Plusieurs personnes ont été tuées et des milliers ont été blessées mardi 17 septembre lorsque les bipeurs utilisés par les membres du Hezbollah pour communiquer ont explosé à travers le pays. L’ambassadeur de l’Iran au Liban a été également blessé, selon la télévision iranienne. Une source proche du mouvement libanais a accusé Israël d’être à l’origine d’un « piratage ». En Syrie, 14 personnes ont aussi été blessées. L’ONU a qualifié que ces explosions marquaient une « escalade extrêmement inquiétante ».
Lors d’une conférence de presse donnée dans l’après-midi, le ministre de la Santé Firass Abiad a déclaré que « huit personnes ont été tuées et près de 2 750 autres blessées » dans l’explosion mardi 17 septembre de bipeurs appartenant à des membres du Hezbollah au Liban. Le bilan s’est élevé dans la soirée à neuf morts. Parmi les victimes figurent deux fils d’un député du Hezbollah. L’ambassadeur de l’Iran à Beyrouth Mojtaba Amani a également été blessé. « Il nous a déclaré il y a quelques minutes qu’il allait bien, qu’il était conscient et qu’il n’y avait aucun danger pour lui », a ajouté la télévision iranienne, sans préciser si le bipeur, un système de radiomessagerie, lui appartenait.
Une source proche du Hezbollah a affirmé qu’il s’agissait d’un « piratage israélien ». C’est le premier incident de ce genre depuis le début des violences entre la formation pro-iranienne et Israël depuis près d’un an.
Dans des supermarchés, des pharmacies, dans des lieux de travail ou en pleine rue, des explosions sourdes ont retenti, précédées d’une forte sonnerie, suivies de cris de douleur. Les bipeurs, un système de radiomessagerie utilisé par le Hezbollah, ont explosé, presque au même moment, partout au Liban, mais aussi en Syrie.
« Des centaines de membres du Hezbollah ont été blessés par l’explosion simultanée de leurs bipeurs » dans la banlieue sud de Beyrouth, dans le sud du Liban et dans la plaine orientale de la Békaa, a pour sa part déclaré une source proche du parti. Ces régions sont toutes des bastions de la formation islamiste.
Un correspondant de l’AFP dans la Békaa a vu des blessés affluer en nombre dans les hôpitaux de la région. Un autre dans la ville de Saïda, dans le sud du Liban, a rapporté des dizaines d’ambulances arrivant aux hôpitaux.
« Incident de sécurité sans précédent »
Plusieurs témoins ont vu des ambulances transporter des blessés dans la banlieue sud, où les hôpitaux ont appelé à des dons de sang. À l’hôpital privé américain de Beyrouth (AUBMC), l’un des plus importants de la capitale, un photographe de l’AFP a vu des dizaines d’ambulances transporter des blessés.
Le ministère de la Santé a demandé « à tous les professionnels de la santé de se rendre immédiatement sur leur lieu de travail afin de contribuer aux soins d’urgence pour le grand nombre de blessés » et lancé un « appel à la coordination avec la Croix-Rouge libanaise pour organiser des dons de sang ».
L’Agence nationale d’information (ANI, une agence officielle) a fait état d’un « incident de sécurité sans précédent qui s’est produit dans la banlieue sud de Beyrouth ainsi que dans de nombreuses régions libanaises », l’attribuant à « l’ennemi » israélien. Elle a ajouté que « le système de bipeurs a été piraté via la haute technologie. »
Le Hezbollah avait demandé à ses membres de ne plus utiliser les téléphones portables pour éviter les piratages israéliens. Le puissant parti a mis en place un système de bipeurs par lequel ses membres sont appelés à rejoindre leurs unités. Le mode opératoire de cette attaque n’est pas encore connu. Des rescapés et des blessés ont affirmé que la température de leur appareil a subitement grimpé avant d’entendre une forte sonnerie puis une explosion.
Pas de revendication officielle d’Israël, des experts y voient la marque de l’État hébreu
Du côté de l’État hébreu, pas de revendication officielle pour l’instant. Mais en Israël, les experts en sécurité estiment que l’attaque porte clairement la marque israélienne. L’expert en sécurité israélien Yehoshua Kalisky, estime que cette attaque d’envergure a bien été menée par son pays, qui a eu recours à l’une des deux méthodes suivantes.
