Le dernier jour du voyage présidentiel a été marqué par la signature d’un « partenariat renouvelé » avec Alger, mais aussi par un bain de foule houleux à Oran.
LES FANS DE RAÏ y viennent en pèlerinage. À Oran, des grappes de jeunes se pressent jusqu’à une heure avancée de la nuit pour faire des selfies sur le pas de Disco Maghreb, disquaire ressuscité par un clip de DJ Snake. Au dernier jour de son voyage de trois jours en Algérie, Emmanuel Macron y voulait, lui aussi, une image. Une carte postale aux jeunesses des deux rives, avant de clore sa visite par la signature d’un « partenariat renouvelé » avec son homologue Abdelmadjid Tebboune. Sauf que devant la petite boutique au million de K7, les officiels ont supplanté les fans. Un même groupe de badauds endimanché va et vient, se gardant d’échanger avec la presse. On dirait des figurants. Un peu plus tôt dans la matinée, trois jeunes, qui s’étaient aventurés à répondre aux questions d’une journaliste française de Politico, ont été embarqués par la police algérienne. Laquelle a également confisqué le carnet de la reporter. Les jeunes ont été libérés et le carnet restitué après intervention de l’Élysée. Chemise bariolée, lunettes fumées, le patron de Disco Maghreb, Boualem Benhaoua, a l’accueil gouailleur, « le raï, c’est l’amour, les vacances ». Mais la mise en scène manque de spontanéité. Nul doute qu’Emmanuel Macron l’a en tête quand il quitte la boutique. Il sait aussi qu’il sera plus facile d’improviser un bain de foule ici que dans la capitale, Alger. Alors, un peu plus loin, quand il aperçoit un groupe de personnes, il descend de voiture. Pari risqué. « Quand on vient dans un pays pendant trois jours, on ne peut pas repartir sans avoir vu les habitants », juge un proche. Des smartphones tentent d’accrocher une photo souvenir. On entend scander le nom du président, et même un « vive Macron ». La cohue vire à l’indescriptible ; une extrême tension liquéfie les visages de la sécurité algérienne. Le président français traverse la rue. Un « vive l’Algérie » part comme une étincelle. « Va te faire foutre ! » crie un homme. Un groupe reprend en chœur le slogan nationaliste, « One, two, three, viva l’Algérie » ! Il est, souligne l’un de ceux qui le clament, dirigé « contre la France ». Le président fait bonne figure – ultime salut debout sur la portière, « merci ! » Mais il s’en va, avant que ce bain de foule électrique ne dégénère. À Paris, des représentants de la droite et de l’extrême droite hurlent. Davantage de visas pour les étudiants « Des visas ! On veut des visas ! » lance un Oranais au cortège qui file. Cette question si sensible fut l’objet d’une longue discussion entre Macron et Tebboune — « jusqu’au milieu de la nuit » de jeudi, a même confié le Français. Le lendemain, le président a annoncé que la France accepterait cette année quelque 25 % d’étudiants algériens de plus. Et s’est prononcé pour un assouplissement concernant « une immigration choisie ». Les ministres doivent encore y travailler. Signer une déclaration commune n’était pas prévu. Mais les deux chefs d’État avaient à cœur, après des mois de sévère brouille, d’officialiser « une dynamique de progression irréversible » dans leur relation. « Dans dix ans, on refera une déclaration », plaisante un membre de la délégation. En écho, la colère exprimée au passage de Macron à Oran venait dire que la page ne se tourne pas si aisément. « Nous sommes un pays indépendant. Il faut une coopération économique d’égal à égal », prévient un homme. Une femme s’adresse à nous : « Le passé reste toujours. Il faut dire la vérité. Monsieur Macron, il faut qu’il tienne sa parole. » Référence à sa condamnation de la colonisation comme « crime contre l’humanité », en 2017. Si le président français a multiplié les gestes mémoriels, il n’a pas présenté les excuses toujours attendues à Alger. Chez Disco Maghreb, ce samedi matin, il était tombé sur une K7. Son titre ? « Malheureux toujours ». Il avait souri.
Pauline Théveniaud in Aujourd’hui en France