mercredi 16 octobre 2024
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Musique / À la Fiesta des Suds, influences arabo-orientales et identités multiples

La ville de Marseille a accueillie du 10 au 13 octobre, la 33e édition de la Fiesta des Suds. Ce festival qui fait la part belle aux musiques du monde a débuté par une soirée dont le centre de gravité musical était placé en pleine Méditerranée par quelques-uns des groupes à l’affiche dont Benzine, Sami Galbi et Orange Blossom.

Farid enlève ses mains des machines, qui continuent à jouer toutes seules selon ses instructions, puis s’empare de la basse. Il fait trois pas et se place juste devant Samir, guitare en bandoulière. Un face-à-face les yeux dans les yeux, intense, comme si le public avait tout à coup disparu de leur champ de vision. Il y a pourtant du monde au pied de la plus petite des trois scènes installées sur l’esplanade du J4 qui accueille la Fiesta des Suds sur le port de Marseille.

Pour communiquer entre eux avec leurs instruments, les deux hommes ont trouvé un canal, une fréquence. Benzine, le duo qu’ils ont formalisé en 2018 avant de concrétiser avec un premier album baptisé Nawri en 2023, fait une musique qu’il leur est arrivé de qualifier de « raï machine » ou « électro bédouin », avec une influence indéniable du rock psychédélique que tous deux revendiquent.

Marseille, fidèle à cette réputation de creuset culturel cosmopolite décrite par l’auteur jamaïcain Claude McKay dans son roman Banjo en 1931, a servi de catalyseur à leur rencontre. Cette ville pour laquelle chacun a eu un coup de cœur n’est-elle pas « le meilleur compromis entre l’Afrique et l’Europe », comme l’affirme Farid ?

Ils ont deux parcours, deux visions, deux histoires, « qui ne se racontent pas du même endroit » : celle d’un immigré qui a passé son enfance à Sidi Bel Abbés et celle d’un fils d’immigré qui a grandi en Belgique. Point de départ commun à leur aventure : l’Algérie. Marqué de façon inconsciente par la poésie bédouine que chantonnait son grand-père, Farid vient du fief de Raina Raï et Ahmed Zergui, deux figures de la musique algérienne moderne. Avec Samir, désireux de se « reconnecter » à ses origines sur le plan musical, ils rendent d’ailleurs hommage au raï en reprenant à leur façon en live un titre de Cheikha Zalamit qui occupe une place fondatrice dans leur répertoire.

Sami Galbi, l’homme-orchestre du raï 3.0

Dans l’assistance, réceptive à en juger par le mouvement physique qui l’anime, un spectateur s’apprête à changer de casquette : avant de monter un peu plus tard à son tour sur cette même scène (au même moment que MC Solaar à l’autre bout de l’esplanade), Sami Galbi profite de l’ambiance, et goûte aussi à sa notoriété naissante, en saluant sourire aux lèvres tous ceux qui vont à sa rencontre. Le jeune chanteur multiinstrumentiste helvético-marocain n’est pas à domicile, mais connait déjà les lieux : il s’est produit en août pour la soirée d’ouverture de l’édition 2024 du festival, et confie avoir très souvent fait escale à Marseille, lors des trajets entre la Suisse et le Maroc.

C’était le cas il y a deux ans, lorsqu’il s’est rendu en camion à Casablanca, transportant tout son studio pour une résidence artistique de trois mois qui s’est avérée déterminante. Le projet qu’il défend aujourd’hui en solo y a pris forme. Auparavant, il avait été membre de différentes formations dans des registres très divers. Fini, donc, les compromis.

Désormais, à lui de fixer ses propres limites. Et d’utiliser tous les outils à sa disposition, y compris en termes de production, un domaine dans lequel il s’est particulièrement investi et a bénéficié des conseils du Tunisien Ammar 808. Son passage remarqué aux Transmusicales de Rennes l’an dernier a donné un puissant coup d’accélérateur à sa carrière naissante et à son raï 3.0 qu’il voit comme une « musique hybride ».

S’il n’a mis sur le marché que trois morceaux jusqu’à présent, onze sont prêts – ce qui lui permet d’assurer un set d’une heure. L’un d’eux, auquel il n’a pas réussi à donner de titre, mais qu’il interprète en concert, lui a été inspiré depuis octobre 2023 par le conflit israélo-palestinien. Le sujet lui tient à cœur, et l’ex-étudiant en sciences politiques au passé militant n’entend pas taire sa parole. Entre ses envies de créer une identité artistique et ses convictions, il n’est pas question pour lui de choisir.

Orange Blossom, les vétérans anticonformistes

Avec Orange Blossom, Carlos Robles Arenas a trouvé depuis 20 ans un positionnement, une singularité reconnaissable, un son, sans pour autant s’enfermer dedans. Les couleurs arabo-orientales passent entre autres dans le chant, les violons, les nappes, et le tout finit par exploser dans un feu d’artifice à l’énergie rock, déchaînée. À la Fiesta des Suds, le groupe basé à Nantes est venu présenter ses nouveaux morceaux réunis sur Spells From The Drunken Sirens, commercialisé une décennie après son prédécesseur… lui-même paru après une interruption de dix ans !

Si adopter un tel rythme de production discographique témoigne d’une indépendance et d’une liberté d’action, encore faut-il réussir à ne pas se faire oublier. À en juger par la longueur de sa tournée (près de 60 dates en 2024), Orange Blossom y est parvenu. « Il ne faut pas se mettre de contrainte », philosophe le batteur mexicain installé de longue date en France. Formé à Cuba, il y a découvert la richesse du monde des musiques traditionnelles dont il est tombé amoureux. En particulier celle d’Égypte. Le chantier du nouveau disque a démarré là-bas, avant de se poursuivre au Mali ou encore au Sénégal. « J’ai enregistré tous mes fantasmes », admet Carlos, pour qui « la culture doit rassembler ». Ce soir-là, au bord de la Méditerranée, il a accompli sa mission.

B. L.