« La première possibilité est que les Israéliens ont envoyé des ondes électromagnétiques ou électroniques, de façon à endommager les batteries de ces bipeurs qui ont fini par exploser. L’autre possibilité, c’est qu’une charge explosive a été directement placée dans les bipeurs dans l’usine qui les a fabriqués », détaille-t-il. « Ces bipeurs sont assez récents. Le Hezbollah les utilise depuis peu. »
Pour Yehoshua Kalisky, l’attaque est un message clair adressé au Hezbollah. « Ce qui est impressionnant, c’est l’usage de la technologie pour atteindre nos ennemis de façon peu commune. Et le message qui est envoyé, c’est : « nous savons qui vous êtes. Nous savons où vous êtes. Nous vous atteindrons et vous éliminerons où que vous soyez sur le globe. Que vous soyez dans la banlieue sud de Beyrouth, que vous soyez dans la Békaa au Liban ou en Syrie. Partout au Moyen-Orient ou ailleurs, nous vous pourchasserons et nous vous tuerons”. C’est aussi simple que ça. “Nous allons vous détruire, car vous souhaitez la destruction de l’unique État juif” », analyse-t-il.
Selon ce chercheur à l’INSS, l’Institut des études de sécurité nationale en Israël, ce n’est pas la première fois que l’État hébreu mène ce genre d’attaques. « Il y a eu cette opération qui a ciblé l’un des ingénieurs du Hamas. Il a été tué à Gaza par son téléphone portable qui a explosé entre ses mains. Il s’appelait Yahia Ayache », rappelle-t-il.
Les États-Unis « n’étaient pas au courant »
Quelques heures après l’événement, les États-Unis ont affirmé n’être « pas impliqués » dans l’explosion et n’avoir pas été informés à l’avance de cette attaque. « Je peux vous dire que les États-Unis n’ont pas été impliqués là-dedans, qu’ils n’étaient pas au courant de cet incident à l’avance, et à ce stade, nous collectons de l’information », a déclaré à la presse le porte-parole du Département d’État Matthew Miller.
Dans la même prise de parole, Washington a exhorté l’Iran à éviter tout acte qui aggraverait les tensions, après les explosions. « Nous exhortons l’Iran à ne pas se servir du moindre événement pour tenter d’alimenter l’instabilité et d’aggraver encore les tensions dans la région », a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine, Matthew Miller.
« Nous croyons que les civils ne sont pas des cibles légitimes pour aucun type d’opération et qu’aucun pays ne devrait viser des civils. Aucun pays, aucune organisation ne devrait viser des civils. Les membres d’une organisation terroriste sont des cibles légitimes contre lesquelles un pays peut lancer des opérations. Ce sont les principes auxquels nous nous tenons. Ce sont les principes que nous attendons que les autres pays appliquent dans leurs opérations. »
De son côté, le Hamas a condamné l’explosion coordonnée des bipeurs, la qualifiant d’« agression terroriste sioniste » dans la région, en référence à Israël. « Nous […] condamnons fermement l’agression terroriste sioniste qui a visé des citoyens libanais en faisant exploser des appareils de communication dans différentes régions du territoire libanais », a indiqué le Hamas dans un communiqué, ajoutant que l’attaque n’avait fait aucune distinction « entre les combattants de la résistance et les civils. »
Pour la coordinatrice spéciale des Nations unies pour le Liban, cet évènement marque une « escalade extrêmement inquiétante. » « Les développements d’aujourd’hui marquent une escalade extrêmement inquiétante dans un contexte déjà […] volatil », a déclaré Jeanine Hennis-Plasschaert dans un communiqué. Elle a exhorté « toutes les parties concernées à s’abstenir de toute nouvelle action […] qui pourrait déclencher une conflagration plus large ».
Comment ces bipeurs peuvent-ils exploser en série ?
Dans le monde de la téléphonie, personne n’a jamais vu ça. Un expert en téléphonie mobile joint par RFI déclare qu’il a déjà vu une batterie de téléphone s’enflammer, mais jamais des batteries exploser spontanément et surtout en série. Pour qu’une batterie au lithium brûle, elle doit nécessairement être perforée. Elle s’enflammera alors au contact de l’oxygène. La combustion peut produire une forte source de chaleur et provoquer une petite explosion.
Ce peut être la conséquence d’un acte malveillant. La batterie d’un appareil peut-etre dégradée à distance disent les experts, ce n’est pas à la portée de tous, mais il est possible d’envoyer une notification déclenchant un court-circuit, la batterie va alors gonfler jusqu’à exploser. Autre possibilité, la totalité des bipers, acquis il y a quelques mois par le hezbollah, ont pu être piégés. Dans cette hypothèse, des charges de quelques grammes d’explosifs auraient été glissées sous la coque de chaque appareil, des charges, la encore, déclenchées à distance par l’envoi d’une notification.
Quelle que soit la méthode employée, l’opération est digne d’un véritable roman d’espionnage, une véritable première mondiale dans les guerres secrètes que se livrent les services de renseignement.
M. B.