européens.

En mars à Bruxelles, les dirigeants slovène et maltais avaient signé un communiqué commun avec Madrid et Dublin, dans lequel les quatre pays faisaient part de leur volonté de reconnaître un tel État. Le gouvernement slovène a adopté le 9 mai un décret pour la reconnaissance d’un État palestinien, comptant l’envoyer au Parlement pour approbation d’ici au 13 juin.

Pour l’heure, il y a désormais dix pays dans l’UE qui reconnaissent la Palestine comme un État. Soit un tiers. Le résultat d’un processus compliqué, et le signe, aussi, d’une division très importante des Européens et de leur échec géopolitique, constate notre correspondant à Bruxelles. Et cela survient après qu’ils avaient réussi à donner l’impression d’une Union européenne enfin géopolitique, depuis la guerre en Ukraine, et à quinze jours des élections européennes.

Espagne et Irlande rejoignent la Suède, qui était jusqu’à présent la seule à avoir reconnu l’État palestinien, il y a dix ans, alors qu’elle était déjà membre de l’UE, elle qui abrite une forte communauté d’origine palestinienne. Au nom de la solidarité des non-alignés, six autres pays avaient par ailleurs reconnu la Palestine en 1988, dans le mois qui avait suivi sa proclamation d’indépendance, à savoir Chypre et cinq membres du Pacte de Varsovie, dont la Tchécoslovaquie avant son éclatement.

Depuis, les choses ont bien changé. Les Tchèques, les Slovaques, mais aussi les Hongrois, soutiennent plutôt Israël. Quant aux États baltes, ils n’ont pas reconnu la Palestine, alors que l’Union soviétique l’avait fait. C’est l’un des symptômes de la division profonde du continent, qui a éclaté notamment lorsque les Européens ont mis quatre mois à appeler ensemble à un cessez-le-feu à Gaza, mentionnant que la seule position commune était la solution à deux États.

Certains estiment donc que pour y parvenir, il faut que les deux États existent déjà, quand d’autres, comme l’Allemagne, veulent auparavant une négociation israélo-palestinienne. Au centre, on retrouve la France, qui ne l’écarte pas, ou la Belgique, qui a finalement décidé d’attendre le bon moment, celui où une telle reconnaissance sera selon elle « plus utile ».

Reconnaissance de l’État de Palestine : « pas un tabou » mais pas le bon moment selon le chef de la diplomatie française

La reconnaissance d’un État de Palestine « n’est pas un tabou pour la France », mais Paris estime que les conditions ne sont pas réunies « à ce jour pour que cette décision ait un impact réel » sur le processus visant la solution à deux États, a réagi ce mercredi 22 mai le chef de la diplomatie française auprès de l’AFP.

« Cette décision doit être utile, c’est-à-dire permettre une avancée décisive sur le plan politique », a souligné Stéphane Séjourné dans une déclaration écrite. « Dans cette perspective, elle doit intervenir au bon moment pour qu’il y ait un avant et un après », a-t-il ajouté.

M. Séjourné, qui a reçu ce mercredi matin à Paris son homologue israélien Israël Katz, estime qu’« il ne s’agit pas seulement d’une question symbolique ou d’un enjeu de positionnement politique, mais d’un outil diplomatique au service de la solution à deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité».

« Le seul groupe parfaitement aligné sur le Quai d’Orsay… n’est pas forcément celui qu’on croit. »

Une affaire à suivre

Seul le Conseil de sécurité de l’ONU peut décider de l’admission pleine et entière d’un nouvel État. Le mois dernier, un vote sur cette question a eu lieu : sur les quinze membres du Conseil, douze dont la France avaient voté oui, deux s’étaient abstenus – Royaume-Uni et Suisse –, mais le veto américain avait bloqué le processus.

Depuis 2012, la Palestine est un État observateur non-membre des Nations unies, ce qui lui a permis d’adhérer à la Cour pénale internationale. Cette semaine, on a vu que le procureur de la CPI demandait des mandats d’arrêts contre le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense et contre trois chefs du Hamas. On voit donc que la bataille diplomatique des Palestiniens et de leurs soutiens n’est pas seulement symbolique.

Mais il est vrai aussi que la reconnaissance d’un État palestinien par de nouveaux pays ou par l’ONU, un jour, ne suffira pas à mettre fin à l’occupation israélienne.

M. B.