Le gouvernement péruvien a annoncé que deux personnes sont mortes et cinq personnes au moins ont été blessées dimanche 11 décembre lors de manifestations grandissantes contre la présidente du Pérou Dina Boluarte. Celle-ci a pris la tête du pays à la suite de la destitution de Pedro Castillo, après son coup d’État manqué.
Signe de la tension qui monte: une séance au Congrès sur la situation dans le pays a été suspendue après des incidents, notamment des images qui semblent montrer un homme donner un coup de poing par derrière à un autre dans une allée de l’hémicycle, puis une bousculade au centre de celle-ci, sans que qu’il soit possible de savoir la cause.
Les protestations se sont multipliées à travers le pays, notamment dans les villes du nord et des Andes. Des milliers de personnes se sont mobilisées dans les rues de Cajamarca, Arequipa, Tacna, Andahuaylas, Cusco et Puno, réclamant la libération de l’ancien chef de l’État, de nouvelles élections et appelant à une grève nationale.
« Nous regrettons la mort de deux personnes et plusieurs blessés dans des affrontements. J’exhorte la population à rester calme », a déclaré le ministre de l’Intérieur César Cervantes à la radio RPP, peu après un premier bilan de la police faisant état d’une morte – une adolescente – et cinq blessés.
« La vie d’aucun Péruvien ne mérite d’être sacrifiée pour des intérêts politiques. Je réitère mon appel au dialogue et à la renonciation à la violence », a lancé la présidente Dina Boluarte sur Twitter.
Des syndicats appellent à une « grève indéfinie »
La veille, des affrontements à Andahuaylas (Sud) s’étaient soldés par un bilan de 20 blessés, dont 16 civils et 4 policiers. Les violences ont repris dimanche avec des tirs de gaz lacrymogène de la police et des jets de pierre de manifestants. Alors qu’elle est originaire de cette ville située dans la région d’Apurimac, Dina Boluarte était qualifiée de « traitresse » par les partisans de l’ex-président destitué.
À Lima, entre 1 000 et 2 000 personnes ont manifesté dimanche devant le Congrès aux cris de « Castillo tu n’es pas seul, le peuple te soutient » et brandissant des pancartes accusant « Dina (Boluarte) et le Congrès » d’être des « rats corrompus ». Ils ont été dispersés avec des gaz lacrymogène en début de soirée.
Lima a toujours tourné le dos à l’ancien président, enseignant rural et leader syndical déconnecté des élites, tandis qu’il était soutenu par les régions andines depuis les élections de 2021.
Des syndicats agraires et organisations sociales paysannes et indigènes ont appelé dimanche à une « grève indéfinie » à partir de mardi, rejetant le Congrès et demandant des élections anticipées et une nouvelle constitution. Le communiqué du Front agraire et rural du Pérou demande la « libération immédiate » de M. Castillo, affirmant que celui-ci « n’a pas perpétré de coup d’État ».
L’ancien président avait tenté le 7 décembre de dissoudre le Parlement et d’instaurer un État d’urgence. Il a été arrêté quelques heures plus tard par son propre garde du corps alors qu’il se rendait à l’ambassade du Mexique pour demander l’asile politique. Il est accusé de « rébellion ».
« Un gouvernement de transition ou qui restera jusqu’en 2026 ? »
Dina Boluarte, vice-présidente jusqu’à son investiture le 7 décembre après la destitution de Pedro Castillo, a formé samedi un gouvernement au profil indépendant et technique, avec un ancien procureur, Pedro Angulo, comme Premier ministre.
« Jusqu’à présent, la présidente n’a pas été claire sur la grande question: est-ce un gouvernement de transition ou un gouvernement qui a l’intention de rester jusqu’en 2026 ? », a déclaré à l’AFP l’analyste politique Giovanna Peñaflor.
La demande de nouvelles élections est associée à un rejet massif du Congrès: selon les sondages de novembre, 86 % des Péruviens désapprouvent le Parlement. Vendredi, Mme Boluarte n’avait pas exclu de convoquer des élections anticipées afin de trouver une sortie pacifique à la crise politique.
Haïe par la gauche dont elle est issue, Boluarte a très peu de marge de manœuvre politique
La tension continue de monter notamment au lendemain de l’annonce du gouvernement de Dina Boluarte et n’augure pas un début de mandat apaisé. Car elle n’a pas beaucoup d’atouts dans son jeu et la trêve politique qu’elle a demandé aux députés pourrait ne pas durer longtemps.
Le parti marxiste-léniniste Pérou Libre où elle militait l’a expulsé. Elle n’a donc pas de groupe parlementaire au Congrès, et encore moins de majorité législative. Sa carrière de petite fonctionnaire à l’État-Civil n’en a pas fait un personnage connu du public. Comme candidate, elle n’a jamais gagné aucune élection… sauf lorsque Pedro Castillo l’a choisie comme vice-présidente. Et ce lors d’une campagne que personne ne les voyait gagner.
La présentation de son premier cabinet ministériel était donc une étape vitale pour cette avocate, qui a encore l’espoir de terminer son mandat en juillet 2026. La première présidente péruvienne a choisi de nommer 16 ministres technocrates, pas vraiment politiques, dans l’espoir de ne pas froisser la majorité de droite.
Ce choix pourrait lui donner un peu de temps, mais ne plaira pas à la minorité de gauche, souvent très divisée sauf pour l’accuser d’avoir oublié ses promesses de changement social et de révolution.
Son choix de Premier ministre est également contesté. Ancien procureur anti-corruption, Pedro Angulo a démissionné après avoir été accusé de harcèlement sexuel.
M. B.